'Ce que j'ai vu' : Cabral Libii brise encore le silence

Il procède à la présentation de sa vision politique pour le Cameroun

Fri, 31 Mar 2023 Source: Cabral Libii

Le Cameroun qui protège et qui libère les énergies ! voilà ce que nous avons vu, et c’est pour nous, la réponse appropriée aux attentes des gens. Le fédéralisme communautaire, ouvrage édité en 2021 avait déjà fait l’annonce de cette vision. Mais le livre a malheureusement dû affronter durement la diversion et à la confusion que l’adversité politique lui avait inattendument réservées à sa parution. Fort heureusement, le débat qui a néanmoins eu lieu, a révélé la double nécessité de simplification et de clarification de notre vision de l’Etat du Cameroun.

L’État est une entité imagée, une personne morale. Mais c’est la clé de voûte de la vie en société. Et à ce titre, nous en faisons un compromis entre le peuple et lui-même. Par ce compromis, les citoyens, détenteurs de la souveraineté, conviennent de se confier à une structure qu’ils placent au-dessus d’eux-mêmes avec des objectifs précis : les protéger et libérer leurs énergies. Ainsi, l’Etat juridiquement défini par les quatre (04) éléments qui le structurent traditionnellement que sont : un territoire, une population, un pouvoir et une souveraineté internationale, doit devenir un liant consensuel et inclusif, propre à la collectivité humaine camerounaise. Et c’est en cela seulement qu’il devient l’objet d’un contrat social correspondant à notre réalité. Malheureusement, le contexte international d’accession à l’indépendance en 1959, ne fût guère favorable à un contrat social de ce type. L’urgence de se défaire du joug colonial ne laissait point de place à l’entreprise de détermination commune. Du reste, cela ne figurait nullement dans l’agenda des puissances coloniales qui, contraintes par la force des choses d’accorder l’émancipation aux pays qu’ils avaient colonisés, n’envisageaient pas de mettre fin définitivement à leur domination. Ce brouillard des indépendances sur un « minimum étatique » ayant une belle façade juridique. Toutefois, les multiples crises engendrées par cette imperfection historique, couplées au remplacement progressif de la génération qui en assurait le « service d’entretien », offrent une opportunité toute aussi historique que le peuple camerounais doit saisir à travers l’alternance de fin de cycle politique , pour fixer les fondations d’un Etat en lequel il se reconnait enfin. Cet ouvrage est, à ce propos, une feuille de route.

L’affirmation de notre africanité comme préalable.

L’Etat du Cameroun doit fièrement incarner son africanité, qui repose sur un modèle socialement collectiviste et écologiquement durable. Nous sommes d’avis avec Moussa KONATE lorsqu’il affirme que « ce serait une grave erreur de soutenir que l’Afrique (…), telle qu’elle se présente aujourd’hui n’a rien à voir avec son projet initial. Les marques extérieures de la modernité, les velléités d’individualisme et une certaine évolution des mœurs ne doivent pas être prises pour des signes de transformation radicale du continent (…). La voiture dernier cri côtoie la charrette tirée par un âne ; la villa ultraluxueuse jouxte l’ancestrale case de terre ; le téléphone cellulaire n’a pas étouffé le tambour messager… » . Bien avant lui, Cheick ANTA DIOP affirmait que « si l’on envisage l’organisation de la famille africaine précoloniale, celle de l’Etat, les conceptions philosophiques et morales, etc., on constate une unité culturelle évidente, découlant d’une adaptation similaire aux mêmes conditions matérielles d’existence » . L’identité africaine existe. Il est primordial pour nous d’en faire le socle de l’Etat refondé. Car, colonisé puis embarqué sans préavis dans la bourrasque « mcluhaniste » du village planétaire, le Cameroun comme beaucoup d’autres pays, fait l’objet d’une lente aliénation larvée de nature culturelle, métaphysique, philosophique, scientifique, organisationnelle, technologique et même traditionnelle, qui sape petit-à-petit les fondements de son identité et prive les nouvelles générations de l’énergie vitale de leur glorieux héritage historique, anthropologique et civilisationnel. Il incombe à l’Etat de préserver et d’ériger les référents auxquels le peuple doit s’identifier pour se projeter. Sans cela, les énergies du Cameroun ne seront jamais libérées. Du coup avec quoi les camerounais iront-ils au dialogue des cultures et au rendez-vous du donner et du recevoir civilisationnel ? De quoi seront-ils parés pour résister aux offensives culturelles et idéologiques des pays mieux préparés ? Qu’auront-ils à proposer dans la coopération mondiale ?

L’affirmation du nouveau paradigme de coopération.

En soulevant les questionnements ci-dessus, nous affirmons notre opposition aux idées reçues fatalistes et afro-pessimistes qui diffusent l’incapacité irréparable des États postcoloniaux, réputés irrémédiablement privés de force par le colon. Ce postulat est psychologiquement affaiblissant dans la mesure où il inhibe l’intelligence proactive. Il participe insidieusement du déni de notre capacité intrinsèque à modeler par l’intelligence politique et économique, les rapports avec n’importe quel pays au monde, plus d’un demi-siècle après les indépendances. Pernicieusement conflictuel, il nourrit dans une forme subtile de diversion, la rancœur populaire tenace à l’endroit principalement des puissances colonisatrices, désignées comme causes perpétuelles de tous les malheurs. Cela a assez duré. Le Cameroun doit avoir « les bras ouverts ». Notre pays doit aiguiser les intérêts étrangers, tous les intérêts étrangers. Le rejet, la médiocrité conceptuelle et l’élégie coloniale doivent progressivement s’effacer devant la respectabilité, l’attractivité, la proactivité et la coopération fructueuse. La terre camerounaise, devenue creuset d’opportunités au regard des énergies libérées de son potentiel, devra déparasiter son attractivité de tout ressentiment. L’histoire a écrit ses pages. Il est temps que l’avenir écrive les siennes.

Il est toutefois indispensable de revisiter avec fermeté et vérité notre histoire politique afin d’apurer un passif qui continue à héberger de tristes souvenirs. Tout comme, il est impératif de restaurer les mémoires des héros nationalistes et d’en faire des sources d’inspiration permanente pour les générations futures. Dans cette optique de rectification historique, la question monétaire ne saurait être en reste. Le 26 décembre 1945 date d’institution du Franc CFA et le 26 décembre 1959 date de signature des accords coloniaux militaires, sont deux moments qui résonnent encore dans nos mémoires comme des carcans historiques dont il faut poursuivre le déplacement avec méthode, concertation et clairvoyance afin de créer un cadre optimal d’éclosion de nos énergies restées longtemps en veille. Si la souveraineté n’est pas discutable, la monnaie quant à elle, est objet de discussion entre Etats souverains, puisqu’en tout état de cause, qu’il s’agisse in fine d’une monnaie propre ou d’une monnaie partagée, il faudra à la base un accord monétaire. Mais le temps est venu pour que notre monnaie porte le nom que nous lui donnons et reflète la valeur de notre potentiel économique.

L’affirmation de notre idéologie.

La présentation d’une vision politique ne peut échapper à l’exigence de catégorisation de notre système de pensée. Sans la moindre fioriture, notre modèle de représentation et d’explication du Cameroun est le fédéralisme communautaire. Une originalité idéologique ancrée sur notre spécificité.

- La spécificité du Cameroun.

Le Cameroun est singularisé par une extraordinaire multitude de peuplements. Ce qui lui vaut d’ailleurs la fière appellation d’Afrique en miniature. Et un tel Etat, pour libérer les énergies de son essence, doit être l’émanation de cet « humus pluriel ». Ceci, afin que les énergies de son peuple ne soient pas centrifuges, mais centripètes. Si sa gestation est interculturelle, l’Etat du Cameroun doit être dans sa forme achevée, un cadre intraculturel . De la pluralité démotique , doit germer une culture républicaine hébergée par un Etat qui fédère. Pour que nous nous y reconnaissions tous, l’Etat doit être le fruit de ce que nous apportons tous. Le Cameroun doit être un Etat qui fédère.

En fait, c’est de la doctrine dénommée « fédéralisme » que dérive l’adjectif épithète habituellement attaché au sujet de droit public appelé « Etat ». C’est pour cette raison que « fédéralisme » ne veut pas dire « Etat fédéral ». Et c’est pour cette même raison que deux Etats fédéraux ne sauraient être identiques. Car, si l’adjectif qualificatif « fédéral » est d’usage commun, la réalité de son contenu diffère évidemment d’un pays à un autre, parce que la réalité sociologique diffère d’un pays à un autre. Ce que l’Etat dénommé USA veut fédérer (des états ayant chacun sa spécificité) est différent de ce que l’Etat d’Afrique du Sud veut fédérer (des provinces Gauteng, Kwazulu ou Limpopo). Ce que l’Etat appelé Belgique veut fédérer (les Régions wallone, flamande et francophone), diffère de ce que l’Etat d’Ethiopie veut fédérer (les ethnies amhara, Oromo ou Tigré). Les peuples que le Royaume d’Espagne veut fédérer (Andalou, Catalan ou Galicien) diffèrent de ce que l’Etat de Tanzanie veut fédérer (Tanganyika et Zanzibar).

Une constante se dégage de tous ces exemples. La plupart des Etats qui, à leur naissance ou au cours de leur construction, devaient relever le défi de la diversité sociologique ont convoqué la doctrine fédéraliste. C’est elle qui convient le mieux aux contextes de diversité. Les formes et les appellations peuvent différer par la suite, mais l’essence structurelle est la même. Le Cameroun au regard de sa physionomie sociologique originelle aurait dû emprunter la même voie doctrinale. Cette omission a été un « vice de fabrication » qui depuis lors, provoque un enchainement de « pannes de roulement ». Le choix unitaire à l’avènement de l’indépendance, n’était guère idéologique. Il s’est agi de construire dans l’urgence, un édifice juridique et institutionnel qui ne visait qu’à répondre aux attentes post-coloniales de « standardisation des africains » . L’unité que nous entrevoyons est fédérative.

- L’originalité idéologique.

Il y a une quasi-unanimité planétaire, sur l’idée que le fédéralisme est un mode d’organisation politique qui vise à concilier l’unité et la diversité, la cohésion sociale et les choix sociaux singuliers, au sein d’un espace partagé. Si l’ « État fédéral » est en effet un sujet de droit public, le fédéralisme ne l’est pas. Celui-ci est abord une idée de l’État avant de devenir une formalisation normative et institutionnelle de l’État. Dans cette veine, nous partageons cette affirmation des politologues canadiens André LECOURS et François ROCHER : « Le fédéralisme ne peut être analysé uniquement sous l’angle de l’organisation du pouvoir, mais impose un détour par le chemin des idées, des représentations, des valeurs et idéaux » . Ainsi, le sens que nous donnons au fédéralisme est strictement doctrinal. Mais il est articulé de façon originale à la communauté, elle-même encadrée par une nouvelle forme de Région servant d’assise à la Décentralisation aboutie.

Les échanges au sujet de la communauté au Cameroun, se heurte malheureusement souvent, à moult dénotations, connotations et négations. Quand pour certains c’est un monstre qu’il ne faut surtout pas déchainer, pour d’autres, c’est un sujet d’une autre époque auquel il est futile de porter le moindre intérêt. Et c’est fort de cette diatribe que le sociologue français Claude JACQUIER peut faire le constat que, « L’utilisation même de ce mot, qui appartient pourtant à la langue française et à la tradition sociale et politique, apparaît très suspect » . Un étrange paradoxe notamment dans le contexte camerounais où la communauté a déjà accédé au rang de sujet de droit puisqu’elle peut revendiquer une propriété. La « forêt communautaire » consacrée par la législation forestière, en est une illustration. Le 2ème Président du Cameroun, Paul BIYA, y a chevillé son projet politique : Pour le libéralisme communautaire . Il est vrai que le contenu de l’ouvrage n’a paradoxalement pas tenu la promesse des belles fleurs de l’intitulé, car les contours exacts de la déclinaison communautaire du libéralisme sont restés introuvables en son sein. Peut-être l’auteur avait-t-il été intimidé par l’hostilité qui s’emploie depuis longtemps, à stigmatiser la communauté, à la discréditer, à la rendre politiquement incorrecte. Il demeure que la communauté, malgré ces assauts, est l’unité de base qu’il faut fédérer au Cameroun, pour endiguer les incessantes tensions parfois explosives, mais généralement larvées qui couvent sous les « alternymes » de rejet et de dévalorisation , ou encore sous les représentations péjorées des uns par les autres, qui trahissent une sédimentation de l’ethnocentrisme.

La communauté à notre entendement renvoie à un ensemble d’ethnies qui présentent des affinités de plusieurs ordres. Si le trait caractéristique de l’ethnie est la langue, celui de la communauté est culturel. La plupart des ethnies portent les noms des langues que parlent leurs membres (Duala, Bassa, Toupouri, Foulbé, Bamoun, Bafang, Bafia, Batanga, Ewondo etc.). La communauté quant à elle rassemble un groupe d’ethnies qui au-delà des langues respectives qui diffèrent, affichent de solides liens historiques, sociologiques ou anthropologiques qui créent une conscience commune. Les communautés Islamo-peule, Sawa, Kirdi, Bamiléké, Beti, Koh-zimé, Bassa-mpoo-bati, Bamoun, Tikar etc. en sont des illustrations. La reconnaissance de la communauté est l’indispensable préalable pour fédérer et préserver dans l’intérêt de tous, notre identité plurielle. Des études anthropologiques pertinentes, menées notamment par le Professeur Paul ABOUNA démontrent une telle prégnance du rattachement à l’ethnie au point où, leurs conclusions suggèrent la constitutionnalisation de l’ethnocratie . Nous n’épousons pas cette finalité « ethnocratique » que nous jugeons réductrice parce que nous ne confondons justement pas l’ethnie à la communauté, la particule à l’ensemble, mais nous partageons le refus de négation d’une réalité qui « crève les yeux », et faisons le choix de l’objectiver. L’intégration nationale qui est la finalité que nous assignons à l’Etat, n’est ni la négation des différences, ni l’effacement des identités. Pour accomplir notre vision de protection et de libération des énergies, l’Etat doit être fédérateur en tout temps et en toutes circonstances, de son socle identitaire qu’est la communauté.

Toutefois, notre doctrine politique demeure inclusive des autres courants de pensées. En dehors de l’anthropologie anarchiste avec laquelle elle ne pourrait philosophiquement pas « cheminer », elle puise assurément dans l’ « universisme » de la pensée africaine que défend brillamment MBOG BASSONG, et emprunte volontiers sur le plan économique aux deux grands systèmes du paradigme occidental qui sont : le libéralisme et le socialisme.

En effet, le libéralisme relègue l’Etat à l’exercice des fonctions indispensables à la vie en société, notamment la défense et la sécurité, en abandonnant les autres activités à l’initiative privée. Quant au socialisme à l’inverse, il entend faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts particuliers au moyen d’une organisation concertée. Ainsi, quand le premier système souvent désigné de « droite » fait l’éloge de l’initiative privée, le second désigné de « gauche » , fait l’apologie du commun. Pour ce qui nous concerne, nous sommes attaché à l’idée de collectivité qui est ancrée dans la communauté ainsi qu’aux traditions qui la structurent. Nos autorités traditionnelles, qui sanctuarisent notre identité doivent avoir leur place au sein de l’Etat sans être auxiliarisées à celui-ci. Nous pensons en même temps que l’initiative privée est indispensable et que le rôle de l’Etat est de la protéger et la réguler en bon père de famille. Nous faisons donc le choix d’emprunter aux deux systèmes de pensée. Notre posture n’est pas antinomique, elle est fédératrice. Pour davantage justifier notre emprunt, nous convoquons le philosophe et économiste écossais Adam SMITH , fondateur du libéralisme, lorsqu’il affirme : « chaque individu (…) ne pense qu’à son propre gain ; en cela, comme dans beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions. Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, il travaille souvent d’une manière bien plus efficace pour l’intérêt de la société que s’il avait réellement pour but d’y travailler ». C’est fort de cette implacable réalité, inhérente à la nature humaine que nous sommes convaincus que le rôle de l’Etat est aussi de libérer les énergies individuelles qui vont générer la prospérité. Nous empruntons au libéralisme, l’encouragement à l’initiative, à l’innovation et à la propriété. L’humain n’est jamais plus motivé que lorsqu’il poursuit son intérêt personnel. Le progrès souhaité en est tributaire. Mais le progrès ne peut être laissé à la merci de la seule initiative privée. Ainsi, dans le contexte camerounais, au regard de la profondeur du fossé des inégalités et des retards multiples qui ont ramolli le potentiel de nombreux citoyens, l’Etat doit être protecteur et planificateur. Il doit être un abri sûr et faire du milieu de vie un lieu sûr. Cette vocation prend un relief particulier en ce qui concerne les questions environnementales. C’est le lieu de rappeler que le paradigme africain est fondamentalement respectueux de la nature, et donc traditionnellement écologique. Et pour nous, l’humain doit demeurer au centre de toutes considérations.

Notre emprunt au libéralisme n’induit donc pas de lever toutes les limites à la marchandisation des rapports humains et à l’agression de la nature. L’Etat doit protéger la durabilité du cadre de vie, les faibles et les désemparés, mais aussi les plus forts et les entreprenants. L’Etat se place ainsi au-dessus, pas seulement en tant qu’arbitre, mais aussi comme secours et recours au sens de l’intérêt général socialiste. Elle est loin de nous, faut-il insister, l’idée d’un libéralisme outrancier qui minore le rôle de l’État en le réduisant au statut de gendarme devant des intérêts privés, tout comme nous sommes convaincu du caractère inconséquent d’un alignement sur un socialisme exacerbé et imbibé de communisme , prônant un étatisme et un dirigisme anesthésiants. Nous croyons en l’Etat qui libère le génie personnel vertigineux, mais nous croyons également en l’Etat gardien de la collectivité, qui génère de la richesse et qui veille à l’équité, nous croyons en la conciliation entre l’économie libérale et la société collective dans un sage dosage. Notre Etat sera en définitive un État africain, fixé sur un socle doctrinal fédéraliste et économiquement centriste. Nous croyons en l’Etat des valeurs traditionnelles, et en l’Etat qui craint Dieu.

Auteur: Cabral Libii