Cameroun - Nigeria et attentats de Maroua : au-delà de l’union sacrée contre Boko Haram

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Sun, 26 Jul 2015 Source: Sa’ah François Guimatsia

L’Afrique est en permanence le continent des urgences. A celle de l’intégration incontournable du continent pour plus de poids et de visibilité en vue de l’émergence, il faut désormais ajouter, notamment pour le Cameroun et le Nigeria, l’extrême urgence d’en finir avec la secte terroriste Boko Haram qui croît chaque jour en capacité de nuisance, et risque de mettre entre parenthèses ou du moins ralentir nos projets de développement.

En plus de sa grande charge anxiogène, elle pose en effet aux deux pays un véritable problème de survie dans leur configuration actuelle, une situation qui exige une grande mobilisation de leurs moyens matériels sur le terrain et une franche mutualisation de leurs atouts diplomatiques dans le monde.

Les deux pays voisins et frères devraient s’organiser pour vite tourner la page de cet ennemi inattendu, et s’occuper des chantiers urgents et déterminants qui les attendent.

I – Menace sérieuse, stratégie appropriée

La ville de Maroua dans l’extrême nord du Cameroun vient d’être frappée deux fois en une semaine par le terrorisme, avec au bilan des centaines de victimes.

L’insécurité devient ainsi la première menace à la paix et au développement. Face à ces terroristes basés au Nigeria qui sèment la désolation par des attaques et des attentats dans plusieurs pays, prennent des otages, font des milliers de réfugiés et des millions d’angoissés, le temps n’est ni aux chauvinismes déplacés ni aux frilosités contreproductives.

Cette nébuleuse, qui proclame son alliance avec l’islamisme international, peut très rapidement créer le chaos ou faire imploser physiquement, moralement et institutionnellement nos fragiles Etats. Il s’agit d’une agression militaire, institutionnelle, culturelle, etc.

C’est donc le temps pour nos deux pays de construire un parapluie sécuritaire commun avec l’appui des pays amis, qui prenne notamment la forme d’une coalition puissante et dissuasive. Le but ici est tout simplement d’unir nos forces jusqu’à certains niveaux de la technologie sécuritaire pour devenir plus forts ensemble dans la défense des mêmes intérêts contre le même ennemi. Mais tel ne semble pas être le cas, étant donné certaines réticences ou négligences observables depuis l’irruption de cette nébuleuse.

La riposte militaire camerounaise a fait la preuve de son efficacité en contraignant l’ennemi à revoir sa tactique. Les actions de nos forces de sécurité devraient devenir préventives, pluridimensionnelles et coordonnées, bien huilées par le renseignement. La certitude pour le Cameroun de s’en sortir victorieux est totale, grâce à l’appui précieux du Tchad qui s’est impliqué dans ce combat sans se faire prier, par solidarité panafricaine étant donné que Boko Haram se positionne comme une calamité sans frontières.

Le Cameroun et le Nigeria, dont l’histoire s’est parfois écrite en lettres de sang, connaissent le prix de la paix et de la sécurité et ne devraient ménager aucun effort pour éliminer ce qui pourrait les remettre en question.

Ajoutons que si cette crise débouchait à terme sur une meilleure prise en compte des besoins socioéconomiques des contrées périphériques pour un développement équilibré de nos pays, cela serait une amélioration de la gouvernance à saluer. Les jeunes de ces localités resteraient sourds aux sollicitations des sectes obscurantistes.

De même, si les populations, par un réflexe sécuritaire collectif, désormais s’intéressaient un peu plus à ce qui se passe autour d’elles (qui est qui ? qui fait quoi ? qui vient d’où ? qui va où ?, etc.), ce serait aussi un acquis appréciable dans nos pays habitués au dilettantisme et au laxisme dans tous les domaines. Toutes les erreurs à corriger dans nos systèmes ainsi que les leçons à apprendre devront être soulignées dans le bilan final.

II-Un œil sur l’avenir post-Boko Haram

Cependant l’avenir reste plus important que le présent. Le Cameroun et le Nigeria partagent une longue frontière lacustre, terrestre et maritime de plus de 1700 km. Cet immense espace ne saurait être abandonné aux trafiquants sans foi ni loi, encore moins devenir une zone de non-droit où tout se fait dans le noir. Comme toutes les grandes frontières dans le monde, celle-ci est une véritable mine d’or qui devrait être sécurisée et faire l’objet d’une grande préoccupation de la part des deux Etats concernés.

-Normaliser leurs échanges transfrontaliers. La plus grande partie de ces échanges, recouverte sous le manteau de l’informel ou de la contrebande, n’est officiellement ni reconnue ni comptabilisée. Les deux pays ont pourtant intérêt à formaliser (c’est-à-dire libéraliser, contrôler et sécuriser) ces importants flux.

Le Cameroun ne saurait ignorer l’existence à son arrière-cour d’un énorme marché de plus 170 millions de consommateurs, tout comme le Nigeria ne saurait négliger le Cameroun qui est pour lui la porte d’entrée en Afrique Centrale. Le Cameroun en particulier gagnerait énormément à transformer ce voisinage souvent dangereux avec le Nigeria (du point de vue sécuritaire et sanitaire) en une proximité économiquement rentable et politiquement capitalisable. Accepter le statu quo avantagerait plutôt son géant voisin.

Rappelons que plusieurs milliers de Nigérians vivent et font des affaires au Cameroun, tandis que le Nigeria accueille la plus grande diaspora camerounaise estimée à plus de trois millions d’âmes. Ces deux fortes colonies pourraient devenir les têtes de proue d’une redynamisation des échanges formalisés entre les deux pays, si les choses étaient bien structurées dans ce sens par les deux Etats.

-Construire l’intégration africaine. Avec des atouts comme son imposant marché intérieur, son dynamique secteur privé et une classe moyenne de plus de 30 millions d’individus, le Nigeria est devenu la locomotive économique du continent, devant l’Afrique du Sud. Vu du Cameroun, il est le symbole d’une Afrique positive qui s’affirme, à travers son économie florissante, sa culture foisonnante et son expérience concluante de la décentralisation par le fédéralisme.

Il est aussi la porte d’entrée à la CEDEAO qui a des centaines de millions d’habitants. Ces éléments et bien d’autres constituent la plateforme idéale pour une solide complémentarité bilatérale annonciatrice de l’intégration de l’Afrique malgré sa diversité géographique et humaine : pour les deux pays et leurs deux sous-régions, ce serait un pas vers l’union de l’Afrique francophone et de l’Afrique anglophone ; bien plus, les deux pays réuniraient ainsi à la fois les deux plus grandes aires linguistiques et les deux plus grandes zones économiques du continent, étant donné leur situation à la lisière de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique Centrale.

Comme le couple franco-allemand connu et reconnu comme le moteur de la construction européenne, le Cameroun et le Nigeria détiennent la clé de l’intégration africaine. Leurs dirigeants politiques en sont-ils suffisamment conscients ? Savent-ils que si un jour leurs deux pays décidaient de constituer ensemble le noyau initial de l’entité panafricaine - entraînant dans leur sillage le Gabon, le Tchad, la Centrafrique et la Guinée Equatoriale - l’histoire de ce continent se métamorphoserait du jour au lendemain ?

III- Quelques disparités à transcender

Toutefois n’oublions pas que le Cameroun et le Nigéria appartiennent respectivement à l’Afrique francophone et à l’Afrique anglophone. La différence linguistique ici n’est que l’arbre qui cache la forêt d’autres disparités structurelles beaucoup plus significatives :

-Deux héritages coloniaux différents. Dans l’ensemble, l’Afrique francophone est culturellement désorientée et déréglée, avec un système scolaire mimétique qui tourne le dos aux réalités et aux valeurs endogènes. La promotion du français est faite dès l’école maternelle, tandis que les langues autochtones sont perçues comme inadaptées à la modernité. Malgré l’indépendance, un néocolonialisme spoliateur et castrateur y perpétue l’influence et la domination de l’ex-colonisateur. Plus grave, le franc CFA est un puissant facteur d’extraversion économique fonctionnant comme une prison monétaire qui empêche toute émancipation, tandis que la corruption endémique et la justice soumise à l’exécutif éloignent bon nombre d’investisseurs potentiels.

En comparaison, l’Afrique anglophone promeut mieux l’Etat de droit et la bonne gouvernance. Les facteurs de croissance comme l’accès à l’Internet, l’esprit d’entreprise, l’environnement juridique des affaires, l’indépendance du pouvoir judiciaire, etc. y sont visiblement plus affirmés et mieux affermis qu’en Afrique francophone.

C’est la preuve que, même si la colonisation n’a été philanthropique nulle part, du moins les pays anglophones jouissent d’une plus grande souveraineté postcoloniale. Par ailleurs ils disposent d’une infrastructure industrielle plus importante et produisent plus de richesses matérielles : le PIB de l’Afrique subsaharienne est produit à 19% par les Francophones et à 47% par les Anglophones (l’Afrique du Sud non comprise).

Malgré leur formatage dans deux moules coloniaux différents, le Cameroun et le Nigeria indépendants devraient transcender leur histoire pour s’occuper de leur géographie. Il s’agit de dépasser leurs clivages socioculturels d’origine coloniale pour se construire une interdépendance dynamique, dans le respect de leurs besoins ou intérêts d’aujourd’hui.

-Deux politiques linguistiques différentes. Au Nigeria, les premiers dirigeants postcoloniaux ont compris l’importance des valeurs culturelles autochtones. Face aux 460 langues ethniques en présence, ils ont décidé de promouvoir trois langues dites « majeures » selon la terminologie officielle, à enseigner dès l'école primaire.

Il s’agit du yoruba à l'Ouest, du haoussa au Nord et de l’igbo à l'Est. Plus de 50 ans après ce choix déterminant, il existe au Nigeria une vibrante littérature et une vivante culture de l'oralité en ces trois langues et en bien d’autres, contrairement au Cameroun où seuls le français et l’anglais sont officiellement promus.

Par rapport à la personnalité induite des peuples, c’est pour le Nigeria un acquis inestimable au potentiel incalculable. On peut en apprécier la pertinence dans sa filmographie, sa production artistique, ses médias, etc. C’est ainsi que l’Université de Kano, par exemple, peut aujourd’hui proposer des études doctorales en langue haoussa à ses étudiants venant d’horizons divers.

Le pays a cependant ressenti depuis quelques années ses besoins en langue française pour faciliter son rayonnement sous-régional. Une étude réalisée en 2002 par le British Council a révélé que 85% des Nigérians entre 18 et 35 ans souhaitaient maîtriser le français pour mener des carrières internationales ou simplement pour faire des affaires dans une Afrique de l’Ouest majoritairement francophone.

Il pourrait même devenir en quelques années l’un des plus grands pays francophones d’Afrique juste par nécessité géoéconomique, si la moitié de ses 170 millions d’habitants devenait bilingue français-anglais. La France semble avoir compris cette tendance, et elle investit massivement ces dernières décennies dans la promotion de sa langue et de sa culture au Nigeria, en plus de sa présence commerciale assurée par Total, Lafarge, Air France, etc. La complémentarité linguistique entre le Cameroun et le Nigeria deviendrait évidente dans ce contexte: le premier pourrait avoir besoin du second pour promouvoir ses langues autochtones, et le second pourrait avoir besoin du premier pour promouvoir le français pour Anglophones.

Au-delà de l’éradication de Boko Haram, le Cameroun et le Nigeria ont donc de grands chantiers communs à bâtir dans un esprit de partenariat gagnant-gagnant, car la géographie et l’histoire ont tissé entre eux de solides liens culturels.

Rappelons à titre d’exemple que c’est du nord du Nigeria que le conquérant peulh Ousmane Dan Fodio a lancé l’islamisation du Nord-Cameroun vers l’an 1800; c’est également d’Enugu (à l’Est du Nigeria) que les Anglais ont administré, de 1921 à 1961, l’actuelle partie anglophone du Cameroun. Après leur sortie de l’actuel calendrier imposé par Boko Haram, les deux pays devraient dépasser leur suspicion mutuelle née du conflit de Bakassi, et devenir de véritables associés travaillant pour un avenir radieux pour leurs deux peuples et pour toute l’Afrique.

Auteur: Sa’ah François Guimatsia