Cameroun,devoir de mémoire: Pourquoi il faut rapatrier les restes du président Ahidjo

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Sat, 25 Jul 2015 Source: Serges Ateba

Parmi les maîtres à penser qui m’ont fabriqué, il y en avait un -paix à son âme! - qui se plaisait à rappeler qu’ « Il y a des circonstances dans la vie où l’homme, quelque intelligent qu’il soit, est sujet d’obtempérer à des choses qui, quoique aléatoires, n’en sont pas moins régies par des principes intrinsèques et absolus ».

Exiger un transfert officiel, de la dépouille d’Ahmadou Ahidjo, de Dakar à Yaoundé peut paraître aléatoire pour ceux qui ne savent pas qu’on gouverne les peuples avec les symboles, ceux qui n’ont pas de conscience historique ou ceux qui ne croient pas à une vie après la mort.

Cette exigence n’en est pas moins «régie par des principes intrinsèques et absolus,fort nombreux d’ ailleurs, que des philosophes, politologues ou historiens auraient de meilleurs mots que moi pour expliquer aux Camerounais, s’ils osaient se mettre à leur plume. Car, qu’on le veuille ou non, Ahmadou Ahidjo a été le premier président de la République du Cameroun, et aura marqué d’un encre indélébile, un quart de siècle notre Histoire.

Proclamer que le rapatriement de sa dépouille est un problème familial suggère une inconséquence de propos, ou alors une grave méprise de la part des ‘personnes dont il a mis pourtant le pied à l’étrier du pouvoir. Ils doivent certainement se souvenir par ailleurs, de la place relativement modeste que l’homme d’Etat réservait à sa famille par rapport aux responsabilités de sa charge républicaine.

Voici pourtant à ce sujet, les propos supposés de son successeur au micro de France 24 » (le 24/10/2007 à Paris): « Si la famille de mon prédécesseur décide de faire transférer les restes du Président,rapatrier Ahidjo,c’est une décision qui ne dépend que d’eux,je n’ai pas d’objections ni d’observation à faire.. »

Comment M. Biya réussit-il à discerner entre « les restes du Président» auxquels lui, il serait apparemment indifférent, et ceux d’Ahmadou Ahidjo dont le transfert ne dépendrait que de sa famille?

Ainsi donc, Ahmadou Ahidjo n’aurait-il été pendant 25 ans que là Premier Ministre et le Président de sa famille ? Ou bien alors, le successeur de ce grand patriote a-t-il pensé (en son nom propre et non celui de l’Etat), qu’un poste de député offert à Ahidjo-fils, ou le fait que « ses filles et ses fils vont et viennent et (que) personne ne les a jamais inquiétés », suffirait comme reconnaissance à son œuvre de construction, fut-elle imparfaite et inachevée, d’une nation camerounaise dont il se croyait « le père»?

Qu’on le peigne en noir,en gris ou en blanc, comme dirait Dakole Daïssala, Ahidjo reste cette figure emblématique qui a encadré l’adolescence du Cameroun,lui donnant sa première consistance institutionnelle et socio-économique à l’intérieur, puis un visage connu, reconnu, et respecté à l’extérieur, grâce à une présence constante et agissante dans toutes les Instances internationales.

Aussi, nous faisons nôtre, le point de vue de l’ancien Ministre d’Etat cité supra, qui pense que, «en tant que nation civilisée, jalouse de son histoire nationale, capable donc de mémoire, le transfert de la dépouille d’Ahidjo devrait se faire naturellement, (...) pour des grands résultats par rapport à la réconciliation nationale » Et Dieu sait si les Camerounais ont besoin de réconciliation entre eux et avec leur Histoire!

L’un des « principes intrinsèques et absolus» évoqués plus haut et qui régissent l’histoire et la gouvernance politique des nations civilisées et républicaines, est bien celui du « solde de tout compte » qui permet aux dirigeants disparus de reposer en paix dans un panthéon consacré, ou un cimetière national, dès lors qu’il est acquis qu’une fois hissé aux plus hautes fonctions du pays, ils n’appartiennent plus à une famille exclusive.

Sans aller chercher des exemples au delà de l’Afrique centrale, veut-on faire croire au monde que le Cameroun, gouverné par des politologues et des juristes, est moins civilisé que le Tchad et la RCA où, en leur temps, le gouvernement a organisé des obsèques nationales pour des anciens Présidents qu’il avait chassés du pouvoir, ou bien la République démocratique du Congo dont les autorités au pouvoir ont organisé le rapatriement et la réhabilitation de feu le Maréchal Mobutu?

Quelle est la logique qui amène régulièrement M. Biya à décréter unilatéralement des obsèques officielles pour ses aînés ou ses compagnons d’hier, qui furent les plus fidèles à l’ancien Président, tout en déniant à ce dernier le droit d’être honoré par ceux qui l’ont aimé en tant qu’homme ou respecté en tant que chef de l’Etat?

On aurait dit que dans une logique de peur, si M. Biya était superstitieux, puisqu’il redouterait le fantôme d’un « mentor » que sa trahison a tué, étant assurément de ceux dont parle Jean Fochivé en disant « Je crois que nous sommes(...) un groupe d’hommes qui évitons de nous regarder dans les yeux, conscients d’avoir chacun trahi son maitre, de l’avoir abandonné au moment où il avait le plus besoin de nous... » (relire « Les révélations de Jean Fochivé » rapportées seulement quelques jours avant sa mort, le 15 avril 1997, par Frédéric Fenkam).

Des Confrères, en leur temps, ont fait échos à la prise de position d’un Imam de Garoua (ville natale d’Ahidjo), selon laquelle tout musulman qui meurt en terre d’islam doit être enterré là-bas. Et nous savons que le Sénégal, plus précisément Dakar ou est enterré (…) feu le Président Ahidjo est une terre Islamique ».

De notre point de vue, ceci ne peut être qu’une justification religieuse, du reste absurde d’une lâcheté politique, puisqu’il ne suffit pas qu’il y ait des musulmans dans un pays pour que celui-ci devienne une terre islamique». Pas plus-que le Sénégal et le Cameroun, constitutionnellement des «Etats laïcs », ne peuvent devenir « terre d’islam » ou « terre de chrétienté » parce que leurs chefs sont musulmans ou chrétiens.

Et si nous convenons que l’islam n’a pas décrété la mort comme un moyen d’acquisition de la nationalité, on ne voit pas pourquoi la fameuse « traduction prophétique» qui dit de « précipiter les morts vers leurs tombes et non le contraire» concernerait Ahmadou Ahidjo dont la dépouille est seulement en escale à Dakar, alors que sa tombe est naturellement béante au Cameroun, cette patrie où il dispose, non seulement de ses droits de sang et du sol, mais aussi d’un mérite acquis à la faveur de 25 ans d’exercice des fonctions de premier chef de l’Etat camerounais.

Si l’on prend enfin la logique sécuritaire que des esprits malins prêtent à Paul Biya pour justifier le déni à son « illustre prédécesseur» du droit au retour et aux obsèques nationales, elle voudrait éviter que ce retour ne vienne ressusciter des rancœurs au sein d’une certaine population. Une lecture au second degré de cette allégation suggère que les raisons qui ont poussé l’ancien Président à aller mourir en exil relevaient, soit d’un mensonge politique semblable à celui qui amena prétendument l’Américain Georges Bush-fils à entreprendre la guerre contre l’Irak, soit d’une vérité gérée avec injustice, pour ne pas dire sous le prisme ethnique.

On ne peut évoquer la crainte d’un sentiment de vengeance que réveillerait le retour officiel de la dépouille d’Ahidjo, qu’en démontrant d’abord que les dérives répressives au lendemain du 06 avril 1984 étaient délibérées, et ne sont pas oubliées… et ensuite, que l’ampleur de l’allégeance prouvée par les populations du Nord à Paul Biya, lors de l’élection présidentielle 2011, est une hypocrisie programmée.

Si une telle démonstration était possible, ce serait de très mauvais augure pour notre pays déjà menacé d’implosion par une vision ethnocentrique ou « Amadou -Ahidjoienne » du pouvoir.

Il nous semble, en définitive, que le seul handicap vérifiable au retour officiel de la dépouille d’Ahmadou Ahidjo, assorti d’obsèques nationales, c’est la fuite en avant d’un régime dont les tenants n’ont pas encore intégré que la politique est davantage une affaire de raison que d’émotion, et ne peut s’accommoder d’ennemis éternels sans se dévoyer.

La PAIX en ce domaine, commence par l’acceptation et le respect des droits et mérites de l’autre, même quand on croit avoir la certitude de son adversité. Le prix le plus difficile à payer pour ce faire, ce sont la volonté positive d’agir, et le courage de le faire.

Auteur: Serges Ateba