Cameroun : au coeur de l’ingénierie du détournement

La chose passe presque inaperçue.

Thu, 1 Sep 2022 Source: Rhoméo Mbadzama Awono

La chose passe presque inaperçue. Puisque regarder ce paysage relève de l’ordinaire. Mais la réalité reste implacable, le reboisement des rues de cette capitale révèle une curiosité certaine. En effet, les arbres plantés n’ont jamais atteint la cime adulte, qu’à mi-parcours de leur existence et de leur croissance, ils ont toujours été remplacés dans cet intervalle. Déboisés, changés et reboisés de nouveau. Un budget pour les déraciner, sans doute; un autre budget pour solliciter une nouvelle prestation aux fins de reboisement, sûrement. Deux budgets en conséquence?

Nous n’en savons rien, en tout cas, ou pas grande chose, évidemment. L’on

constate seulement les faits et nous nous contentons de simples observations non expertisées. D’ailleurs, nous n’avons pas vérifié si la nature mobile des arbres est la même. Nous ne savons pas si le fournisseur est le même. Nous ne savons pas combien d’argent cela pourrait coûter. Nous ne savons même pas beaucoup de choses à ce sujet, assurément. Ce que nous savons, par contre, c’est que ces arbres ne sont jamais allés jusqu’à la taille de leur maturité. En chemin de leur élévation vers le ciel, ils ont toujours et ils ont encore fait l’objet de relève.

On ne le remarque pas assez, mais ce fait demeure une constance aussi. C’est

également le cas de certains feux tricolores, à des en droits précis, à des périodes précises. Ils sont constamment remplacés à des moments précis. Ces feux, il y en a à quelques trois ou quatre endroits de cette capitale. Nous pourrions nous tromper, l’erreur étant d’ailleurs humaine. Mais deux fois l’an, au moins, ces feux tricolores sont systématiquement réparés,changés, remplacés, refaits.

Une autre question reste de savoir si le prestataire est le même, pour ces dif- férentes et répétitives réfections. Nous devrions chercher à savoir la durée de vie moyenne d’un feu tricolore. Dans une tendance subite, nous penserions que la durée de vie d’un tel instrument de régulation de la circulation est de six mois. Tous les semestres donc, il faut les réparer, ces feux tricolores. Du ciment, du gravier, des sables, un poteau neuf et des feux qui brillent au soleil. Avec de petits câbles fixés comme ça, le tour est joué et on prend rendez-vous dans six autres mois. Avec la même adresse, avec la même dextérité, on recommence la même cadence de reparation (refection) de ces mêmes feux tricolores. Comme un éternel mouvement recommencé. Il en est de même de certaines parties de la

chaussée.

Elles sont sans cesse refaites et elles restent sans cesse reconstituées aux

mêmes endroits, quasiment. Comme si la chaussée n’était mal faite qu’à ces endroits-là, uniquement. Les mêmes endroits, à l’identique. Aujourd’hui encore, le prestataire désigné est dessus. Est-ce celui de la dernière fois? Est-ce le

même que celui du premier trimestre? Cela n’a pas d’importance, pourvu que la

chaussée soit réparée, aux mêmes endroits simplement. Un panneau pour signaler

les travaux en cours. Un autre panneau pour signifier la voie de déviation. Des

véhicules et d’autres usagers de la route qui contournent l’itinéraire habituel. A la fin des travaux, tout le monde est content. Sauf qu’aux mêmes endroits, à quelques exceptions près, à la même période l’année prochaine, les mêmes travaux de raccommodage vont s’effectuer.

Il reste interdit de questionner les différentes clauses de ces commandes

publiques. Par contre, l’on pourrait peut-être constater les propos sur l’inertie de l’universitaire Alain Didier Olinga. D’une manière générale, soutient-il, il faut commencer à réfléchir sérieusement à l’émergence de ce que l’on peut appeler l’intelligence du détournement.

C’est-à-dire la mobilisation délibérée et consciente d’une expertise technique fine au service de la conception de projets ou de manifestations dont l’objectif premier est la distraction des fonds publics, dans le respect des formes légales et des procédures instituées. (Sic!). Avouons-le, comme l’hypotension ou à l’instar d’un début de tumeur, cette intelligence du détournement est si insidieuse qu’elle passerait inaperçue, puisque revêtant les oripeaux de la légalité et de la licéité. Il n’en demeure pas moins qu’elle est fatale, autant pour les investissements que

pour la morale publique.

Auteur: Rhoméo Mbadzama Awono