L’ombre de Cavaye Yeguié est tombée, emportée par sa trop grande soif de pouvoir.
Le capitaine de gendarmerie Bouba Simala, ex garde du corps du président de l’Assemblée nationale, Cavaye Yeguié Djibril, a été propulsé au devant de la scène le 15 juin dernier avec son limogeage spectaculaire de ses fonctions.
Qu’il ait été reversé à son administration d’origine, le ministère de la Défense, n’est pas le plus surprenant. Qu’il ait cependant été accusé, dans l’arrêté du président de l’Assemblée nationale, de terrorisme, de tentative d’enlèvement et de braquage sur l’homme qu’il était censé protéger, en dit long sur la fin d’une histoire entre un homme et son ombre, unis par des liens familiaux et par une exceptionnelle relation entre un «parent» et un «fils» dont les historiens sauront, une fois les nuages dissipées, tirer les origines profondes de ce désamour public.
INFLUENCE
Bouba Simala, 45 ans, est entré au service du président de l’Assemblée nationale en 1995. De simple gendarme, il porte aujourd’hui le grade de capitaine. Ses fonctions ont aussi évolué avec le temps. De garde du corps ou aide de camp, c’est selon, il occupait également, avant son limogeage, le poste de chargé d’études au cabinet du président de l’Assemblée nationale.
Dans les faits, Bouba Simala était bien plus que ce que ses fonctions lui octroyaient comme prérogatives. Il était, depuis plusieurs années, l’alpha et l’Omega du cabinet du président de l’Assemblée nationale. De son bureau jouxtant celui de la troisième personnalité du Cameroun, il faisait et défaisait les carrières à l’Assemblée nationale. Que de fonctionnaires nommés à la suite de ses «interventions» ou instructions ! Que de larmes ont coulé à la suite de ses colères !
Rares sont ceux qui, à la chambre basse du parlement, ne recherchaient pas les faveurs de cet homme dont l’ambition débordante inquiétait des familiers lucides du président de l’Assemblée nationale. «Dire que Bouba Simala était l’ombre du Vieux, est un euphémisme. Lui, était le président de l’Assemblée nationale, et Cavaye son aide de camp. Rien ne lui échappait et il valait mieux être dans ses faveurs que dans ceux de Cavaye. Avec le président de l’Assemblée, ils ont eu des rapports que nous, dotés d’une petite intelligence, avions toujours eu du mal à cerner. J’ai fini par en conclure que leurs rapports relevaient d’une autre dimension», confirme un cadre en service au cabinet de Cavaye Yeguié Djibril.
En 2014, après de longues années de règne, les positions de Bouba Simala sont fragilisées par la nomination de Boukar Abdourahim, en décembre, au poste de directeur de cabinet du président de l’Assemblée nationale. Ex particulier du président de l’Assemblée nationale devenu par la suite son conseiller spécial, le nouveau directeur de cabinet, membre lui aussi de la famille de Cavaye Yeguié Djibril, va s’atteler à reprendre peu à peu les prérogatives de sa fonction. Rognant de ce fait les «pouvoirs spéciaux» jusqu’ici confinés entre les seules mains du garde du corps. Le 06 avril 2015, Cavaye Yeguié Djibril signe une circulaire révolutionnaire qui ébranle les dernières positions de son garde du corps.
Il instruit à tous ses collaborateurs que désormais, tout document financier comportant sa signature doit être revêtu du visa du directeur de cabinet pour faire valoir ce que de droit. Ce document, aussi anodin qu’il puisse paraître, est lourd de signification. Il vise en premier Bouba Simala, dont beaucoup disent qu’il prenait un malin plaisir à prendre des engagements financiers au nom du président de l’Assemblée nationale. D’ailleurs, au début du mois de juin 2015, une mission initiée par lui dans quelques pays africains, a été interceptée à la dernière minute…
De moins en moins influent sur la marche de l’Assemblée nationale comme il l’était les années précédentes, Bouba Simala voit également ses pouvoirs sur la sécurité du président de l’Assemblée nationale fondre comme neige au soleil. Celui-ci se rend à son sport du week-end, sans désormais l’en informer. Le capitaine de gendarmerie digère mal que d’autres s’occupent de la sécurité de Cavaye Yeguié Djibril, lui, qui était pourtant son ombre. Il essaye de reprendre la main. C’est là, que débute l’affaire qui va déboucher sur son limogeage et dont on ne connaît pas encore le dénouement. Petit indice : Cavaye Yeguié s’est entretenu avec le ministre délégué à la Défense, Edgar Alain Mebé Ngo’o, dans l’après-midi du 15 juin 2015.
L’AFFAIRE
En fait, dans le nouveau maillage mis sur pied par le PAN, Bouba Simala se retrouvait à l’étroit. Cavaye Yeguié se rend désormais, comme nous l’indiquions plus haut, à son sport, le week-end, sans l’en informer, faisant confiance pour sa sécurité, à son escorte dirigée depuis plusieurs années par le commandant Yongwa Nicolas. Pour reprendre la main, Bouba Simala inonde le PAN de suggestions visant toutes à «muscler» sa sécurité, sous le prétexte que l’environnement l’impose vivement. D’ordinaire, de telles remarques sont prises en considération par le chef traditionnel de Mada. Mais Cavaye Yeguié ne l’écoute plus.
Un ressort s’est brisé. L’étoile de Bouba Simala qui brillait jusqu’ici, a pali. Est-ce ce dernier incident survenu le 20 mai 2015 à Tokomberé, qui a précipité le désamour entre les deux ? Possible. L’histoire prête à sourire. Enervées contre son garde du corps, les populations du village Mazao, pour alerter le PAN, ont trouvé un moyen original. Elles ont pris part au défilé à Tokomberé, chantant et dansant comme jamais, vêtues aux couleurs du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) de Maurice Kamto… Vieux singe, Cavaye Yeguié Djibril comprend le message de ses frères - moins de dix kilomètres séparent Mada de Mazao. Alors qu’il se trouve au village, quelques jours plus tard, il demande à rencontrer ses «frères».
«Ils lui ont expliqué que son garde du corps avait pris la somme de 700. 000 Fcfa chez un de leur fils, pour lui faire passer un concours. Et que non seulement ce dernier n’a pas été admis, mais que Bouba Simala a alerté le Gpic au motif qu’il serait un membre de Boko Haram. Le Vieux a restitué la somme empochée par son aide de camp, et a fait la paix avec le village », raconte un proche de Cavaye Yeguié Djibril.
Le président de l’Assemblée nationale est donc passablement déjà remonté quand celui-ci le harcèle des propositions sur sa sécurité. Mais est-ce la première couleuvre ? Non. Il ignore tout simplement les suggestions de son garde du corps. Jusqu’à cette date fatidique du 13 juin 2015 et les propos attribués aujourd’hui à Bouba Simala.
«C’est dans la matinée du samedi 13 juin 2015 que les faits se sont déroulés. Bouba a parlé à des gens à partir de son talkie-walkie qu’il a présentés comme travaillant à la Direction de la sécurité présidentielle. Il l’a fait en présence du Président et de plusieurs témoins. Il leur a demandé d’enlever le Président et de le conduire au palais», affirme une source introduite au cabinet du PAN. Plusieurs sources confirment ces déclarations.
L’entourage de Bouba Simala, lui, dément catégoriquement ces propos. «Pour protéger le PAN pendant son sport, il a demandé à une voiture de le suivre discrètement. C’était pour son bien, pour sa sécurité, car sa protection était trop faible», affirme-t-il. Reste à connaître à qui il a donné ces instructions ? Et pourquoi l’a-til donné à l’insu du principal intéressé et des responsables de son escorte ? Toujours est-il que le week end, le président de l’Assemblée ne prend aucune sanction contre son garde du corps. Il l’observe, espérant que ce dernier s’expliquera. Rien. Ce n’est pas le premier différend entre la troisième personnalité du pays et son ombre.
CHUTE
Tout va pourtant s’accélérer le 15 juin 2015. Aux environs de 13h, Bouba Simala informe le président de l’Assemblée nationale du double attentat survenu dans la capitale tchadienne, Ndjamena, quelques heures plus tôt. «Il a expliqué au Président, en substance, que ces attentats justifiaient ses craintes sur les menaces qui pèsent sur sa personne, lui, Cavaye Yeguié Djibril. Et de poursuivre que, d’ailleurs, à ce sujet, il revenait d’une réunion à la présidence de la République à laquelle ont également assisté le ministre de la Défense, le SED, le patron des Renseignements et le commandant de la GP, entre autres.
Intrigué, le Président a téléphoné au ministre de la Défense pour s’informer. La réponse, vous vous en doutez, a été sans appel. Fort de l’incident de samedi, ce dernier épisode a achevé de le convaincre que son garde du corps était un homme dangereux. Il l’a limogé, lui donnant 24h pour libérer sa résidence de fonction et croit aujourd’hui fermement que Bouba voulait le faire kidnapper le 13 juin», explique une source proche du président de l’Assemblée nationale.
What next ? Une enquête a été ouverte sur les accusations formulées contre Bouba Simala. C’est ainsi que, tous les appels émis par talkie-walkie le 13 juin 2015, sur la fréquence réservée à la sécurité du président de l’Assemblée nationale, sont en train d’être passés au peigne fin. Au moment où mettons sous presse, le capitaine Bouba Simala était toujours libre de ses mouvements. Pour combien de temps encore ?