Cameroun, paradis de la Contrefaçon ?

28735 XContrefacon090816500.pagespeed.ic.ZRsrXsT4Ja Photo d'archives utilisée à titre d'illustration

Tue, 9 Aug 2016 Source: Hervé Tiwa

Le Ministre des Mines, de l’Industrie et du Développement Technologique (Minmidt) s’apprête à installer un comité d’intervention rapide contre le commerce illicite et la contrefaçon en abrégé Circic, soit quelques semaines après la célébration de la journée mondiale de lutte contre la contrefaçon. Le Minmidt avait, se souvient-on, prévu toute une semaine à cet effet. Une semaine de sensibilisation insuffisamment traitée et amplifiée par la presse nationale malgré l’explosion et le désastre économique que ce phénomène cause à l’Etat et surtout aux investisseurs nationaux ou étrangers.

Notre rédaction saisit l’opportunité de l’installation officielle de ce comité anticommerce illicite, anti-contrebande, anti-fraude, anti-contrefaçon, pour analyser le phénomène. Dans ce dossier nous donnons la parole aux victimes de la contrefaçon, aux consommateurs, questionnons l’efficacité de ce Circic et donnons la parole - en guise de grand invité de la rédaction - au Ministre des Mines et de l’Industrie, chargé par le gouvernement d’élaborer les stratégies efficaces pour enrayer ce crime qui détériore le tissu économique National.

Confondre la contrefaçon au terrorisme et punir comme tel.

La contrefaçon est une peste. En tant que telle, elle contamine tous les secteurs d’activités au  Cameroun et dans le monde. Mais l’explosion de ce phénomène dans notre pays est due en partie à la complicité de certains responsables de l’administration publique qui huilent excellemment la machine à fraude fiscale et contribuent à accélérer la croissance de la contrefaçon au profit des intérêts égoïstes. Et les chiffres disponibles, quoiqu’actualisable, nous donnent raison. Le manque à gagner fiscal est patibulaire :

Dans un rapport présenté au cours de son assemblée générale tenue à Douala le 29 août 2014, la Chambre de commerce, de l’industrie, des mines et de l’artisanat (CCIMA), déclare que les activités liées à la contrebande, à la contrefaçon et au commerce illicite font perdre à l’économie camerounaise, 255 milliards de Fcfa soit 70 milliards de francs CFA en termes de pertes fiscales notamment la TVA, l’impôt sur les sociétés, les droits d’accises et l’impôt sur le revenu, puis 185 milliards de francs CFA constituait le manque à gagner causés aux entreprises dont les produits souffrent de la concurrence déloyale. Mais, le minmidt parle aujourd’hui de 300 milliards de fcfa de pertes pour l’Etat, chaque année. Rappelons que la CCIMA qui, tirait la sonnette d’alarme voyait en ces fléaux, « l’implication des responsables à divers niveaux : aussi bien au sein de l’administration douanière et fiscale, mais aussi parmi les structures de régulation et de contrôle des prix ».  

Selon une autre étude menée par les entrepreneurs du secteur privé, il y a 03 ans, la contrefaçon pharmaceutique vient en tête avec 18%, suivie de la cosmétique avec 17,8%. Les produits alimentaires occupent le 3ème rang avec 16,65%. 15,36% pour l’électroménager, pareil pour la quincaillerie, 15% pour les produits artistiques, puis les produits vestimentaires et les pièces détachées, avec respectivement 13,90% et 12%.Ces chiffres astronomiques montrent que la plaie est profonde au Cameroun. Elle l’est encore plus sur le plan mondial.

En effet, le récent rapport de l’Union des Fabricants -Unifab, la plus grande association de lutte anticontrefaçon au monde- constate que les recettes fiscales non perçues dans le monde en raison de la contrefaçon ont été estimées par la Chambre de Commerce Internationale à 7,6 Milliards d’Euros pour l’habillement et les chaussures ; 3,7 Milliards pour les jouets et les articles de sports ; 03 Milliards pour les parfums et cosmétiques ; enfin 1,4 Milliards pour les médicaments.

Le même rapport esquisse de manière plus précise et vivante, un état des lieux des incidences du faux sur le secteur privé. Les principaux constats qui se dégagent de cette étude sont entre autres : 27% des entreprises dépensent plus d’01 Million d’Euros par an pour protéger leurs droits à travers le monde, 16% y consacrent plus de 10 millions d’euros ; 57 % des entreprises indiquent que le faux a un impact direct sur l’emploi ; 54% estiment que la contrefaçon est un frein à l’innovation ; la chine est considérée par ce rapport comme le 01er exportateur de contrefaçon au monde alors que Internet est désigné comme le 01er canal de distribution des copies ; 86% des entreprises jugent que l’explosion de la contrefaçon est en partie due au fait que le consommateur n’est pas suffisamment conscient des incidences de ce trafic.

Ces constats décrivent assez bien l’état des lieux de la contrefaçon ou du commerce illicite dans nombres  de pays au monde parmi lesquels le Cameroun où « des investisseurs locaux n’arrivent plus à contrôler 10% de leurs marchés ». C’est état de fait entraine des pertes énormes de parts de marché et affecte l’image de marque des produits authentiques. Les efforts d’investissement, de recherche, de création de publicité et même de développement commercial volent en éclat.

L’entreprise tombe dans la position défensive faible. Et c’est le début de la banqueroute. Inutile de s’attarder sur les conséquences de la contrefaçon sur la santé des consommateurs car, les données font froid au dos. Des centaines de personnes meurent du fait des produits pharmaceutiques contrefaits. Il faut donc, à notre avis et à la suite des organisations internationales assimiler ou confondre la contrefaçon au terrorisme et punir comme tel. Sinon ce fléau va continuer à amocher l’économie nationale et n’encouragera aucunement la promotion de l’investissement étranger au Cameroun.

Il est important de dire aussi que la contrefaçon a un coût économique et social important et constitue une source d’évasion fiscale. La lutte contre ce phénomène coute elle aussi chère. Nous pensons donc qu’il faudra un jour durcir le code pénal en matière de contrefaçon.

Riposte

L’approche gouvernementale en matière de lutte contre ce crime économique laissait perplexe les entrepreneurs du secteur privé. Ils ont toujours critiqués la méthode gouvernementale qui consiste à s’approprier la lutte contre la contrefaçon, le commerce illicite et la contrebande. L’Etat s’est toujours heurté à une aporie : l’échec. En réalité, la riposte aurait été salutaire si l’Etat céda les armes du combat aux acteurs du secteur privé. Eux, qui vivent la situation, eux, qui touchent cette effroyable réalité du doigt et eux qui sont victimes de la contrefaçon.

Le nouveau Ministre des Mines de l’Industrie et du Développement Technologique, Ernest Gbwaboubou semble mieux comprendre l’enjeu de la situation. Car il a reconnu, selon nos sources, d’utilité publique, une association privée qui va désormais élaborer une stratégie d’intervention rapide contre le commerce illicite et la contrefaçon. Le Circic, puisqu’il s’agit de ce comité travaillera de concert avec le gouvernement, la société civile, les consommateurs et les partenaires étrangers.

Cependant, ce comité composé des propriétaires des marques, des experts sur des questions de propriété industrielle, les avocats spécialisés dans le domaine va-t-il porter ses fruits ? Gardons-nous de crier au triomphe sans avoir livrer le moindre combat. Nous espérons simplement que ce comité dont les responsables vont être installés dans quelques jours travaille à divulguer les résultats de ses enquêtes de terrain, menées auprès des entreprises camerounaises, de tous les secteurs industriels, de toutes formes sociales, de toutes tailles, sur les dommages engendrés par la contrefaçon dans leurs activités comme on le fait ailleurs. La tâche est immense. Les défis aussi.

Auteur: Hervé Tiwa