Samuel Eto’o relance le débat sur la double nationalité au Cameroun avec la validation de sa candidature pour le poste du président de la Fecafoot alors qu’il détient un passeport étranger en plus de celui du Cameroun. Pour Loïc Bertrand Biango Nyama, le moment est venu pour mettre à jour le code de la nationalité du Cameroun.
La candidature de Samuel Eto’o à la présidence de la Fédération Camerounaise de Football (Fécafoot) remet sur la table le sempiternel débat sur la double nationalité au Cameroun de manière générale. De manière singulière, elle remet sur la table le débat de la double nationalité des sportifs professionnels camerounais à l’étranger voulant s’adapter aux exigences du professionnalisme en acquérant une deuxième nationalité.
En effet, la loi N° 1968-LF-3 du 11 juin 1968, portant code de la nationalité camerounaise en son article 31-a, stipule que : « Perd la nationalité camerounaise : le camerounais majeur qui acquiert ou conserve volontairement une nationalité étrangère. » Partant de cette loi, plusieurs personnes s’interrogent sur la légitimité et surtout sur la légalité de cette candidature.
Au- delà, le questionnement se porte sur l’impératif de refonder la loi pour qu’elle s’adapte aux exigences et aux réalités d’un monde globalisé. La présente réflexion ne veut pas s’ériger en « moralisatrice ». Mais, au contraire, elle se veut être une modeste contribution au débat de la double nationalité au Cameroun, au- delà des considérations juridiques.
Cette réflexion se fera sous le prisme du regard sociologique à travers « la gouvernance par la ruse » que les camerounais ont développé pour tirer parti du « laxisme » de l’Etat quant à l’application de la loi N° 1968-LF-3 du 11 juin 1968, pour améliorer leur condition de vie et par ricochet sortir du cercle infernal de la pauvreté. Pour conduire cette réflexion, nous allons présenter succinctement la situation de la double nationalité en Europe.
Ensuite, nous allons nous focaliser sur la situation en Afrique et particulièrement à celle du Cameroun. Nous évoquerons les raisons qui peuvent emmener certains africains à prendre une autre nationalité. Pour finir, avec des exemples concrets, nous allons exposer la réalité informelle du fonctionnement des détenteurs de deux passe- ports au Cameroun.
Aperçu de la situation de la double nationalité́ en Europe et Afrique
En Europe, la question de la double nationalité voire multi nationalité est presque banale. Cela est rendu possible grâce à la multitude de communautés telles que l’espace Schengen ou l’Union Européenne qui facilite la circulation des biens et des personnes.
Aussi, les membres de ces différentes communautés ont presque les mêmes avantages indéfini- ment du pays dans lequel ils se trouvent. De ce fait, la nationalité est plus, une question d’appartenance identitaire qu’autre chose. En Afrique, la situation est beaucoup plus complexe au niveau de l’intégration sous régional et au niveau du débat sur la double nationalité.
Bien qu’il existe des communautés économiques au niveau sous régional à l’instar de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEOA) et de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEAC) les fortunes sont diverses. Si la première communauté citée est beaucoup plus intégrée en termes de libre circulation des biens et des personnes ; la deuxième est encore très fermée.
On a le souvenir très récent de l’expulsion manu militari des camerounais en Guinée Equatoriale pour des prétextes plus ou moins fallacieux. Au niveau du débat sur la double nationalité, on retrouve trois grands groupes.
Le premier groupe est constitué des pays qui acceptent la double nationalité sans conditions. Dans ce groupe on retrouve la majorité des pays africains comme le Bénin, le Mali, le Niger, l’Algérie, le Maroc, le Togo, le Ghana, le Nigeria, le Tchad, la Tunisie, le Soudan, le soudan du Sud, l’Angola ; le Kenya, le Gabon, le Congo ; la liste n’est pas exhaustive.
Le deuxième groupe est composé des pays qui acceptent la double nationalité à condition qu’elle soit autorisée expressément par le gouvernement, en cas de traités bilatéraux ou pour les personnes naturalisées. Dans ce groupe de pays, on peut citer la Mauritanie, l’Ouganda, la Guinée, le Sénégal, la Centrafrique, l’Afrique du Sud et la Namibie.
Le troisième groupe est constitué par des pays qui ne reconnaissent pas légalement la double nationalité. En Afrique, ces pays sont au nombre de quatre ; parmi lesquels le Cameroun, la Guinée Equatoriale, le République Démocratique du Congo et le Malawi. Pour des raisons d’étude ou de carrière professionnelle sportive ou pas, plusieurs africains sont obligés de se rendre en Europe, Asie et Amérique.
Ainsi, pour faciliter leur intégration sociale, académique, socioprofessionnelle et socioéconomique ; certains sont obligés de prendre les nationalités des pays d’accueil. On se rend bien compte dans la plupart des cas, la demande d’une autre nationalité pour ces africains est pour des motifs économiques et non une volonté manifeste de rejeter leurs nationalités d’origine.
Face à cette foultitude de pays Africains qui acceptent la double nationalité, la diaspora camerounaise estimée à un peu plus de 5 millions de personnes pour la plupart ayant la nationalité de leur pays d’accueil ; pensent qu’elle est à tort ou à raison privée de la jouissance de certains droits sur le sol camerounais. Or dans la réalité, le gouvernement camerounais est beaucoup plus souple et flexible. Le paragraphe suivant va montrer quelques pratiques courantes des détenteurs de deux passeports au Cameroun.
Fonctionnement informel de la double nationalité́ au Cameroun
Le code de nationalité́ camerounaise a été mis en place au lendemain des indépendances pour protéger la nationalité camerounaise. 60 ans après les indépendances, est-on capable de dire que cette stratégie a porté des fruits ? Difficile à dire ; mais à ce jour, le problème de la « camerounité » ne s’est pas encore posé avec acuité.
Mieux encore, aucun camerounais détenteur d’une autre nationalité ne s’est vu refuser l’accès sur le territoire camerounais ; ni être recalé pour une quelconque nomination ou une élection qu’elle soit présidentielle, législative, régionale ou municipale.
D’ailleurs, un des candidats à la présidentielle de 2018 est soupçonné de détenir une autre nationalité de par l’origine de sa mère. Malgré ces informations, sa candidature n’a été ni rejetée ni contestée. Certains ministres ou ambassadeurs itinérants sont accusés à tort ou à raison de détenir deux passe- ports, mais ils n’ont jamais été inquiétés par la justice.
Le seul cas de refus de participation à une activité au Cameroun date de quelques années où une association des droits d’auteurs avait imposé la nationalité camerounaise comme critère d’éligibilité à la présidence de ladite association. Cette manière de procéder ne peut pas être imputée au gouvernement ; car les associations sont sensées être autonomes dans leur fonctionnement.
Par ailleurs, l’une des situations qui pourrait conforter le gouvernement camerounais dans sa position sur la double nationalité est de faire prévaloir une autre nationalité lorsqu’on est poursuivi par la justice camerounaise et demander son extradition dans son autre pays. Cette situation s’est posée avec un haut fonctionnaire camerounais, qui lorsqu’on lui a demandé de répondre de ses actes de malversations ; a brandi sa nationalité française.
Dans le fonctionnement quotidien, les camerounais de la diaspora utilisent leurs passeports camerounais lorsqu’ils veulent se rendre au Cameroun et le deuxième passeport lorsqu’ils sont dans leur pays d’accueil. Au regard de cette façon de faire, nous sommes tentés de dire que la double nationalité n’est pas légale au Cameroun, mais l’utilisation de deux passeports n’est pas systématique- ment sanctionnée par la loi camerounaise.
Aujourd’hui, des sportifs de haut niveau ont d’autres passeports que celui camerounais pour des raisons évoquées plus hauts, mais restent très attaché à leur terre natale. On peut citer entre autres Francis Ngannou qui n’éprouve aucune difficulté à se rendre et même à investir sur le territoire camerounais.
Conclusion
Cette réflexion s’était proposée de faire une analyse de la double nationalité au Cameroun. Elle s’est appuyée sur « la gouvernance de la ruse » pour renseigner des pratiques des camerounais détenteurs de deux passeports. A travers des exemples concrets, cette réflexion nous a permis de comprendre que, sur le plan juridique, la détention de deux passeports n’est pas autorisée par la loi camerounaise.
Mais sur le plan pratique, très peu de camerounais ont été inquiétés pour le motif de détention de deux passeports. Le point de départ de notre réflexion était la candidature de Samuel Eto’o à la présidence de la Fécafoot. Peu importe l’issue de cette élection au soir du 11 décembre ; Samuel Eto’o aura pris parti pour donner une nouvelle épaisseur au débat de la légalisation de la double nationalité au Cameroun.
Le mérite lui reviendra d’avoir brillé de son aura pour porter implicitement la doléance d’au moins cinq millions de camerounais diasporiques auprès de l’opinion publique et du législateur. Sa popularité et son capital sympathie auprès du gouvernement peuvent amener l’appareil gouvernemental à repenser sa politique publique sur la double nationalité.
Au final, Samuel Eto’o se sera positionné d’une manière ou d’une autre, comme l’icône qu’il est au débat citoyen de la double nationalité et ne sera pas resté la bouche fermée ou sans poser des actes palpables comme certaines icônes au Cameroun qui ne roulent que pour leurs intérêts.
Par Loïc Bertrand BIANGO NYAMA
Doctorant à l’école doctorale des sciences sociales de l’Université Catholique d’Afrique Centrale