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Biya s’absente quand il veut - Jean Baptiste Placca

Paul Biya Paulbiya Le président camerounais, Paul Biya

Mon, 31 Oct 2016 Source: journalducameroun.com

Près d’une semaine et demie après l’accident de train qui a fait près de 80 morts et 600 blessés à Eseka le 21 octobre dernier, le Cameroun demeure en état de choc. L’éditorialiste de Radio France internationale (RFI), Jean Baptiste Placca revient sur la catastrophe s’inquiète de la gestion du pays par un président régulièrement «absent» et le monopole qu’exerce le groupe français Bolloré sur les secteurs clé de l’économie africaine et camerounaise.

RFI: Pour la deuxième fois en moins de deux mois, l’empire tentaculaire de Vincent Bolloré enregistre, en Afrique, un accident ferroviaire spectaculaire. Le dernier, survenu au Cameroun, est particulièrement mortel, mais il révèle aussi une attristante réalité, liée aux habitudes du chef de l’Etat camerounais. De quoi s’agit-il ?

Jean-Baptiste Placca: 79 morts et 500 blessés, ce n’est pas, ce ne peut pas être un simple accident, mais bien une véritable catastrophe ! Le pays était endeuillé et le président n’était pas là. Ô oui ! Les voyages, fréquents, du président Biya à l’étranger semblent assumés. Mais au-delà de ses absences prolongées du pays, ce qui choque, ici, c’est le fait qu’il ne soit rentré que deux jours après le drame. Il était à 6 heures de vol de là. Et, plus attristant encore, il ne s’est déplacé ni sur les lieux de la catastrophe ni au chevet des blessés.

Les motifs de ses absences sont inconnus. Autant dire qu’il voyage pour convenances personnelles, souvent loin, à plus de 6 000 kilomètres du Palais d’Etoudi, à Yaoundé.

Les admirateurs et partisans de Paul Biya vous diront qu’il a si bien réglé le fonctionnement de son pays qu’il peut en être absent trois à cinq mois par an, sans que le Cameroun vacille. Cet Etat tournant tout seul, même en cas de fréquentes absences prolongées de son président, cela pourrait faire penser que le Cameroun est un miracle permanent.

Tout cela est ironique, surtout lorsque l’on connaît les raisons pour lesquelles Ahmadou Ahidjo, son prédécesseur, lui avait transmis le pouvoir…

C’est cela ! En 1982, ses médecins auraient diagnostiqué au président Ahidjo une maladie qui, lui auraient-ils dit, allait l’obliger à s’absenter fréquemment du pays ! Il aurait alors répondu que ce n’est pas ainsi qu’il concevait la charge que lui avait confiée son peuple. Ne voulant pas gouverner son pays en vacancier, il a donc démissionné, et transmis le pouvoir à Paul Biya, son Premier ministre d’alors. Avec le recul, l’on apprécie encore plus le courage qu’il a fallu à Ahidjo pour consentir librement à un tel geste. Ceux qui le connaissaient y voient une simple preuve de patriotisme.

Seulement, voilà, le successeur ne s’embarrasse pas de telles préoccupations et exerce la réalité du pouvoir par intermittence, ou alors à distance, s’absentant quand il veut, aussi longtemps qu’il veut, et sans jamais prévenir ni s’excuser auprès de son peuple.

N’est-ce pas ainsi que fonctionne aussi l’équipe nationale de football, les Lions Indomptables ? Même sans entraîneur, ils réussissent des exploits ! Mais quelqu’un a-t-il jamais songé à ce que serait le niveau des Lions Indomptables ? Et quels exploits ils accompliraient, s’ils bénéficiaient d’un encadrement plus rigoureux ?

On en oublierait la responsabilité de la compagnie de chemin de fer...

Vincent Bolloré, bien sûr ! Il est plutôt malmené, ces derniers temps, en France. En Afrique aussi, il est de plus en plus controversé. Et cet accident, si tragique, vient rappeler aux opinions nationales que des pans entiers de l’économie de certains pays de notre Afrique sont contrôlés, en situation de monopole, par le groupe Bolloré.

A quel point sont impressionnants les efforts déployés, ces deux dernières décennies par le groupe Bolloré, pour conquérir, presque partout, des positions monopolistiques, et dans des secteurs-clé, telles les installations portuaires !

Après la controverse, l’inquiétude, donc. L’on est d’autant plus préoccupé que, rien qu’en Côte d’Ivoire, ce groupe aurait enregistré plusieurs déraillements, ces derniers mois, dont celui, réellement spectaculaire, du 7 septembre dernier.

Les auditeurs de RFI ont, par ailleurs, tous entendu ce témoignage avisé d’un employé de Camrail, expliquant que cet accident est lié à la négligence et à la mauvaise maintenance du matériel roulant» ; que les employés travaillent «la peur au ventre, prenant des risques énormes, pour ne pas être accusés de refuser de travailler, même lorsque ce qu’ils signalent comme danger est avéré».

Et selon cet employé, la Camrail manquerait de pièces de rechange et ferait circuler ses trains «au petit bonheur, dans des conditions vraiment dangereuses»…

Les bons économistes vous diront que la description des réalités faite par cet employé est l’exacte définition que l’on puisse faire d’une entreprise qui évolue en situation de monopole sur un marché.

Depuis le commerce triangulaire (au XVe siècle) et jusqu’à nos jours, l’Afrique n’a jamais été convoitée qu’à des fins de monopoles. Terre de monopoles et d’oligopoles concédés par les élites dirigeantes à des marchands venus d’ailleurs. Terre de monopoles pour les dirigeants eux-mêmes et, trop souvent, terre de monopoles de la médiocrité, aussi.

Ci-dessous Jean Baptiste Placca

Auteur: journalducameroun.com