Quelle est cette opposition inédite faite pour s’autodétruire, s’auto-annihiler, s’auto-vilipender ? Quel beau gâchis ! Pendant ce temps, le parti au pouvoir boit son petit lait ! Quelle est vraiment cette opposition où ses partisans ne s’entendent sur rien ? Une opposition qui s’interdit un leader. Cette opposition est comme un panier de crabes dans un bocal. Personne ne doit en sortir ou se démarquer ? Une opposition agissante ou agie ? Cela devient préoccupant avec les postures des uns et des autres suite à l’annonce de Maurice Kamto au Palais pour « déposer un courrier ».
Je vous invite à relire ce texte, écrit il y a plus de 4 ans sur l’opposition camerounaise. Les eaux ont coulé sous le pont mais rien n’a changé pour l’opposition.
Le texte qui suit été publié à la Une du quotidien Le Messager le 31 octobre 2018.
Après le verdict du Conseil constitutionnel
Les fleurs du mal
L’opposition camerounaise depuis le retour au multipartisme au début des années nonante, par son instabilité, ses collusions incestueuses avec le pouvoir, ses trahisons, ses rebuffades au fil du temps, a perdu tellement de crédibilité aux yeux de la population, qu’on la compare à une grande prostituée. 2018 est venu avec un vent en apparence nouveau, au point où les citoyens frustrés par le pouvoir depuis des lustres, se mettent à rêver. Au bout du rêve, le cauchemar ou l’enchantement ?
1- Le contexte
Le Conseil constitutionnel en déclarant le 22 octobre dernier, Paul Biya, le grand vainqueur du scrutin présidentiel suite à un contentieux postélectoral animé, a posé un acte qui va marquer pour longtemps l’avenir du Cameroun. Déjà, au plus le 6 novembre, celui qui tient fermement les reines du pouvoir depuis 36 ans, doit prêter serment pour un septième mandat consécutif. Un exploit en démocratie. Quelle est la part de responsabilité de l’opposition dans la pérennisation de ce pouvoir sans fin ? Une telle question oriente à scruter dans un temps les errements de l’opposition jusqu’à l’élection du 7 octobre. Ensuite, il faut prendre en compte que depuis le début de l’année en cours, et particulièrement après la signature du décret présidentiel du 9 juillet convoquant le corps électoral, de part le pedigree des différents candidats autorités à concourir, l’opposition affichait une autre mine, une autre envergure, tel l’albatros dans la poésie de Charles Baudelaire dont les « ailes de géant l’empêchent de marcher » ? Une opposition dont les qualités et les capacités se transformeraient en fleurs du mal, dans son ascension vers Etoudi ? Faut-il lier les clivages qui traversent l’opposition au tribalisme ambiant qui mine la société camerounaise ? En quoi ses leaders sont-ils si différents au point où on parlerait d’une alliance impossible ? Autant en 1992 qu’en 2018, la méfiance ou la défiance anime cette classe de la politique camerounaise.
1- L’opposition de 1992, le temps des égos
Le multipartisme a été implémenté à nouveau dans le paysage politique camerounais au début des années 1990, suite au « Vent d’Est » qui avait soufflé sur les pays francophones d’Afrique. Il faut dire à ce sujet que la Constitution du 2 juin 1972 avait consacré le multipartisme. Mais l’Union nationale camerounaise (Unc) d’Ahmadou Ahidjo parti unique ou unifié, l’avait interdite avec ruse. Ce parti est remplacé à son congrès de Bamenda en 1985 par le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) de Paul Biya. Dès cet instant, les militants de l’Union des populations du Cameroun (Upc), interdit par le pouvoir colonial avant l’indépendance du pays, vont commencer à demander leur réhabilitation tant de l’extérieur que de l’intérieur. A ce moment, le Rdpc va se concentrer à l’affaiblir, «le parti historique du Cameroun », « le partir des martyrs ». Dans cette mouvance, John Fru Ndi va lancer son parti à Bamenda où on recense 6 morts, tantôt tués par balles, tantôt piétinés par la foule.
En 1992, à la première élection présidentielle multipartiste du pays, le pouvoir est clairement battu par l’opposition qui pourtant refuse de se mettre ensemble, de faire foule, de resserrer les rangs. En examinant les résultats, on se demande de quelle opposition il est question. S’agit-il d’une comédie de mauvais goût qu’on joue pour distraire le peuple ? Officiellement, Paul Biya engrangea 40% ; Ni John Fru Ndi vint seconde position avec 36,0 % ; Bello Bouba Maigari de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (Undp) eut 19,2% ; Adamou Ndam Njoya de l’Union démocratique du Cameroun (Udc) obtint 3,6 % ; Jean-Jacques Ekindi du Mouvement progressiste (Mp) eut 0,8 % et Emah Otu du Regroupement des Forces Patriotiques (Rfp) n’eut que 0,4 % des suffrages exprimés. Par simple calcul, l’opposition dans son ensemble venait en tête avec 60% des suffrages exprimés. Une autre incohérence, quand est venu le moment pour John Fru Ndi de contester les résultats, il avait été lâché seul à son sort. Il ne reçut aucun soutien de ses pairs de l’opposition. Les autres en commençant par Bello Bouba, s’empresseront de dire que Paul Biya avait gagné. Au cours des législatives, le Rdpc était une fois de plus battu. Sur 180 sièges, il n’obtint que 88. L’Undp eut 68 députés, l’upc totalisa 18 et le Mouvement pour la défense de la République (Mdr) de Dakole Dassala en compta 6. Il faut préciser que le Sdf avait boycotté cette élection. L’opposition comptait 92 sièges mais au lieu de coaliser pour imposer les lois à l’Assemblée nationale (An), Dakolé alla coaliser avec Biya pour obtenir une majorité. Comme si cela ne suffisait pas, l’Upc aussi fit pareillement, en s’alliant au Rdpc. L’Undp resta le seul parti de l’opposition à l’An. Curieuse opposition camerounaise ! De ce fait 1992 consacre l’impossibilité d’une alliance ou coalition de l’opposition. Quand bien même le Sdf revint dans la compétition électorale en 2004 et en 2011, c’était toujours pour une compétition des égos surdimensionnés au sein de l’opposition. Pour qui roule l’opposition camerounaise ? Tout s’est toujours passé comme s’il existait une défiance extraordinaire entre les membres de cette opposition. Est-ce vrai comme le susurre l’opinion, que ses leaders se tiennent ? chacun étant un peu davantage renseigné des compromissions de l’un sur l’autre, avec le pouvoir ? Un vrai jeu des dupes ! C’est là un cliché de l’opposition hétéroclite camerounaise dont le fonds de commerce politique était le seul départ de Paul Biya et qui curieusement ne s’accordait pas sur cette éventualité !
2- Renouvellement de l’opposition
Cette année 2018 est venue avec son lot de surprises. Une année pompeusement qualifiée de temps d’élections générales, va finalement pondre du seul scrutin présidentiel. Cette surprise passée, c’est Ni John Fru Ndi qui va créer la sensation en jetant l’éponge au profit de Joshua Osih. Un sacré nouveau dans la course vers Etoudi, bien qu’il soit député dans le département du Wouri. Le Mouvement de la renaissance du Cameroun (Mrc) avait déjà, à la mi-avril voté son candidat, Maurice Kamto, à la convention du Palais des congrès. Il y avait aussi dans la course Akere Muna, le benjamin du candidat Bernard Muna, malheureux candidat en 2011. Dans la foulée, Cabral Libii avec sa campagne « onze millions d’inscrits » va finalement se porter candidat sous la bannière du parti Univers de Nkou Mvondo. Bien sûr, qu’il y a aussi Serge Espoir Matomba du Purs et Franline Ndifor, le pasteur de Bonabéri. A ces nouveaux candidats, il faut ajouter les vieux briscards, tels que Garga Haman Adji et Adamou Ndam Njoya. Paul Biya, évidemment de la course.
A l’entame de l’élection, l’opinion sollicite une coalition des partis pour battre aisément Paul Biya. Rien n’y fit. De tous les candidats retenus, il n’y a qu’Akere Muna qui va se joindre à Maurice Kamto à la veille de l’élection. D’ailleurs ce désistement ne sera pas pris en compte par Elecam pour annonce tardive. Une curiosité est non des moindres à relever : tous parlent de coalition pour précisément refuser d’être ensemble. Pourquoi ? Il va sans dire que si le peuple choisit son candidat, il n’a pas fondamentalement besoin d’une coalition pour gagner. Ce serait un atout, tout au plus. Le peuple camerounais souverain ne vote pas un parti mais un homme qui suffisamment charismatique pour se tenir aux premiers rangs dans ses défis au quotidien. Ce n’est pas du tout une affaire de partis politiques, mais de la rencontre d’un homme avec son peuple. La mobilisation des foules dans nos rues a montré à suffisance avant même l’ouverture de la campagne officielle que Maurice Kamto avait déjà une once d’avance sur les autres candidats d’opposition. Ne pas le reconnaître participe grandement de la mauvaise foi. Nul n’ignore ce qui s’est passé dans l’Extrême-Nord surtout et dans les deux autres régions. A l’Ouest et dans le Littoral. Cabral Libbii s’est aussi illustré mais pas à la dimension du premier. Cet avantage n’a pas donné aux autres partis de saisir cette opportunité pour faire alliance. Que non ! Joshua Osih dont sa campagne piétinait a juste dit qu’il a reçu le mandat de son parti d’aller jusqu’au bout et non de faire alliance. Une façon de reconnaître que c’est une option viable. Cabral Libii quant à lui caressait l’espoir qu’il pouvait devancer le candidat du Mrc. Cette phase de flottement passée, il a fallu observer l’attitude de ces acteurs à la déclaration de la victoire surprise de Maurice Kamto le 8 et la proclamation du résultat par le Conseil constitutionnel.
3- Tous, sauf toi ?
Au moment où le candidat du Mrc annonce qu’il est le vainqueur de l’élection, il y a eu un vent de panique avant que les uns et les autres ne se ressaisissent le lendemain. La question est de savoir si les autres candidats étaient en possession des Pv. Quels résultats leur disaient les bureaux de vote? Pourquoi n’ont-ils pas infirmé ou confirmé la déclaration jugée précipitée du professeur ? Fondée ou pas à la lumière des résultats des pv issus des différentes urnes ? Curieux ! Aucun candidat n’a réagi sur le champ. Pour la petite histoire, on est aujourd’hui surpris d’entendre un candidat de l’opposition se fendre que c’est un candidat de l’opposition qui a remporté l’élection. A contretemps ! Autre surprise, quand Maurice Kamto annonce sa victoire, quelque temps après, Cabral Libii aussi dit qu’il a gagné. Comment ? Sur la compilation des différents Pv ? Le mystère est entier. Peut-on parler d’une technique de neutralisation mutuelle ? C’est de bonne guerre. Après la proclamation des résultats, fortement contestés par le Mrc, l’attitude des candidats de l’opposition va révéler que le syndrome de 1992 hante toujours les Camerounais. Le cas de Joshua Osih qui s’est précipité de reconnaître la victoire de Paul Biya ou a pris acte est assez parlant. Cela est tellement parlant que certains dignitaires du parti de la balance ne prennent plus de précautions pour demander à Joshua Osih de rendre le tablier. Quel genre de rapport le Sdf entretient-il avec le Mrc ? Un rapport d’animosité ou d’entente qui convient aux membres de l’opposition ? Le Sdf est-il plus proche du Rdpc que du Mrc ? C’est Jean Nitcheu, qui va réagir en demandant à Maurice Kamto de produire les Pv pour que ses partisans l’appuient dans cette revendication. Là on est dans la logique des partis du même bord opposition. A peine est-il engagé que le natif du Sud-ouest va pondre le communiqué prenant acte des résultats du Conseil constitutionnel. En ce qui concerne Cabral Libii Ngue Ngue, une de ses sorties sur les ondes de la BBC dit son souhait de travailler avec Paul Biya sous certaines condition ! Lesquelles ? En quoi le parti Univers et Cabral Libii peuvent-il influencer l’ogre Rdpc dans sa gestion du pouvoir ? Avec le programme de résistance du candidat du Mrc, il se voit clairement que son implémentation à l’intérieur du pays est pratiquement difficile pour ne pas dire impossible à cause de la militarisation de l’espace public. Il est vrai qu’au sein de la diaspora ce programme connaît un succès. Mais la diaspora ne fait pas seul le Cameroun. Tout se passe comme si au sein de l’opposition, il existe une opposition de l’opposition. Tous de l’opposition, oui mais il faut tout faire pour se neutraliser pour que certains n’arrivent au pouvoir.
Au regard de ce qui précède, on peut infailliblement dire qu’autant en 1992 l’opposition camerounaise était dans un désordre au service du pouvoir, autant en 2018, si cette franche de la vie politique est effectivement née et s’affirme, on doit cependant reconnaître qu’elle vit encore dans la puérilité, rongée par les maladies infantiles de la démocratie. Bien entendu, on aurait pu apprécier davantage la compétition électorale si le code électoral camerounais avait prévu un deuxième tour. Et c’est là, faut-il le dire, un beau gâchis pour l’exemplarité, l’équité et la maturité de la démocratie camerounaise.