Ces derniers temps, les débats publics sur l’actualité du football sont tellement clivés qu’il y a deux camps: les laudateurs et les pourfendeurs. Les dernières décisions du Tribunal arbitral du sport en défaveur de la Fédération camerounaise de football contribuent davantage à créer une guerre de l’opinion publique entre ces deux maillons de la chaîne. Les uns et les autres s’entrechoquent au quotidien et font généralement main basse sur les vrais débats de fond de l’actualité courante. Chronique sociale sur le fanatisme dans le jeu de prise de positions individuelle au Cameroun.
Sans scrupule, chacun(e) transpose, dans son registre analytique, ses émotions, ses pulsions, ses intentions et ses passions. La rationalité, l’objectivité et la neutralité(critères de scientificité) des uns et des autres sont, ex-cathedra, mises sous le boisseau au profit des affects, des a priori, des stéréotypes, des représentations et des constructions régulés par la subjectivité, l’affectivité et l’émotivité.
Quand bien même certains veulent faire prévaloir, momentanément, leur objectivité, la tournure et les contours des débats passionnés alimentés par les férus et mordus du football les incitent à basculer, sans coup férir, dans les jugements stéréotypés visant soit à cribler de balles le président de la Fédération camerounaise de football(Fecafoot), soit à lui jeter les fleurs pour avoir, disent-ils, fait du bon boulot près de deux ans à la tête de l’instance faîtière du football camerounais.
Il y a, pour ainsi dire, une fragmentation de l’opinion publique agrémentée par les pro et les anti-Eto’o. C’est véritablement la matérialisation de la dichotomie, voire de la ségrégation du monde social, où deux factions sont, viscéralement, opposées : la faction des partisans de l’ancien goleador et celle de ses opposants.
Journalistes; acteurs sociopolitiques; entraîneurs de foot d’ici et d’ailleurs; travailleurs des différentes catégories socioprofessionnelles ; auditeurs; téléspectateurs et internautes se livrent à une guerre de l’opinion publique, chacun(e) usant de ses armes conventionnelles et non-conventionnelles. Question de soutenir ou de diaboliser S. Eto’o Fils. Même les communicateurs officiel et officieux du président de la Fecafoot disséminés dans l’environnement médiatique et techno médiatique ne font guère la fine bouche tant ils colonisent l’espace public et visent à contraindre autrui à l’acceptation, voire à la légitimation de leur opinion.
S’obstinant à ne pas accréditer l’opinion du camp adverse, les pourfendeurs, qui se recrutent aussi parmi les figures de la scène publique, entrent en scène, déconstruisent leur opinion, dévalorisent et stigmatisent négativement Eto’o. Invectives, quolibets, clichés et sarcasmes s’entremêlent et sont usés par les partisans et opposants de la tête de proue de l’instance faîtière du football à telle enseigne que l’on débouche sur une espèce de Lumpen radicalisme.
D’un côté comme de l’autre, chaque protagoniste de la chaîne se sert d’un haillon cérébral qui décrédibilise autrui et dissimule les vrais débats de fond et les problèmes conjoncturel et structurel qui aiguillonnent le champ de la vie active. L’on dirait une sorte d’envoûtement collectif des grappes d’irréductibles et de contestataires de S. Eto’o Fils.
Les clivages qui sont observés dans le champ politique camerounais entre « sardinards », « tontinards », « talibans », « cabralistes » et « cabro-sardinards » se transposent, par extension, voire par extrapolation, dans les milieux du sport et, singulièrement, dans celui du football, où il y a, d’une part, les fan’s club de Eto’o Fils appelés « Églisiens de Tsinga » et, d’autre part, les « hiboux » et « talhiboux » qui tancent celui qu’ils nomment le « gourou de la tour ».
Dans ce jeu fanatique et manichéiste, la haine, l’acrimonie, la dérision, les intrigues et les invectives font bon ménage et prennent le pas sur la dimension rationnelle des joutes. Entre-temps, les problèmes de mal développement perdurent, les routes sont en piteux, les populations locales manquent, de manière criarde, des infrastructures sociales de base, les échéances électorales pointent à l’horizon sans qu’il n’y ait une réforme consensuelle du système électoral.
Les faits divers ont, pour ainsi dire, colonisé l’espace public au détriment de la réflexion sur les problèmes de fond qui se posent avec acuité en matière de santé, d’alimentation, de logement, de scolarisation, d’industrialisation, d’infrastructures, d’accès à l’eau potable, à l’énergie électrique, à l’emploi décent, etc. Quand les faits divers seront mis sous le boisseau, nous reviendrons tous à la réalité de la conjoncture chancelante. Le réveil sera, hélas, tardif.
Serge Aimé Bikoi