Cameroun-Suisse : histoire comparée de la démocratie helvétique et camerounaise

Paul Biya en Suisse

Mon, 6 Jun 2022 Source: Jean Bonheur Résistant

Attention : texte long, autant mieux le traverser si vous ne pouvez pas le lire jusqu'à la fin. Temps de lecture 15min mais peut se faire en beaucoup moins pour ceux qui lisent rapidement. Rien à voir avec les japaps qui pullulent sur la toile et contribuent à la distraction et détournent des vrais sujets qui méritent notre attention.

Première partie – Les chanceliers de la Confédération suisse depuis 1848

L’État helvétique ou la Confédération suisse (en sa forme courte la Suisse) existe dans sa forme confédérale depuis 174 ans avec l’adoption de sa Constitution fédérale de 1848 ; une constitution suisse qui jusqu’à ce jour n’aura connu que deux refontes, l’une en 1874 (constitution de 1874) et la plus récente en 1999 (constitution de 1999). De 1848 à 2022, la Confédération suisse aura en tout connu successivement 14 chanceliers, tous systématiquement élus, pour au final une moyenne globale de 12 ans au poste de Chancelier de la Confédération suisse. Les 14 chanceliers seront en tout issus de 12 cantons (État fédéraux) distincts parmi les 26 cantons que comptent la Suisse, sans que pourtant aucune loi écrite n’oblige une telle rotation entre différents cantons.

1. Le tout premier chancelier de la Confédération suisse, né en 1813, Johann Ulrich SCHIESS (docteur en lettres et magistrat de profession), sera élu le 16 novembre 1848 pour un mandat de 3 ans renouvelable, et sera ensuite réélu 10 fois consécutivement de 1851 à 1878, faisant de lui le détenteur du record de longévité à ce jour à cette fonction qu’il aura ainsi exercée durant 33 ans, de son élection en 1848 au 31 décembre 1881, de l’âge de 35 ans à l’âge de 68 ans. Il sera ensuite élu député au Conseil national suisse, où il siégera durant 2 ans avant son décès en 1883 à l’âge de 70 ans.

2. Le deuxième chancelier de la Confédération suisse, né en 1837, Karl ALBRECHT GOTTLIEB RINGIER (avocat de profession), sera élu pour la première fois le 14 décembre 1881, et sera ensuite réélu 9 fois consécutivement de 1884 à 1908, faisant ainsi de lui le détenteur du second record de longévité à ce jour à cette fonction qu’il aura exercée durant 28 ans, du 1er janvier 1882 au 31 décembre 1909, de l’âge de 45 ans à l’âge de 72 ans où il prendra sa retraite politique. Il décède en 1929 à l’âge de 92 ans.

3. Le troisième chancelier de la Confédération suisse, né en 1848, Hans SCHATZMANN (avocat de profession puis magistrat), sera élu le 16 décembre 1909, puis réélu 3 fois consécutivement en 1911, 1914 et 1917. Il aura donc occupé la fonction durant 8 ans, du 1er janvier 1910 au 31 décembre 1918, de l’âge de 62 ans jusqu’à sa démission à l’âge de 70 ans. Il décèdera 5 ans plus tard en 1923, à l’âge de 75 ans, de suite d’un AVC.

4. Le quatrième chancelier de la Confédération suisse, né en 1859, Alfred Armand ADOLF von STEIGER (avocat de profession puis magistrat), sera élu le 11 décembre 1918, puis réélu 2 fois consécutivement en 1919 et 1922. Il aura occupé la fonction durant 6 ans, du 1er janvier 1919 au 1er mars 1925, date à laquelle il décède en fonction et en pleine séance de travail de suite d’un AVC. Il aura été chancelier de la Confédération de l’âge de 60 ans à l’âge de 66 ans.

5. Le cinquième chancelier de la Confédération suisse, né en 1861, Robert KÄSLIN (docteur en droit et avocat de profession, puis greffier au tribunal de Baden durant 20 ans), sera élu le 26 mars 1925, puis réélu 3 fois consécutivement en décembre 1925, puis en 1928 et 1931. Il aura occupé la fonction durant 9 ans, du 27 mars 1925 au 31 mars 1934, date à laquelle il démissionne pour raisons médicales. Il décèdera la même année du fait d’une pneumonie aiguë. Il aura été chancelier de la Confédération de l’âge de 64 ans à l’âge de 73 ans.

6. Le sixième chancelier de la Confédération suisse, né en 1874, George BOVET (docteur en droit et journaliste de profession), sera élu le 22 mars 1934 (en raison de la démission en fonction, de son prédécesseur), puis réélu 2 fois consécutivement en 1935 et 1939 pour des mandats entretemps passés de 3 ans à 4 ans. Il est le tout premier chancelier fédéral originaire de la Suisse romane (de la partie francophone de la Suisse), ses prédécesseurs ayant tous été originaires de la Suisse alémanique (de la partie germanophone de la Suisse). Il aura occupé la fonction durant 9 ans, du 1er avril 1934 au 31 décembre 1943, de l’âge de 60 ans à l’âge de 69 ans. Il décède en 1946 à l’âge de 72 ans.

7. Le septième chancelier de la Confédération suisse, né en 1886, Oskar LEIMGRUBER (docteur en droit et entre autres journaliste, avocat, juriste-conseil), sera élu le 14 décembre 1943, puis réélu une unique fois en 1947, ne s’étant pas représenté comme candidat au poste à l’élection de 1951. Il aura donc occupé la fonction durant 8 ans, du 1er janvier 1944 au 31 décembre 1951, de l’âge de 58 ans à l’âge de 66 ans. Il décède en 1976 à l’âge de 90 ans.

8. Le huitième chancelier de la Confédération suisse, né en 1902, Charles OSER (docteur en droit et secrétaire-traducteur à la Chancellerie fédérale durant 16 ans, puis vice-chancelier durant 7 ans), sera élu le 13 décembre 1951, puis réélu 3 fois consécutivement en 1955, 1959 et 1963. Il aura occupé la fonction durant 16 ans, du 1er janvier 1952 au 31 décembre 1967, de l’âge de 50 ans à l’âge de 65 ans. Il décède en 1994 à l’âge de 92 ans.

9. Le neuvième chancelier de la Confédération suisse, né en 1915, Karl HUBER (docteur en droit, collaborateur juridique puis fonctionnaire fédéral durant 26 ans), sera élu le 14 décembre 1967, puis réélu 3 fois consécutivement en 1971, 1975 et 1979. Il aura occupé la fonction durant 11 ans, du 1er janvier 1968 au 30 juin 1981, de l’âge de 53 ans à l’âge de 66 ans. Il décède en 2002 à l’âge de 87 ans.

10. Le dixième chancelier de la Confédération suisse, né en 1926, Walter Emil BUSER (docteur en droit et journaliste de profession, puis fonctionnaire fédéral durant 16 ans, puis vice-chancelier durant 8 ans ; professeur extraordinaire de droit administratif à l’université de Bâle), sera élu le 11 juin 1981, puis réélu 2 fois consécutivement en 1983 et 1987. Il aura à ce jour été le seul chancelier fédéral socialiste (encarté au Parti socialiste), tous ses prédécesseurs et ses successeurs ayant tous été de la Droite radicale ou du Centre droit. Il aura occupé la fonction durant 10 ans, du 1er juillet 1981 au 30 juin 1991, de l’âge de 55 ans à l’âge de 65 ans. Il décède en 2019 à l’âge de 93 ans.

11. Le onzième chancelier de la Confédération suisse, né en 1935, François COUCHEPIN (notaire & avocat de profession, fonctionnaire fédéral durant un an, puis vice-chancelier durant 10 ans), sera élu le 12 juin 1991, puis réélu 2 fois consécutivement le 11 décembre1991 et le 13 décembre 1995. Il aura donc occupé la fonction durant 8 ans, du 1er juillet 1991 au 31 décembre 1999, de l’âge de 56 ans à l’âge de 64 ans. Aujourd’hui âgé de 87 ans en 2022, il coule une paisible retraite dans sa Suisse natale.

12. La douzième chancelière de la Confédération suisse, née en 1948, Annemarie HUBER-HOTZ (sociologue et politiste de formation, elle occupera différents postes administratifs au sein de l’Assemblée fédérale suisse durant 21 ans), sera élue le 15 décembre 1999, puis réélue une unique fois le 10 décembre 2003. Elle est la première femme à avoir occupé le poste de Chancelier de la Confédération suisse. Elle aura occupé la fonction durant 8 ans, du 1er janvier 2000 au 31 décembre 2007, de l’âge de 52 ans à l’âge de 59 ans. Elle décède en 2019, à l’âge de 71 ans, de suite d’un AVC.

13. La treizième chancelière de la Confédération suisse, née en 1956, Corina Lydia CASANOVA (avocat de profession, poste administratif au sein de l’Assemblée fédérale suisse durant 4 ans, puis fonctionnaire fédéral durant 11 ans), sera élue le 12 décembre 2007, puis réélue une unique fois le 10 décembre 2011. Elle est la seconde femme à avoir occupé le poste de Chancelier de la Confédération suisse. Elle aura occupé la fonction durant 8 ans, du 1er janvier 2008 au 31 décembre 2015, de l’âge de 52 ans à l’âge de 59 ans. C’est sous son administration que la Chancellerie de la Confédération suisse fera un « bon » en avant dans l’ère du numérique, en

« professionnalisant » notamment la communication digitale du Conseil fédéral

« désormais présent sur les réseaux sociaux ».

14. Le quatorzième et actuel chancelier de la Confédération suisse, né en 1963, Walter THURNHERR (diplomate de formation, fonctionnaire fédéral durant 24 ans), a été élu le 9 décembre 2015, puis réélu le 11 décembre 2019. Âgé de 59 ans en 2022, il occupe la fonction depuis le 1er janvier 2016, alors âgé de 53 ans. Il est le cinquième chancelier fédéral Suisse successif en fonction depuis l’arrivée de Paul BIYA au pouvoir au Cameroun en 1982, et le septième chancelier fédéral Suisse en fonction depuis le recrutement de Paul BIYA comme chargé de mission à la présidence de la république du Cameroun en 1962.

Le Chancelier fédéral Walter THURNHERR était donc âgé de seulement 19 ans (3 mois et 26 jours) lorsque Monsieur BIYA Paul devint Président du Cameroun le 6 novembre 1982, et était à peine âgé d’un an lorsque Monsieur BIYA Paul intégrait l’administration camerounaise en 1962. De ce fait, même par

« solidarité générationnelle », l’actuel chancelier fédéral suisse ne saurait « soutenir » le maintien au pouvoir à vie de l’actuel président camerounais et ne saurait continuer d’autoriser des séjours privés de ce dernier sur le territoire de la Confédération suisse, au détriment du Peuple Camerounais meurtri et embastillé par ce « président nonagénaire ».

Deuxième partie – Les présidents de l’État du Cameroun depuis 1960

1. Entre 1884 et 1916, le « Kamerun » est un vaste territoire d’Afrique sous le protectorat de l’Empire allemand et habité par une mosaïque de peuples autochtones séculaires, organisés en Royaumes hiérarchisés, en Chefferies patriarcales, ou vivant dans des organisations sociales non hiérarchisées mais avec ses codifications intrinsèques. A la fin de la deuxième guerre mondiale, le Kamerun passera sous tutelle de la Société des Nations qui en 1919 confiera son administration territoriale à un condominium franco-britannique. Mais dans les faits, la France et les Royaume-Unis exerceront une administration de type coloniale sur chacun des territoires du Kamerun sous leurs mandats. Après la deuxième guerre mondiale, les peuples autochtones du Cameroun obtiendront, notamment grâce aux luttes d’indépendance armées conduites par l’Union des populations du Cameroun (UPC) et le One Kamerun Party (OKP), la fin de l’administration coloniale et une réunification partielle des territoires de l’ancien Kamerun. Le mandat français prendra fin le 1er janvier 1960, tandis que le mandat britannique prendra fin le 1er octobre 1961.

2. La République Fédérale du Cameroun sera par ailleurs proclamée ce même 1er octobre 1961, avec l’entrée en vigueur de la première constitution fédérale du Cameroun, avec de facto pour premiers Président et Vice-président le binôme Ahmadou AHIDJO pour le Cameroun francophone et Jonh NGU FONCHA pour le Cameroun anglophone. La constitution fédérale de 1961 du Cameroun aura tour à tour connue 4 « évolutions » majeures opérées successivement : en 1972 (suppression de l’État fédéral et entre autres du poste de Vice-président de la république), en 1984 (suppression de l’État unitaire et suppression du poste de Premier ministre), en 1996 (introduction d’un sénat au parlement et allongement de la durée d’un mandat présidentiel de 5 ans à 7 ans), et en 2008 (suppression de la limitation du nombre possible de mandats présidentiels et immunité à vie octroyée au président de la république pour tous les actes posés durant sa présidence). A ce jour, en plus de 60 ans d’indépendance, les Camerounais n’auront connu que 2 présidents de la République à la tête de l’État du Cameroun.

3. Le premier président de l’État Fédéral du Cameroun à l’issue d’une élection sera (à nouveau) Ahmadou BABATOURA AHIDJO (fonctionnaire des PTT, né en 1924), le 23 mars 1965, pour un mandat de 5 ans. Il se fera ensuite réélire 3 fois consécutivement, en 1970, en 1975 et en 1980, sous la bannière du parti unique dénommée Union Nationale Camerounaise (UNC). Ahmadou Ahidjo aura été Président du Cameroun durant 22 ans, du 5 mai 1960 au 4 novembre 1982, de l’âge de 36 ans à l’âge de 58 ans. Il poursuivra durant sa présidence la lutte armée contre l’UPC, jusqu’à élimination politique complète de ses principaux leaders, dont l’assassinat par empoisonnement de Félix-Roland MOUMIÉ à Genève en Suisse en 1960, l’assassinat par des militaires de Castor OSENDE AFANA dans le sud-est du Cameroun en 1966, l’exécution publique par fusillade de Ernest OUANDIÉ à Bafoussam dans l’ouest du Cameroun en 1971).

4. Le Président Ahmadou AHIDJO transmettra ensuite le pouvoir, par une pirouette politique et une modification de la constitution en vigueur du Cameroun, à son Premier ministre Paul BIYA, qu’il avait recruté en 1962 comme chargé de mission à la présidence de la république du Cameroun, et qu’il avait progressivement nommé à différentes fonctions politiques d’importance (secrétaire de cabinet ministériel, ministre, secrétaire général à la présidence de la république, ministre d’État, Premier ministre). Il sera par la suite, en 1984, poussé à l’exil politique par son successeur le Président Paul BIYA qui, la même année, le fera condamner à mort par contumace par un tribunal militaire à Yaoundé, puis il décèdera en exil à Dakar au Sénégal le 30 novembre 1989, de suite d’un AVC à l’âge de 65 ans. Sa dépouille funéraire n’aura jamais été rapatriée dans sa terre natale du Cameroun malgré son souhait exprimé de son vivant, et il n’aura jamais en 33 ans reçu d’hommage national de la part de son successeur en dépit des demandes répétées de son épouse Germaine Habiba AHIDJO, qui elle également décèdera en exil à Dakar au Sénégal le 20 avril 2021 et dont la dépouille repose désormais auprès de son mari en terre Sénégalaise.

5. Le second président de l’État du Cameroun sera monsieur Paul BIYA BI MVONDO (recruté en 1962 par Ahmadou AHIDJO, comme chargé de mission à la présidence de la république du Cameroun, tout juste âgé de 29 ans et à son retour au Cameroun à la fin de ses études supérieures en France). Il « héritera » du pouvoir présidentiel en 1982, à l’âge de 49 ans, à suite de la démission de son prédécesseur le Président Ahmadou AHIDJO, et cela par un mécanisme de « succession constitutionnel » mis en place par Ahmadou AHIDJO. Il se fera ensuite, en 1984, pour la première fois élire comme Président de la République, sous la bannière du parti unique UNC (parti-État) de son prédécesseur Ahmadou AHIDJO. Toutefois il se brouille profondément avec son mentor et prédécesseur, notamment au sujet de la présidence du parti unique UNC (parti-État).

6. Monsieur Ahmadou AHIDJO sera finalement poussé en 1984 à un exil forcé par son

« protégé » d’hier et « successeur constitutionnel » Paul BIYA ; exil à Dakar au Sénégal d’où il décèdera 5 ans, tandis que le Président Paul BIYA prendra la tête de l’appareil politique UNC qu’il rebaptisera simplement, le 24 mars 1985, en Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC). Le RDPC sera ainsi le seul parti politique autorisé au Cameroun jusqu’en 1990, tandis Paul BIYA se fera à nouveau réélire

« par acclamation » en 1988, comme Président de la République. En 1992 lors des premières élections présidentielles multipartites, Paul BIYA perdra le scrutin face à une coalition de l’opposition portée par le parti socialiste SDF et son leader John NI FRU NDI, mais il procèdera alors, de l’avis de nombreux observateurs, à un véritable hold-up électoral, en faisant inverser le résultat des urnes entre les deux candidats arrivés en tête du scrutin. Puis il se fera

« réélire » par des scores jupitériens respectivement en 1997, en 2004, puis en 2011.

7. En 2018, suite à une seconde défaite flagrante à l’élection présidentielle face à une coalition de l’opposition portée par le parti social-libéral MRC et son leader Maurice KAMTO, Monsieur BIYA procédera à un second hold-up électoral et à une répression politique des plus féroces. Il fera arrêter le véritable vainqueur des élections S. E Maurice KAMTO, son 1er SÉIDE que je suis et près de 200 militants et sympathisants du MRC qu'il fera mettre sous mandat de détention provisoire pour une durée de 9 mois. A ce jour, des centaines de prisonniers politiques francophones et Anglophones, parfois âgés de moins de 30 ans ou de plus de 60 ans, demeurent en détention arbitraire dans les prisons du Cameroun, tandis que Monsieur BIYA, âgé de 89 ans, poursuit ses traditionnels voyages de villégiatures à Genève en Suisse, jouant au passage au « pritango gotapi » (jouer au chat et à la souris) avec ses compatriotes mécontents et désormais décidés à le lui faire savoir au moindre de ses déplacements en Occident. Des compatriotes dont certains n’étaient même pas encore nés il y a 40 ans à son arrivée au pouvoir au Cameroun, mais dont l’audace, le courage et la détermination n’ont d’égal que l’outrecuidance, l’obstination et l’arrogance de Monsieur BIYA.

Auteur: Jean Bonheur Résistant