Son effectivité sur le territoire camerounais avait été annoncée à grands renfort de publicité par les autorités pour juillet 2015. Plus de deux ans plus tard, la télévision numérique terrestre (TNT) n’est toujours pas disponible au Cameroun. Pire, plus personne n’y fait allusion.
Le Cameroun n’aura été finalement arrimé à la Télévision numérique terrestre (TNT), que le temps d’un tapage médiatique de quelques mois. Le ministre de la communication, Issa Tchiroma Bakary, avait annoncé le 26 juin 2015, l’arrimage du Cameroun à cet outil dès le 15 juillet de la même année.
« La migration du Cameroun vers la Télévision numérique terrestre, entrera en vigueur au plus tard le 15 juillet 2015. Je peux vous dire que le chef de l’Etat a été divinement inspiré ; car grâce à cette technologie l’on économisera à terme plus de 100 milliards de FCFA », avait-t-il solennellement déclaré au cours d’une conférence de presse tenue à Douala.
Plus de deux ans plus tard, pas de trace de la TNT sur le territoire camerounais. Pire, plus de commentaire sur la question. Quelque temps auparavant, le même ministre avait annoncé sur les antennes de l’office de radio et télévision camerounaise (CRTV) pour le 15 juin 2015 l’entrée en vigueur de la TNT.
Or, passé cette première date, rien n’avait été réalisé. Le Cameroun avait donc été obligé de demander à l’Union internationale des télécoms (UIT), un rallongement de délai. Et, au ministre d’annoncer dans sa vaste campagne de communication la date butoir du 15 juillet 2015.
A la Cameroon digital television project (Cam-Dtv) (un comité de pilotage mis en place pour assurer la transition à la TNT), l’on apprend que le principal blocage dans la mise en place de la TNT au Cameroun, est l’interférence entre le projet de migration de la chaîne publique Cameroon Radio Télevision (Crtv) et celui de la migration au numérique qu’est la TNT.
« Pour l’instant c’est le ministre de la communication, par ailleurs président du conseil d’administration de la CRTV, qui a déclaré avoir migré vers le numérique avec l’opérateur Startimes. Nous nous posons aussi la question de savoir où est cet arrimage au numérique, on n’a encore rien vu », indique un responsable du comité, qui, a requis l’anonymat. Ce dernier confie, d’ailleurs que le dossier d’appel d’offre pour avoir le partenaire stratégique pour implémenter le réseau TNT n’est pas encore prêt.
D’autres sources proches du dossier au secrétariat général du premier ministère confient que le comité de pilotage de la TNT au Cameroun multiplie encore des réunions, simplement pour délimiter les tâches des uns et des autres. Bien plus, la problématique du financement de cette migration au numérique préoccupe le Ministère des Finances (Minfi) et le Ministère de l’Economie de la planification et de l’aménagement du territoire (Minepat), principaux concernés par ce volet. « Quelle sera la ligne budgétaire qui supportera ces projets à doublons ? », questionnent sous anonymat des cadres de ces deux ministères. Le projet TNT a donc à l’évidence été validé, avant que le financement ne soit même trouvé.
Encore en expérimentation
Le Ministère de la Communication (Mincom) soutient le contraire. A en croire, Baba Wame, sous-directeur au Mincom, « la TNT est toujours dans sa phase d’expérimentation qui dure déjà bientôt deux ans ». Cette période expérimentale a consisté pour le Ministère de la communication à distribuer des décodeurs aux autorités camerounaises.
Ce sont en quelque 500 décodeurs qui ont été distribués aux ministres et directeurs généraux de sociétés publiques et parapubliques de Yaoundé et Douala. Cette distribution ciblée vers les structures étatiques, a été faite « suivant les instructions » du Premier ministre camerounais, Philémon Yang. 13 chaînes de télévision ont été choisies pour cette période expérimentale, parmi lesquelles France 24, BBC, TV5, Africa 24. Et seules les autorités camerounaises y ont accès, à l’exclusion des ménages.
Actuellement, le projet d’étendre la TNT dans les ménages, apprend-on, est bloqué à cause du prix du décodeur. En effet, la société chinoise StarTime, maître d’?uvre pour l’arrimage à la TNT, ne s’accorde toujours par avec le gouvernement camerounais sur le prix du décodeur.
StarTime, veut fixer le prix à 5 000 FCFA, alors que le gouvernement camerounais le veut à moins de 3 000 FCFA. Ainsi, rassure-t-on au Mincom, si StarTime et le gouvernement camerounais tombent enfin d’accord pour le prix, la commercialisation du décodeur pourrait commencer et les ménages auraient alors finalement accès à la TNT. Au passage, il faut relever que le prix de 3 000 FCFA que veut appliquer le gouvernement est bien loin des 8 000 FCFA qu’avait annoncé le ministre Issa Tchiroma en juin 2015.
Une perte énorme
En l’absence de ce programme national, certains ménages ont préféré se tourner vers le marché où ils peuvent acquérir un décodeur pour environ 40 000 FCFA, dans un pays où le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) est de l’ordre de 36 000 FCFA. Sauf que les opérateurs privés n’ont pas toujours la liberté d’accroître la capacité fréquentielle nécessaire à l’ouverture de l’espace télévisuel. Cela freine également l’accroissement de l’offre télévisuelle nationale, qui devait renforcer le pluralisme des médias et la liberté d’expression.
Même s’il est difficile de le chiffrer, ce retard dans la mise en place de la TNT fait « perdre au Cameroun beaucoup d’argent », souligne Théodore Ndanga, consultant audiovisuel et numérique. Bien plus, explique ce dernier, un impact lourd est perceptible sur beaucoup d’autres secteurs d’activité « la bande utilisée en analogie pour une chaîne peut faire passer huit (8) chaînes en numérique.
Donc, si on passait en numérique l’on pourrait réduire cet espace au septième et il va rester six septièmes à attribuer comme bande passante dans d’autres secteurs des nouvelles technologies, de la téléphonie mobile ».
Selon l’intéressé, les conséquences de cette situation sont d’ores et déjà perceptibles dans le secteur de la téléphonie mobile.
« Vous voyez par exemple qu’aujourd’hui, on n’arrive pas encore au Cameroun à rentrer véritablement dans ce que l’on appelle 4G. Beaucoup d’opérateurs déclarent avoir la 4G, mais elle n’évolue pas sur la bande requise. Cette 4G fonctionne sur la bande 2G. Il n’y a pas de bande passante à attribuer. Donc, si on libère un peu plus d’espace sur les bandes analogiques utilisées par les télévisions, on en attribuerait facilement pour la 4G, et pour toutes les nouvelles technologies. On devait développer l’internet à un niveau très avancé », explique Theodore Ndanga.
L’on se souvient d’ailleurs qu’à l’annonce de l’arrimage du Cameroun à la TNT, Ahmadou Djodji, à l’époque directeur de l’Emission et de la transmission à la CRTV, avait indiqué sur Balancing ACT, (un site d’information sur les questions de télécommunication NDLR) que pour alimenter la TNT, la CRTV comptait créer cinq nouvelles chaînes numériques.
Ainsi, en plus de la chaîne nationale, la CRTV comptait lancer La Côtière (la chaîne du littoral) ; CRTV News (chaîne d’information et d’actualités en continu) ; une chaîne culturelle et régionale ; une chaîne éducative de télé-enseignement, fournissant une éducation à bas coût ; une chaîne de divertissement.
La nécessité de collaborer
En tout cas, aucun des projets que la télévision nationale planifiait sur l’arrimage de la TNT le 15 juillet 2015, n’a encore été réalisé. Du coup, même l’annonce faite par Louis Paul Motaze, ministre de l’Economie, de la planification et de l’aménagement du territoire (Minepat), d’avoir dans les contenus au moins 40 % de production nationale en fin 2015 n’aura été qu’un leurre.
En effet, le Minepat, par ailleurs président de Cam-Dtv, avait annoncé que « pour les chaînes publiques, le quota de départ en matière de production nationale a été fixé à 40 % à l’année de référence 2015. Il devrait atteindre 60 % à l’horizon 2025. Pour les chaînes privées, ces quotas sont respectivement de 30 % en 2015 et 70 % en 2025. »
Il avait poursuivi en indiquant qu’« en ce qui concerne la production interne des éditeurs, qui suppose l’acquisition des programmes sur le marché national, les quotas ci-après ont été suggérés. Pour les chaînes publiques, un plancher de 60 % en 2015 qui devrait diminuer pour atteindre 20 % en 2025. Pour les chaînes privées, l’acquisition de la production indépendante nationale a été fixée à 50 % à l’année de référence 2015, et 80 % à l’horizon 2025 ».
En tout cas, pour les experts du secteur de la télévision numérique, pour que le Cameroun développe une TNT dynamique et efficace, il va falloir établir une collaboration étroite avec les câblodistributeurs même si ce secteur n’est pas encore organisé. L’urgence est donc d’assainir ce secteur, car les câblodistributeurs peuvent aider le Cameroun à passer rapidement au numérique. « Ces câbleurs ont déjà tendu les câbles jusque chez les clients. Et c’est un gros investissement que l’Etat n’aurait pu réaliser rapidement.
Les câblo-opérateurs ont le droit de prendre tous les signaux en numérique, les transformer chez eux et renvoyer aux clients de façon analogique dans les câbles et par conséquent libérer la bande passante au niveau du spectre national. L’espace libéré sera donc affecté à d’autres secteurs comme la téléphonie et internet. Les ménages n’auront plus qu’a se procurer un décodeur pour avoir du numérique », explique Théodore Ndanga, Promoteur de la Théométrie.