Ces hauts gradés qui ont refusé de tirer sur le peuple

Une kyrielle de noms y figurent

Fri, 22 Sep 2023 Source: Arol Ketch

Thomas Sankara disait : « Un militaire sans formation politique idéologique est un criminel en puissance ! ».

A des moments décisifs de l’Histoire de leur Pays, alors qu’ils avaient reçu l’ordre de tirer sur le peuple qui manifestait pour la démocratie et un avenir meilleur ; des militaires haut gradés ont refusé d’obéir aux ordres. Et pourtant, ils auraient pu tirer et abattre leurs concitoyens pour préserver leurs intérêts égoïstes et contribuer à maintenir le régime en place. Ils ont préféré laisser le peuple s’exprimer.

Le Général Rachid Ammar

Le 17 décembre 2010 en Tunisie, l’administration confisque pour une énième fois les outils de travail (une charrette et une balance) d’un marchand ambulant de fruits et légumes parce que celui-ci n’est pas à même de payer des pots de vin. Son activité constituait le seul revenu d’une famille de sept enfants. Essayant de récupérer son matériel et son stock auprès de la municipalité, le jeune homme est brutalisé, humilié et expulsé des bureaux. Humilié, désespéré et blessé dans son amour propre, Mohamed Bouazizi s'immole par le feu devant le siège du gouvernorat. C’est le déclenchement d’une série de manifestations pour contester le régime de Ben Ali. Malgré les interventions et les promesses du Président Ben Ali, les manifestations ne cessent pas. Les manifestants gagnent du terrain et exiger tout simplement le départ du Président Ben Ali.

Ben Ali fait aussitôt recours à son armée et lui demande de mater sévèrement les manifestants. Il demande d’ouvrir le feu et d’instaurer le calme. Le 13 janvier 2011, Rachid Ammar chef d’état-major de l’Armée de terre refuse les ordres du président Ben Ali de tirer sur les manifestants. Il va regarder Ben Ali droit dans les yeux et lui lâcher d’un ton ferme : « Une armée ne tire pas sur son peuple ! »

Ben Ali le démet alors pour désobéissance et l’assigne à résidence. Sous la pression de l’armée Tunisienne qui ne souhaite pas voir un carnage en Tunisie et ne souhaite pas tirer sur les tunisiens, Ben Ali est obligé de capituler. Au nom de l’armée, le général Ammar a indiqué à un Ben Ali isolé et désemparé qu’il ne lui restait plus qu’une seule issue pour échapper à la vindicte populaire : la fuite. Le 14 janvier, Ben Ali fuit le pays avec son entourage.

Après la fuite de Ben Ali, le Général Ammar va s’adresser à la foule le 24 janvier : « Nous sommes les garants de la révolution des jeunes et veillerons à ce qu’elle arrive à bon port …. Nous ne réprimerons pas les manifestations pacifiques, mais celles-ci ne doivent pas aboutir à créer un vide, car le vide mènerait à un retour de la dictature. »

Pour la première fois dans l’histoire contemporaine de la Tunisie, la foule a acclamé spontanément un général en exercice. Pour féliciter son action héroïque pendant la révolution Tunisienne, Rachid Ammar qui est devenu populaire auprès des Tunisiens est nommé chef d'État-Major des armées le 19 avril 2011. Mais Rachid Ammar est un homme humble, patriote qui préfère la discrétion à la lumière des projecteurs. Le 24 Juin 2013, il décide de quitter sa fonction prestigieuse de chef d'État-Major des armées avec tous les avantages et se met à la retraite.

Le général Fidel Ramos

En 1986 aux Philippines, Corazon Aquino se présente à l'élection présidentielle de février 1986 face au dictateur Ferdinand Marcos Marcos. L’élection est entachée de fraudes massives ; Marcos et Aquino se déclarent tous deux vainqueurs. Malgré les intimidations, Corazon Aquino ne se démonte pas ; elle est prête à aller jusqu’au sacrifice suprême. Elle lance une campagne appelée « Pouvoir au peuple » qui commence par une grève générale.

Elle prête serment le 25 février 1986, nomme un gouvernement parallèle, et décide de mener la lutte pour la conquête de sa victoire et la libération de son peuple. Son arme c’est le peuple. Elle décide alors d’organiser des manifestations non-violentes et pacifiques dans les rues de Manille. Près de deux millions de philippins vont répondre à son appel et sortir dans les rues.

Sentant l’imminence d’une révolution populaire, le président Ferdinand Marcos demande à l’armée de tirer sur le tas. L’armée commandée par le général Fidel Ramos va refuser de prendre position et va adopter une attitude neutre en refusant de massacrer les philippins. La foule en liesse prend alors la route de la Présidence de la République ; le Président Marcos confronté à l’afflux de manifestants pacifiques, décide de prendre le chemin de l’exil en catastrophe escorté par des hélicoptères militaires américains.

La neutralité de l’armée a été très déterminante dans la chute du régime de Marcos. Rappelons que cette armée était commandé par Fidel Ramos cousin du Président. Bien qu'il fût cousin et ministre de la Défense du dictateur Ferdinand Marcos, ce militaire décida de se ranger du côté du peuple alors qu’il aurait pu liquider ses compatriotes pour préserver ses intérêts égoïstes et ceux de son clan.

Corazon Aquino accède officiellement au pouvoir, elle fait adopter une nouvelle constitution et maintient le général Fidel Ramos à ses côtés. Celui-ci sera son ange gardien ; il va protéger la Présidente pendant tout son mandat et va déjouer sept tentatives de coup d'État militaire.

Après son premier mandat (1986-1992), elle décide de ne pas briguer un second mandat. Sous sa présidence, elle supervisa la rédaction d'une nouvelle Constitution qui limitait à un mandat de six ans l'exercice du pouvoir par le chef de l'Etat. Son ange gardien, le général Fidel Ramos lui succède comme président des Philippines du 30 mai 1992 au 30 mai 1998.

Le Général Kouamé Lougué

Dans la perspective de l’élection présidentielle de 2015, Blaise Compaoré au pouvoir depuis 1987 au Burkina Faso veut changer la constitution qui limitait le nombre de mandats présidentiels à deux quinquennats. Alors que l'amendement va être en débat à l'Assemblée nationale, les Burkinabè décident de sortir dans les rues afin de s’opposer à ce projet de dévolution monarchique.

A l'appel de l'opposition et des organisations de la société civile, près d’un million de manifestants défilent dans les rues de la capitale Ouagadougou le 28 octobre 2014 ; s’en suivront une série de manifestations. Les manifestants scandent alors le nom d’un Général de l’armée Burkinabè : « Kouamé Lougué ! » pour l’inviter à prendre ses responsabilités.

Lorsque la foule des manifestants s’est approchée du palais présidentiel, plusieurs militaires issus de la garde présidentielle se sont avancés en direction des manifestants, les bras levés en guise de soumission. Des manifestants ont même été autorisés à rencontrer le chef d’Etat major de l’armée et le Président Compaoré pour transmettre à ceux-ci la volonté populaire : « La démission du Président Blaise Compaoré ».

Le 2 novembre 2014, le général Kouame Lougué décide de se rendre à la télévision nationale pour prendre le pouvoir. Mais, avertis par ce mouvement de foule, les agents de la télévision avaient déjà coupé les émetteurs télé avant de quitter les lieux pour se mettre sécurité. C’est donc dans une cacophonie générale que le général fera un discours non retransmis en direct pour se proclamer chef d’Etat. La suite a failli être dramatique. Car le Général Nabéré Honoré Traoré, le Lieutenant-colonel Zida Isaac s’étaient aussi autoproclamés Chef d’Etat. Après des tractations, le diplomate Michel Kafando est nommé président de transition le 17 novembre 2014. Il nomme Yacouba Isaac Zida, Premier ministre.

Mais qui est ce Kouamé Lougué ? Kouamé Lougué est un général burkinabè, ancien Chef d’Etat-Major, ancien ministre de la défense du Burkina Faso. Même s’il a voulu répondre à l’appel du peuple, le général Kouame Lougué n’a pas été à la hauteur des attentes du peuple en ce moment précis ; quoique populaire auprès des manifestants qu’il soutenait, il a manqué d’audace. Toutefois, il a voulu répondre à l’appel du peuple.

Kojo Boakye Gyan

Dans la nuit du 14 au 15 mai 1979 au Ghana, Jerry Rawlings et six compagnons tentent, avec le soutien de quelques dizaines de tireurs d'élite, une action désespérée. Faute de moyens et de préparation, ils sont arrêtés avant même d'avoir réellement mis leur projet de Coup d’Etat à exécution.

Ils sont mis aux arrêts par le Conseil Militaire Suprême (SMC) qui dirigeait le pays depuis 1972.

Jerry Rawlings et ses camarades seront jugés publiquement par une cour martiale. C’est ce procès public qui contribuera à rendre Rawlings célèbre et adulé. Au cours de ce procès radiotélévisé, Rawlings retourne la situation en sa faveur ; il gagne les cœurs et la sympathie des ghanéens.

Malgré les lourds et graves chefs d’inculpation qui pèsent contre lui, il ne se démonte pas et accuse le régime militaire de corruption massive ; il pousse l’outrecuidance en exigeant que ses amis soient libérés car il était l’unique responsable de cette mutinerie ; La foule se déchaîne et acclame longuement l’accusé Rawlings. L'assistance se lève et le salue avec le poing levé.

Au terme du procès, Rawlings est condamné à mort mais il a déjà gagné le cœur des Ghanéens qui voient en lui un véritable patriote, mieux ; un sauveur. Sur les murs du camp militaire où se déroule le procès, on peut lire les messages suivants : " arrêtez ce procès sinon...", " Si vous voulez mourir, continuez à le juger !", " La révolution ou la mort ", "la lutte continue".

Des jeunes militaires vont se ranger du côté du peuple et désobéir aux ordres pour sauver Rawlings. Dans la nuit du 3 au 4 Juin 1979, soit quelques heures seulement après sa condamnation à être exécuté, des jeunes officiers militaires menés par le major Boakye Gyan font irruption dans la prison où Rawlings est détenu et le libèrent avec la complicité des gardiens qui vont refuser de tirer.

Rawlings est amené directement à la radio pour faire une déclaration. Il annonce avoir été libéré par ses camarades et annonce que l’armée passe sous son commandement.

Auteur: Arol Ketch