C’est un record à inscrire dans le livre Guinness. Depuis son vol inaugural, le 28 mars 2011 (l’entreprise a été créée par décret présidentiel le 11 septembre 2006), la Cameroon Airlines Corporation (Camair-Co) a vu défiler à sa tête six directeurs généraux. Dans un secteur aussi pointu qu’exigeant que celui du transport aérien, l’on est fondé de se demander si le Cameroun n’a pas délibérément choisi, à travers cette valse de dirigeants, de se prendre les pieds dans le tapis, sous le prétexte de disposer d’une compagnie aérienne nationale compétitive. En tout état de cause, les tenants et les aboutissants de l’audit réalisé par le cabinet Boeing Consulting sont là pour attester que « l’étoile du Cameroun » ne brille point au firmament sous-régional, africain et mondial.
#LaRaisonPrincipale En espérant que le ciel sera dorénavant bleu pour Camair-Co, sous le pilotage de Mefiro Oumarou et Ernest Dikoum, la question est de savoir pourquoi des managers qui ont « le profil de l’emploi » échouent à chaque fois là où des responsables moins lotis, techniquement s’entend, s’en sortent ailleurs ?
La raison principale est sans doute à chercher dans le modèle de gouvernance en vigueur au Cameroun. Pour des motifs qui échappent à tout entendement, le pays a choisi de fonctionner au pifomètre, même lorsque la boussole se trouve à portée de sa main. Il a opté de privilégier l’intrigue où le bon vieux sens paysan suffit à démêler l’écheveau. Cela rappelle l’allégorie de ce footballeur talentueux qui inscrit des buts magnifiques en club professionnel, mais dont le compteur est bloqué en sélection nationale, parce qu’au sein de celle-ci prévaut la logique de l’illogique.
C’est fou comme le Cameroun se plaît à bouffer ses valeureuses ressources humaines sans jamais prendre le chemin de l’émergence, prophétisée pour 2035. En 33 ans de pouvoir (de règne ?), le chef de l’Etat, Paul Biya, (d’après une étude sérieuse réalisée cette année par quatre journalistes bloggeurs camerounais) a procédé à 32 mouvements ministériels pour un total de 299 personnalités utilisées. C’est à se demander si celui qui choisit ces « dignes filles et fils » de la République pour servir à un si haut niveau n’a pas toujours eu la main heureuse. Le marionnettiste s’est-il toujours trompé sur le choix de ses marionnettes ? Pourquoi le créateur ne se reconnaît-il pas dans la majorité de ses créatures ?
Dans le livre « l’acteur et le système », Michel Crozier et Erhard Friedberg postulent qu’il existe dans toutes les organisations des espaces de liberté qui se logent dans des interstices (nommés « zones d'incertitude ») sur lesquels les acteurs vont jouer et dont ils vont se jouer. Ces deux sociologues illustrent encore mieux leur raisonnement, en convoquant ce cas de figure.
«Pour comprendre le même crime, d’un côté, on part du coupable et de la logique de ses relations avec les différents protagonistes, de l’autre, on part de la situation comme système qui conditionne les relations et définit donc des possibilités de crime ».
Au Cameroun, quel que soit le bout par lequel l’analyse est construite, aucune personne de bonne foi ne saurait exonérer les acteurs de leurs responsabilités. Mais, admettons-le, la part du système dans l’échec des politiques publiques au Cameroun est par trop flagrante pour être occultée.