Cameroun : ces violents tacles du Pr Bokagné qui ont refroidi Issa Tchiroma

Ces violents tacles du Pr Bokagné qui ont refroidi Issa Tchiroma

Wed, 2 Feb 2022 Source: Edouard Bokagné

Le professeur Edouard Bokagné, chef de département d'histoire à l'université de Yaoundé 1 n’a pas apprécié la récente sortie du ministre de Issa Tchiroma Bakary qui accuses certaines facultés des universités du Cameroun de produire des chômeurs. Très remonté, l’universitaire qualifie les propos du ministre de « crétinerie » avant de remettre en cause les compétente de ce dernier.

CamerounWeb vous propose l’intégralité de la tribune de Edouard Bokagné

Errare humanium est. (Il est de l'humaine nature d'errer). C'est ce que je me suis dit en écoutant les propos du Ministre Tchiroma qui, disons-le clairement, ne brillent ni par l'éloquence de ce qu'il a dit, ni par la pertinence de ce qui est dit. Tout le monde, au détour de quelque envie de braire, peut arriver à en dire une ânerie. Lui ou un autre...

J'y ai réagi succinctement hier. Et j'en ai dit ce qu'il y avait à dire. C'est tout de même inquiétant qu'un Ministre de la formation professionnelle fût à ce point ignorant des débouchés - et possibilités - professionnelles de formation et en parle avec un pédantisme aussi insultant pour ceux qui assurent ces formations.

Ce que j'ai dit a relancé le débat. Pour certains, je n'aurais pas bien perçu les propos de Monsieur le Ministre lssa Tchiroma. Je les aurai pris au premier degré. Pour d'autres, il aurait raison. Et de me tenir force statistiques sur l'état de nos besoins réels en matière d'historiens (par exemple) ; loin, en deçà de l'offre formatrice de mon Département. Je suis donc de ce fait accusé de produire un fléau : je serai en train de vulgariser le chômage.

Que ce soit clair : et au besoin, je le redis : le Ministre Tchiroma a dit une monumentale crétinerie qui s'applique tour à tour au haut responsable d'État qu'il est, à l'homme instruit qu'il est supposé être et à l'homo politicus qu'il veut être. Elle porte sur son appréhension de l'utilité des métiers en général, de l'offre des formations, du choix des profils de carrière, de ce que sont les matières qu'il vilipende, de comment l'homme politique qu'il dit être communique au sujet de politiques dont il est comptable par sa présence au sein d'un gouvernement.

Il est bon, quand on parle d'instruction de notre jeunesse, de la quantifier. Nous sommes à peu près 25 millions. Les jeunes en besoin de formation et qui, ultérieurement auront des problématiques d'insertion professionnelle y comptent pour quelques 15-17 millions. C'est là-dedans qu'il faut faire l'arithmétique de ceux à extraire pour les humanités et les sciences sociales. Et calculer les nombres importants de spécialistes de gréco-latinismes au chômage. Vous y verrez l'intelligence du dit de Monsieur le Ministre.

Parlant de débouchés de formation - encore qu'il le fait ex qualitas - le Ministre a cité un certain nombre de métiers dont il a encouragé la vocation. J'imagine que ce nombre soit influencé par une si hasardeuse didactique. Chaudroniers ou carreleurs peuvent tout aussi facilement atteindre la pléthore, si les vocations sont suscitées avec une aussi déconcertante légèreté. Il n'y a pas eu - encore heureux - de Ministre pour encourager nos jeunes à embrasser le métier de moto-taximan. L'engouement pour la profession se mesure au nombre d'estropiés de nos villes.

Les politiques éducatives sont influencées par des ministres aussi incompétents que Monsieur Tchiroma : qui ne savent ni à quoi elles servent, ni vers quoi elles mènent ; qui les critiquent à tort et à travers en jetant à d'autres un blâme qui leur revient à eux. Combien de fois n'ai-je pas entendu les suppôts incultes de la critique stérile me rendre comptable du poor ranking de nos universités dont le management est assuré par un bureaucrate nommé comme Monsieur Tchiroma et tenant des propos souvent aussi hasardeux ?

Qu'il y ait à redire est indiscutable. Mais ce n'est pas ce que le Ministre a fait. Il veut appliquer au carrelage et à la chaudronerie, la même incurie qui a abouti à ce qu'il dénonce à l'histoire-géographie alors qu'il est responsable chargé - avec d'autres - de rationnellement penser l'orientation professionnelle de millions de jeunes. S'il faut redire, qui le doit ? Quand ? Comment ? Et où ?

La professionnalisation n'est qu'un maillon de l'ensemble plus vaste des politiques qui encadrent la société. Une société futuriste doit être pensée. Et autant que possible, par des hommes au raisonnement différent de celui de Monsieur Tchiroma. C'est moins l'édifice des métiers qui est ici en cause que l'encadrement des politiques qui les régissent. L'essentiel des problèmes sociaux - le chômage n'en est qu'un parmi d'autres - est causé, non par les offres formatrices, mais par les gestions des politiques. Et des gestionnaires douteux.

Avocats et enseignants anglophones par qui nous est venue la crise qui déchire notre NOSO ne se plaignaient ni de chômage, ni de carence de formation ; mais de ces vilains Tchiromas dans leurs bureaux qui pensent mal. Et qui leur ont apporté des solutions en pensant mal. L'enseignant que je suis se plaint de vilains Tchiromas qui pèsent sur mes avantages salariaux, sur mes conditions de travail, sur le cadre de ce travail dont ils dénigrent les résultats ; qui sapent tout l'engouement que je tente d'inspirer à mes apprenants en leur opposant leur ignorance.

Si les humanités produisent du chômage, peu importe la proportion, alors que ceux qui les ont introduites et validées les suppriment. Et qu'ils construisent la société de plein emploi de carreleurs et chaudronniers où se recycleront les ministres cheminots ou leur progéniture. Elle ne produira pas - on l'espère - les crève-la-faim qui écument les brousses du NOSO, (et qui ont tous, comme chacun le sait, une solide formation d'historiens), mais plus certainement une nouvelle génération d'hommes politiques qui, par directs Facebook interposés, proposeront de solides politiques de l'emploi.

Il y aura toujours, là-dedans, quelque féru de latinismes pour y voir la félix culpa (heureuse faute).

Dès à présent, je quitte l'enseignement de l'histoire sur conseil ministériel...

Je me recycle en chaudronnerie...

Notre pays est parfaitement bien dirigé.

Avec de tels ministres...

Auteur: Edouard Bokagné