Cameroun : l’impunité des hauts cadres de l’armée dérange

L’impunité des hauts cadres de l’armée dérange

Tue, 12 Oct 2021 Source: Roland Tsapi

Les actes de violence exercés sur l’universitaire Fridolin Nke par le chef de la sécurité militaire (SEMIL), le colonel Emile Bamkoui est le symbole de l’impunité qui règne dans les rangs de l’armée camerounaise selon le journaliste Roland Tsapi. Dans cette tribune, il invite la haute hiérarchie de l’armée à suivre l’exemple de Mbarga Nguele.

Les enseignants d’université du Cameroun projettent de marquer un arrêt de travail le 14 octobre 2021. Dans un mot d’ordre de grève signé le 8 octobre, le Syndicat national des enseignants du supérieur SYNES, exposent les raisons de ce mouvement d’un jour : « La communauté nationale et internationale a suivi via les réseaux sociaux, le vidéogramme diffusé le 20 septembre 2021 dans lequel le docteur Fridolin Nké, chargé des cours, enseignant de philosophie à l’université de Yaoundé I, sous la contrainte des bourreaux, relatait les circonstances de son enlèvement suivi de sa séquestration dans le bureau du Colonel Joel Bamkoui, Commandant de la Sécurité militaire, et les actes de torture à lui infligés par ledit colonel et certains de ses collaborateurs. Il convient de rappeler que cet enlèvement et ces actes de torture intervenaient après deux convocations émises par ledit commandant, invitant le Dr Fridolin Nké à se présenter dans ses bureaux pour répondre d’accusations qualifiées de graves liées simplement à l’opposition de ce dernier à la guerre civile en cours dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest et aux dénonciations des conséquences néfastes de ce conflit tant sur la population civile que sur les forces de défense et de sécurité. Depuis ce supplice dans les bureaux de la SEMIL, le Dr Fridolin Nké éprouve des douleurs physiques atroces, manifeste des symptômes de perte de mémoire. » Les enseignants du supérieur entendent donc protester contre les atteintes graves aux libertés académiques des enseignants du Supérieur en général et les actes de torture infligés au Dr Fridolin Nké en particulier, et invite le Gouvernement à engager des actions administratives et judiciaires appropriées contre les auteurs des actes d’enlèvement, de séquestration et de torture du Dr Fridolin Nké.

Silence complice

La sortie du SYNES intervient presque 20 jours après les faits, pour demander que soient engagées des actions qui auraient dû être initiées le même jour. Dans le corps de la police, une vidéo montrant un individu en train de subir des sévices corporels de la part des policiers avait circulé dans les réseaux sociaux dans la nuit du 20 au 21 septembre 2021. Le même jour, le Délégué général à la Sûreté nationale a rendu public un communiqué reconnaissant les faits et informant l’opinion que les auteurs avaient été identifiés et faisaient l’objet des mesures appropriées pour répondre de leurs actes devant les instances judiciaires et disciplinaires. 3 jours plus tard, ils étaient déférés devant le procureur du Tribunal de première instance de Yaoundé Centre administratif, qui les a placés en détention provisoire à la prison centrale de Kondengui le 24 septembre 2021. En l’espace de 5 jours donc, les auteurs de la torture étaient entre les mains de la justice.

En cela, le Délégué général à la Sûreté nationale n’a pas inventé le fil à couper le beurre, il a simplement fait ce qui était de son devoir, à savoir veiller à ce qu’il n’y ait pas des abus dans le corps, que personne ne profite de sa position pour violer la loi, et surtout veiller à ce que les droits des citoyens soient respectés, notamment celui d’être traité dignement en toute circonstance, en plus par les garants du respect de la loi. Le SYNES, pour le cas du Dr Fridolin Nké, a attendu que la hiérarchie militaire se saisisse aussi de l’affaire et démontre aux yeux de l’opinion qu’elle ne cautionne pas les abus de position, mais elle est restée muette. L’opinion dans l’ensemble attend toujours que cette hiérarchie militaire se désolidarise des actes de torture des hauts gradés de l’armée qui donnent désormais l’impression d’être au-dessus de la loi, ou qu’elle est faite pour les autres.

Quelle image en réalité projette un État à la jeunesse, quand un enseignant d’université peut, pour avoir parlé de la science c’est-à-dire sa raison d’être, faire l’objet des intimidations et des tortures dans les locaux d’un Colonel, avec en prime une vidéo pour montrer au monde entier l’humiliation ? Alors que dans le même temps les autres enseignants qui chantent les louanges du pouvoir bénéficient de tous les avantages ? Que veut-on que les étudiants retiennent, que pour faire carrière dans l’enseignement supérieur il faut être le griot du régime ?

Jeunesse trompée

Au-delà de rassurer les populations que le Cameroun est un pays de droit, en établissant les responsabilités dans ces actes de tortures d’un citoyen dans les locaux de l’État, l’enjeu dans l’affaire Fridolin Nké est double, parce qu’il s’agit d’un enseignant d’université. L’université dans le monde entier, est considérée comme le haut lieu du savoir qui fascine tout jeune enfant qui fait les études. Et ce prestige des universités n’est incarné par autre personne que les enseignants. Quelle image en réalité projette un État à la jeunesse, quand un enseignant d’université peut, pour avoir parlé de la science c’est-à-dire sa raison d’être, faire l’objet des intimidations et des tortures dans les locaux d’un Colonel, avec en prime une vidéo pour montrer au monde entier l’humiliation ? Alors que dans le même temps les autres enseignants qui chantent les louanges du pouvoir bénéficient de tous les avantages ? Que veut-on que les étudiants retiennent, que pour faire carrière dans l’enseignement supérieur il faut être le griot du régime ?

Que mettre ses connaissances au service du développement de la science ne peut vous attirer que des ennuis et des tortures impunies ?

Aujourd’hui, les auteurs de pareils actes pensent faire du mal à l’individu Fridolin Nké, mais c’est tout une jeunesse qu’ils assassinent, c’est l’espoir des milliers d’enfants qu’ils enlèvent, ils ne font en cela que paver le chemin des enfants dans le désert et sur mer, qui brandiront toutes ces raisons pour démontrer qu’il ne faut pas rester au pays, parce qu’il appartient aux autres. Le préambule le de la Constitution du Cameroun rappelle, et martèle, que « Le Peuple camerounais, proclame que l’être humain, sans distinction de race, de religion, de sexe, de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ; Affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la déclaration universelle des Droits de l’Homme, la charte des Nations-Unies, la charte africaine des droits de l’homme et des peuples et toutes les conventions internationales y relatives et dûment ratifiées, notamment aux principes suivants – Tous les hommes sont égaux en droits et en devoirs. L’État assure à tous les citoyens les conditions nécessaires à leur développement… »

En mille mots comme en un, cela veut dire que devant la mort les attributs, les grades et les hautes fonctions ne représentent rien, tout le monde est nu, et en plus le corps est malmené par un morguier qu’on n’osait même pas regarder du vivant. Les touts puissants de leur vivant, qui bénéficient en plus de l’impunité étatique, devrait aussi se souvenir que « tu es poussière, et que tu retourneras poussière » .

Auteur: Roland Tsapi