Cameroun : 'Il faut arrêter cette mafia qui alimente la corruption qui gangrène le pays'

Le député fait de graves dénonciations

Thu, 5 Oct 2023 Source: Jean Michel Nintcheu

« Le 30 août 2023, le président de la République a signé la note de cadrage budgétaire pour le compte de l'exercice 2024. Il se dégage de cette note un accroissement des recettes fiscales. Bien qu'ayant précisé au paragraphe 27 que « les nouvelles mesures d'optimisation des recettes devront veiller à ne pas créer des distorsions économiques préjudiciables au développement et à la compétitivité des entreprises », il apparaît à l'examen de certains faits probants issus d'une enquête menée par mes soins que c'est tout le contraire qui se produira certainement en 2024. Parmi les mesures qui impacteront l'outil de production et les citoyens camerounais les plus démunis, se trouve la mise en place d'un dispositif de marquage des bières.

Ce vieux projet, qui est pourtant l'émanation d'une mafia organisée avec pour tête de pont une société de droit suisse dénommée Sicpa, consistera à ce que celle-ci installe sur les outils de production des industries brassicoles un module spécifique de marquage produit par ladite société elle-même mais payé par les entreprises avec pour prétexte le marquage de chaque bouteille produite au Cameroun. De prime abord, les non-initiés peuvent penser qu'il s'agit d'une action louable. Après divers recoupements, ce n'est absolument pas le cas. Cette société suisse connaît déjà des problèmes devant les juridictions des pays où elle opère ou a déjà opéré. Pays où sa réputation est entachée par de nombreux scandales notamment de corruption à grande échelle. C'est le cas au Brésil, au Maroc, en France, au Kenya, en Tanzanie et bien d'autres. La liste est loin d'être exhaustive. Dans les pays que je viens de citer, cette société n'a jamais produit de résultats fiables et probants. D'où de nombreuses plaintes formulées à son encontre. Plusieurs articles de presse évoquent, au-delà de la corruption, d'énormes pratiques d'évasion fiscale. Comment se fait-il qu'une telle société qui est chassée partout dans le monde, cherche à s'introduire au Cameroun pour provoquer de nouvelles charges qui vont se répercuter sur le consommateur final ? C'est fort de cette préoccupation qu'en tant que député dont la mission première est de contrôler l'action gouvernementale, j'ai adressé en date du 29 septembre dernier par courrier Dhl, une correspondance au ministre des finances pour lui demander de « bien vouloir me préciser les conditions d'attribution de ce marché d'apposition des vignettes conformément aux dispositions légales, de me faire tenir les contrats établis avec la société Sicpa, de m'indiquer si ses services ont enquêté sur la réputation de cette société et quels en ont été les résultats afin de me permettre d'avancer sur les investigations ».

À date, je n'ai reçu aucune réaction ! Ce silence assourdissant m'oblige à rendre publiques les conclusions de mon enquête : pour ce qui concerne le modus operandi, chaque marquage sur les boissons sera payé par les sociétés brassicoles à la société suisse Sicpa, non pas dans un compte établi dans une banque locale mais directement dans un compte ouvert en Suisse. D'où la consécration légale de la fuite des devises. Or chaque camerounais peut constater aujourd'hui, en regardant simplement à l'intérieur des capsules et sur les bouteilles de chaque bière, un marquage systématique avec un numéro de série clairement inscrit.

Si une telle mafia est entérinée, les entreprises brassicoles seront obligées de modifier leur ligne de production au niveau des chaînes d'embouteillage pour installer un outil supplémentaire pour ce nouveau type marquage. D'où de nouvelles charges qui vont survenir au moment où les industries brassicoles camerounaises ploient déjà sous le coup assez rude de la fiscalité. Peut-être faut-il rappeler que ces industries subissent également de plein fouet la crise Russo-ukrainienne qui a créé une crise inflationniste mondiale sans précédent; crise qui a de façon désastreuse induit une augmentation drastique de leurs charges dont une infime partie seulement a été répercutée en 2019 du fait du changement de la base d'imposition du droit d'accise ad valorem Comme si cela ne suffisait pas, la loi des finances 2023 a consacré l'élargissement de la taxe spéciale sur les produits pétroliers (Tspp) au gaz naturel, énergie que les sociétés brassicoles utilisent désormais pour pallier les insuffisances du fournisseur d'électricité Eneo. Il faut également tenir compte de l'inflation qui continue de persister en 2023 comparée à l'exercice 2022: malt (+50%), gritz de maïs (+35%), alcool bon goût (+18%), énergies (+16%). Comment expliquer que c'est en ce moment justement que la fumeuse mafia veut opérer sa rapine? Au cas où la société Sicpa réussit son coup fumant, soit il y aura une réduction des effectifs au sein des industries brassicoles soit cette nouvelle charge va certainement augmenter le prix de vente de la bière qui va inéluctablement se répercuter sur le consommateur final. Les prix étant homologués par le ministère du commerce, les entreprises brassicoles ne peuvent pas augmenter les prix de vente n'importe comment.

Il restera par conséquent une seule issue ou option à ces entreprises brassicoles à savoir la compression des effectifs avec tout ce que cela va comporter comme grabuge social. Au finish, la mafia sera de toute évidence la seule gagnante de cette opération de marquage avec de surcroît des devises engrangées comme bonus. Le Cameroun a déjà tellement de foyers de tension qu'il est inopportun d'en rajouter. Le nouveau marquage des bières va induire de nouvelles charges qui vont faire en sorte que les problèmes ne vont que s'accentuer dans notre pays. De ce qui précède, sur le plan technique, ce projet de nouveau marquage de bières est à proscrire. Il est en plus économiquement inefficace et suicidaire pour les entreprises (baisse des ventes et par conséquent du bénéfice) ainsi que pour l'État (baisse des impôts et taxes divers résultant de la chute de leurs chiffres d'affaires). Il est également socialement dangereux (inéluctable réduction des effectifs et augmentation du chômage à défaut de l'augmentation des prix de vente qui sera répercutée en bout de chaîne au consommateur final).

Comme je l'ai mentionné supra, nulle part cette société suisse dénommée Sicpa n'a fait ses preuves, si ce n'est satisfaire les copains et les coquins dans les pays où elle a exercé. Pourquoi vouloir l'imposer coûte que coûte au Cameroun ? il m'est d'ailleurs revenu avec insistance que le lobbying est activement mené et assuré par un membre de la famille présidentielle qui ne ménage aucun effort en même temps qu'il fait feu de tout bois pour que ce nouveau type de marquage par la Sicpa soit imposé dans la loi des finances de l'exercice 2024. Il faut arrêter cette mafia qui alimente cette corruption ambiante et rampante qui gangrène le pays. C'est scandaleux! Ce projet est cousu de fil blanc !

Auteur: Jean Michel Nintcheu