Ces dix proverbes qui ont assassiné le Cameroun

Old Woman Rural Village Mora Photo d'archives

Sun, 2 Jul 2017 Source: ECCLÉSIASTE DEUDJUI

Je ne vous apprends rien, la société Camerounaise est une société qui a perdu presque toutes ses valeurs. Il y a la sauvagerie qui a gagné nos mentalités, il y a la pornographie qui a investi notre progéniture, il y a les incivismes qui sont ancrés au plus profond de notre personnalité.

J’ai essayé de comprendre pourquoi nous avons autant de facilité à vivre avec l’invivable. Et j’ai compris que dès le plus jeune âge, nous absorbons des proverbes qui nous ont conduits (à coup sûr) vers la dégénérescence actuelle.

En voici quelques-uns…

1- LA CHÈVRE BROUTE LÀ OÙ ELLE EST ATTACHÉE

Je dis hein, est-ce que vous vous rendez même compte de ce que ce proverbe signifie ? Hein ? Ça veut dire que quand tu es aux affaires, ta famille et tes amis et toi vous devez vous en mettre plein la bouche et plein les poches. Ça veut dire que vous devez satisfaire votre ventre administratif et votre bas-ventre. Vous devez « brouter là où vous êtes attachés » sinon vous êtes des idiots, sinon vous êtes des bons à rien, sinon les sorciers du village ils vous jettent beaucoup de mauvais sort.

C’est l’un des proverbes les plus nocifs de la société camerounaise, en ceci qu’il justifie le vol des deniers publics, et que nos plus jeunes enfants le connaissent dès la maternelle. Et avec ça vous croyez qu’on sera émergent en deux mille trente quelque chose ?

2- UN VIEILLARD QUI MEURT EST UNE BIBLIOTHÈQUE QUI BRÛLE

Mais je dis hein, qui vous a raconté ces conneries ? Un vieillard qui meurt est un vieillard qui meurt, point barre ! C’est à cause de ce genre de clichés stéréotypés que les Africains n’écrivent rien. Ils sont toujours en train de dire que la sagesse et la connaissance sont dans le cerveau d’un bon buveur de bili-bili. Ça ne veut rien dire ! Et puis quand Sarkozy va dire que vous n’êtes pas assez représentés dans l’Histoire, vous allez partir vous plaindre. Il faut qu’on arrête de penser que les vieux sont plus intelligents que les jeunes. Ils ont plus d’expérience, mais c’est tout !

Et puis vous vous étonnez de la « longévicratie » dans nos institutions. Il faut qu’on apprenne qu’il faut apprendre par soi-même, et qu’il faut réfléchir, mais surtout qu’il faut écrire. La seule bibliothèque qui avait brûlé, c’était la bibliothèque de Toutankhamon en Egypte…

3- QUAND YAOUNDÉ RESPIRE, LE CAMEROUN VIT

Elle est bien bonne celle-là ! Sauf que celui qui l’a inventée habitait (et même encore) à Yaoundé. Le développement du Cameroun, ça ne doit pas passer par une ville ou bien par deux. C’est à cause de cet aphorisme bidon qu’en plein 21ème siècle, on soit obligé de quitter de Maroua à Yaoundé pour faire signer un simple papier. Conneries ! À quoi nous sert l’internet alors ? Et les budgets de l’informatique ? Et puis, est-ce que nous avons les routes, pour déranger les gens de cette façon ? Comment expliquer que pour retirer ton baccalauréat que tu as passé à Ngog-Mapoubi, tu doives traverser tout le territoire Camerounais ?

J’ai vraiment mal quand je regarde notre pays-ci. Regardez une simple ville comme Douala (« Douala c’est le poumon économique du Cameroun »). Regardez combien il y a des bendskineurs et de call-boxeuses. Regardez combien de gens habitent dans les zones industrielles. Regardez combien de gens sont entourloupés par les agences immobilières. Tout ça parce qu’on a dit à notre peuple que pour exister dans ce pays-ci, il faut habiter à Douala ou bien à Yaoundé… Mais ce qui m’étonne, c’est que ces grands manitous ont quand même réussi à créer un ministère de la Décentralisation !

4- LE CAMEROUN EST UNE AFRIQUE EN MINIATURE

Ça sonne bien, non ? Et puis ça nous flatte. Mais dites-moi : qu’est-ce qu’on a en commun avec la Mauritanie ? Ou bien le Maroc ? Ou bien l’Afrique du Sud ? Cette fichue assertion nous a fait croire pendant des décennies que nous étions le meilleur pays d’Afrique. Que nenni ! Le Cameroun est un Cameroun en miniature et puis c’est tout !

Au lieu de travailler, nous sommes là à nous contenter de nos climats divers, de notre position équatoriale, de notre bilinguisme… C’est ça qu’on mange ? Voilà la Guinée Equatoriale qui n’a rien de tout ça, mais est-ce qu’on peut alors lui parler fort ?…

5- LES MORTS NE SONT PAS MORTS

Hum ! Je n’ai rien contre Birago Diop hein, mais je dois lui révéler que les morts sont bel et bien morts ! Tous. Même Mandela qui était grand-grand-grand là, eh bien il est vraiment mort !

Ce dicton a été récité par nous dès l’école primaire, et depuis lors on ne le lâche plus. On l’a même transformé en « Un lion ne meurt jamais, il dort ! ». Allez alors réveiller Marc-Vivien Foé et Charles Ateba Eyéné. N’est-ce pas vous dites qu’ils dorment seulement ?

Le jour où les Camerounais comprendront que les vivants sont plus importants que les morts, le jour-là, on pourra alors entamer la lente marche vers l’émergence. Et puis quand quelqu’un sera malade, on s’occupera de lui du mieux qu’on peut. Au lieu de le laisser mourir, et puis de repeindre sa maison ensuite, et puis de lui offrir un cercueil chryséléphantin, et puis de lui organiser des obsèques à coups de centaines de millions de francs CFA… alors que tout ce gaspillage aurait pu le sauver de son vivant, ou alors aider ceux qui sont encore en train de croupir dans nos hôpitaux qui sont déjà des cimetières…

6- QUI NE TENTE RIEN N’A RIEN

Dites-moi : est-ce que dans un pays sérieux, on doit tenter quelque chose pour avoir ce qu’on mérite ? Est-ce qu’on doit se (com)battre pour avoir la chance d’aider son pays à avancer ? Est-ce que votre enfant doit tenter quelque chose pour que vous lui donniez l’argent de beignets ? C’est quoi ce système où on éprouve les gens et on les suce, avant de leur donner ce qui leur revient ? C’est quoi cette manière que la compétence soit transformée en subsistance ?

Moi je dis non, non, non ! Qui ne tente rien a tout ! Si un Camerounais mérite quelque chose, il n’a pas besoin de venir toquer chez vous à 2h du matin pour l’avoir. Donnez-lui sa chose ! Donnez à ce gars ce qui appartient à ce gars ! Il a déjà « tenté » en se débrouillant pour acquérir sa force, son intelligence, sa technique, son expérience, ou son talent. Vous voulez qu’il tente encore que comment ? En s’humiliant et en se rabaissant pour satisfaire votre instinct sanguinaire ?

7- ON NE FAIT PAS LES OMELETTES SANS CASSER LES AUTRES



Les œufs, je voulais dire. Ça veut dire que pour un rien comme ça ou pour une route imaginaire, on va venir vous déguerpir et détruire vos maisons ! Wèèèkè ! Cameroun. Pourquoi ne pas reloger ces pauvres hères qu’on délocalise ? Et pourquoi ce sont toujours les mêmes qu’on scelle, qu’on rase, qu’on expulse, et qu’on démolit ? Pourquoi la route ne doit jamais passer sur la maison d’un député, ou d’un ministre, ou d’un ambassadeur ? Est-ce à dire que même l’urbanisation du Cameroun, ça a les yeux ?…

Et puis quand on va tendre un micro peinturluré à nos délégués du gouvernement, ils vont te dire qu’on ne peut pas faire des omelettes sans casser les œufs. Est-ce qu’on leur a dit que nous ont veut manger les omelettes ? Hein ? Il ne pouvaient pas plutôt faire les œufs bouillis à la place ?

8- LE CHIEN ABOIE, LA CARAVANE PASSE

Quand on me parle de ce proverbe, je vois directement notre élite dirigeante. Elle se fout du peuple, elle se fout de nos revendications, elle s’en balance de nos réclamations. Au Cameroun, même quand le chien n’aboie pas, la caravane passe seulement. Et cette caravane sourde et méprisante continue sa route depuis des décennies, au détriment de sa population qui naît, grandit, vieillit et meurt dans l’indifférence.

Les chiens qui aboient, ce sont nos journalistes. Les chiens, ce sont nos opposants. les chiens, c’est la société civile. Les chiens, ce sont les médias, les artistes, les sportifs, les intellectuels qui se plaignent et qui dénoncent. Mais on ne les écoute jamais parce que dans la caravane, il y a Dieu !

9- IMPOSSIBLE N’EST PAS CAMEROUNAIS

Dans la série foutage de gueule, on ne peut pas mieux faire que ce proverbe importé de la France. Qui vous a dit que Impossible n’était pas camerounais ? Vous l’avez déjà vu ? Est-ce que vous connaissez sa nationalité ? Et c’est à cause de ce paradigme loufoque que nos Lions vont dans des compétitions sans se préparer, parce que « leur échec ne sera pas camerounais ». Triple tsuip ! Au lieu de penser à l’impossible, pensez d’abord au possible et aux possibilités. Il faut travailler et se donner les moyens de réaliser de grandes choses, et non dormir sur des proverbes aussi endormissants. Et après ça tu vas voir nos jeunes dans la rue – et même nos vieux – qui ne savent pas ce qu’ils comptent faire de leur vie. Et qui ne sont même pas inquiets, parce qu’on leur a dit que « Impossible n’est Camerounais »

10- LE CAMEROUN C’EST LE CAMEROUN

Voici alors le grand-frère des proverbes qui nous tuent le Cameroun, et qui nous empoisonnent les mentalités. Le Cameroun c’est le Cameroun ! Une lapalissade qui ne veut rien dire, mais qui nous a fait tolérer l’intolérable. Un ministre détourne de l’argent, le Cameroun c’est le Cameroun ! Nos administrateurs tentent de s’éterniser au pouvoir, le Cameroun c’est le Cameroun ! On nous prive d’électricité pendant plus de quatorze jours, le Cameroun c’est le Cameroun. On te demande de l’argent pour soudoyer les directeurs de nos grandes écoles, ou de nos guichets, ou de nos organisations sportives, ou de nos institutions étatiques, c’est normal, parce que le Cameroun c’est toujours le Cameroun…

Et donc je dis non, il faut qu’on sorte de ces proverbes avilissants. Il faut qu’on remette l’éthique au centre de notre développement. Il faut qu’on redonne de la valeur à nos mœurs, et à notre éducation civique. Il faut qu’on ne supporte plus ce qui n’est pas supportable, et qu’on cesse d’accepter ce qui n’est pas acceptable. Non, le Cameroun n’est pas le Cameroun, oui, impossible peut être camerounais, oui, le chien aboie et la caravane s’arrête, oui, on peut faire les omelettes sans casser les autres, oui, qui ne tente rien peut tout avoir, oui, les morts sont vraiment morts, non, le Cameroun n’est pas une Afrique en miniature, oui, quand Yaoundé ne respire pas, le Cameroun peut vivre, non, un vieillard qui meurt n’a rien à voir avec une bibliothèque, et puis non, non, non, bon sang de non, la chèvre n’est pas obligée de brouter là où elle est attachée…

Auteur: ECCLÉSIASTE DEUDJUI