Ce n’est pas un fait nouveau. Le terrorisme verbal qui, depuis quelques jours, s’est invité dans nos « débats ». Les discours dénotent la surenchère identitaire et la stigmatisation. Les apôtres de la haine frappent sans pitié. Certaines communautés sont en vedette ou ravissent la vedette à d’autres. L’on assiste à des simplifications tactiques des identités partisanes contraires à l’idée de « République ». À se demander si le Cameroun existe.
Le Cameroun existe-t-il ?
Si nous partons de la définition classique qui veut qu’un pays soit une division territoriale habitée par une collectivité constituant une entité géographique et humaine, la réponse à cette question s’impose d’elle-même. L’idée de « collectivité » suppose un tout indissociable.
Elle implique celle d’identité, d’identité territoriale. L’identité territoriale, dans les sociétés plurielles de peuplement composite, doit logiquement transcender les identités de type communautariste.
L’idée de « collectivité » implique également celle de nationalité, de nationalité politique. Dans les sociétés plurielles de peuplement composite, la nationalité politique doit, logiquement, transcender les nationalités culturelles.
Dès lors que des particularismes qui dénotent la défense des solidarités primaires s’expriment, cela suppose une rupture si tant est que les différentes composantes de la « République » aient été, à un moment soudées, l’État ethniquement homogène étant rare (Eswatini) ou impossible.
Le « Cameroun » comme utopie coloniale
Le Cameroun est une création allemande. Les nombreux peuples encadrés par ses frontières n’ont pas donné leur accord pour se retrouver dans cet espace dont l’occupation est le résultat de plusieurs vagues migratoires. Leur avis n’a jamais été sollicité.
Certaines migrations ayant occasionné l’éparpillement de plusieurs groupes sur ce territoire sont dues à différents épisodes de surchauffe sociale (trafics, dissidences, désobéissance, conflits, etc.).
Pour certains membres de ces groupes, le « Cameroun » est un espace virtuel où l’on doit profiter des positions stratégiques héritées des hasards de l’histoire ou du fait colonial. L’espace social devient donc une sorte d’arène où se perpétuent d’anciennes dissensions ou d’anciens conflits que la « République » n’a pas réussis à dissoudre.
Ces dissensions et ces conflits, dominés par le thème de l’ennemi, se sont invités dans le champ politique.
La polarisation de l’identité tribale dans le champ politique
L’instrumentalisation de la tribu à des fins politiques date de la période allemande. Elle a été accentuée pendant le mandat et la tutelle et a atteint des proportions alarmantes pendant les décennies 1950-1970. Le profilage ethnique a stigmatisé les communautés d’origine des leadeurs nationalistes et le délit de faciès a pesé sur ceux qui appartenaient ou étaient soupçonnés d’appartenir à ces communautés. Les « collabos », associés à la catégorie de traitres, n’ont pas, quant à eux, échappé aux foudres des « pestiférés ».
Malgré les politiques d’« unité » (Ahmadou Ahidjo) et d’intégration (Paul Biya) nationales, les séquelles des catégorisations sociales et les lignes de fracture dans le champ social se sont maintenues. Les efforts n’ont pas, malheureusement, porté là où ils auraient dû l’être, consacrant le triomphe des identités infranationales dont la crise anglophone est l’une des conséquences.
Les réalités qu’on occulte
Dans sa configuration actuelle, l’espace territorial qui porte le nom « Cameroun » est une société plurielle de peuplement composite. Mais les thèses qui recensent, à l’échelle de l’État-nation, 240 à 260 ethnies et autant de langues résistent difficilement aux données du réel.
Paul Abouna qui défend la thèse de la consanguinité (les Camerounais partagent le même sang) de la co-culturalité (ils ont des traits culturels communs) des peuples du Cameroun s’oppose aux théories qui veulent que la population du pays soit une conjonction de peuples ou de tribalités hétérogènes. Il trouve dans l’ignorance de ces liens de consanguinité et de fraternité la principale source des conflits sociaux, l’histoire du pays, depuis l’indépendance, étant celle d’adversité et d’antagonismes entre les différentes communautés.
Pour l’auteur, aucune ethnie camerounaise n’est homogène, chacune possède une composante interne et une composante venue d’ailleurs. Il n’est pas rare de trouver une ethnie à un point précis du pays et de revoir la même ethnie dans une autre localité, dans une autre aire culturelle, souvent avec le même ethnonyme. Cette dynamique est imputable aux migrations précédemment évoquées, qui ont engendré de nombreux processus anthropologiques : scission, fusion, juxtaposition, assimilation.
Il est intéressant de constater que les peuples du Cameroun ont eux-mêmes trouvé le moyen, par la langue notamment, de marquer les différences, même en cas d’assimilation, résolvant l’épineuse question de l’altérité, la fameuse énigme du Persan.
Le tribalisme ou la défense des solidarités primaires apparait dès lors comme une chimère, un cache-sexe mal ficelé. Il est d’autant plus dangereux que les stéréotypes ethniques et les alternymes qui en sont l’une des manifestations résultent des catégorisations qui rationalisent et justifient les préjugés.
S’ils supposent une source et une cible, ils peuvent être arbitraires, c’est-à-dire attribués aux individus parce qu’ils font partie d’un groupe social, consensuel parce qu’ils sont partagés par un grand nombre d’individus, réduire le groupe visé à une série de traits sans prendre en compte les disparités à l’intérieur du groupe (ils résultent de ce fait d’un biais d’assimilation).
Ils (les préjugés) sont opérants dans la mesure où ils dressent, en quelques traits, un portrait opérationnel du groupe ciblé et sont supposés permettre aux sujets de savoir quelle conduite tenir face à la cible, qui peut aller jusqu’à la prédation.
Notre défi actuel n’est pas celui de se trouver chaque fois des boucs émissaires, de demander aux « envahisseurs » réels ou supposés de rentrer chez eux. Il est plutôt urgent de penser un « Cameroun » fondé sur la cohabitation harmonieuse au sein d’un espace délimité par des frontières internationales d’une société commune fondée sur des principes communs, partagés.
Cela suppose que l’on taise toutes formes de discriminations. Depuis les nominations aux postes de responsabilité jusqu’à la prise en compte des droits des minorités, en passant par :
– L’admission dans les grandes écoles à travers la sélection que consacrent les concours ;
– La distribution équitable des ressources de la nation ;
– La lutte contre la corruption et le banditisme d’État ;
– L’humanisation de la Fonction publique et des fonctionnaires (du sommet à la base) ;
– Le respect des règles de droit qui garantissent la cohabitation pacifique ;
– Le respect de la justice et de l’équité ;
– Etc.
Laurain Assipolo, culturellement de Yokadouma, socialement de Bamena, socioculturellement de Yaoundé, en cours d’intégration chez les Duala et les Basaa. Un concentré de ce que le « Camerounais » est.*