Les cathédrales, qui semblent des monuments éternels dans nos villes, n’ont pas toujours été là. Quand elles arrivent au 12ème siècle, elles font émerger l’art gothique, tout à la gloire de Dieu. La sculpture, les vitraux et une certaine ingénierie de la lumière ont été utilisés pour embellir les cathédrales et magnifier l’Etre suprême. Mais cette dévotion artistique servait finalement l'orgueil des hommes sous les aspects de la foi.
A Addis-Abeba, en Ethiopie, l’orgueil d’un homme vient de lui retirer sa gloire.
Issa Hayatou, l’homme qui a changé la face du football africain, n’a pas eu la lucidité pour se retirer assez tôt. Il a donc subi l’humiliation d’une défaite à la présidence de la CAF, qu’il a dirigée pendant presque trente ans.
Le Camerounais disait vouloir encore servir le football, mais il ne lisait pas les signes de sa fin, inscrits même dans le calendrier de la marche du monde dans lequel il vit. Ce vent qui a fait le ménage à la Fifa n’avait laissé qu’un survivant: lui. Son heure avait sonné.
Cet homme qui a énormément donné a commis la faute de ne pas savoir s’arrêter. Il sera privé des honneurs d’un départ pourtant mérité à la retraite, diminué qu’il est par la maladie. C’est ainsi que cela s’achève toujours pour ceux qui s’accrochent au pouvoir : soit ils sont humiliés, soit ils sont oubliés.
Pourtant le destin offre toujours une occasion de sortir par la grande porte.
Issa Hayatou, après avoir été candidat puis président par intérim de la Fifa, avait accompli un rêve, trôner au sommet du football mondial, lui petit prince peul de Garoua. Cette année, son pays le Cameroun venait de gagner une CAN inespérée, quelques mois après une mémorable CAN féminine organisée par son si incontrôlable pays.
Enfin, il avait obtenu que le Cameroun organise enfin une CAN en 2019 47 ans après. Le temps des cathédrales a montré qu’au lieu de servir Dieu, les hommes servaient leur propre orgueil.
Mutatis Mutandis : Paul Biya sert-il Dieu ou son propre orgueil ?
La composition de la commission pour la promotion du bilinguisme et du multiculturalisme montre que le président reste égal à lui-même : conservateur, méfiant, sans panache et finalement inefficace. Notre pays est englué dans une crise identitaire, une crise de la forme de l’Etat avec des métastases dans l’éducation, l’économie et le vivre ensemble.
Au-delà du problème anglophone, c’est tout le corps social qui est malade et on attendait que l’électrochoc vienne de la commission du bilinguisme et du multiculturalisme, qui marquerait le début d’une prise de conscience que la rupture entre l’ordre régnant et le peuple nous mène à la dérive.
Au lieu d’un traitement de choc, le Président a servi un placébo.
Cette commission est condamnée à échouer car elle est le reflet de l’orgueil de Paul Biya et non de sa volonté de résoudre la question anglophone et du vivre ensemble de tous les Camerounais. Pour la diriger, le Président a choisi un anglophone du Sud-Ouest alors que l’épicentre de la crise est dans le Nord-Ouest, qui est accusé par sa Région sœur du nord de mollesse. Mafany Musonge cumule ses fonctions de sénateur, président du groupe parlementaire RDPC à la chambre haute, et grand chancelier des ordres nationaux. Ci-devant Premier ministre, âgé de 74 ans, il est, à son corps défendant, la certitude que Paul Biya ne veut rien lâcher, qu’il ne prend aucun risque et qu’il va tout contrôler.
Le chef de l’Etat est déjà dans le rapport de force, comme en témoigne la cooptation de Ama Tutu Muna. Quand on sait l’activisme de ses frères ? Ben et Akere Muna ? dans cette crise et ce que son propre père, Solomon Tandeng Muna, a représenté dans le processus de l’avènement de l’État unitaire, elle est utilisée comme alibi. Une sorte d’Aminatou Ahidjo.
Abouem à Tchoyi, qui a montré qu’il connaît bien le problème anglophone, paraîtra bien isolé dans ce biotope.
Quand on observe la commission Musonge, il transparaît un excès de calcul politique et un jeu d’équilibre politicien, mais très peu les signaux d’un dirigeant travaillé par le souci de construire des solutions à une crise si clivante qu’elle en est dangereuse pour la nation. Paul Biya n’a pas eu à cœur d’offrir à cette commission une légitimité assise sur un ancrage populaire et un incontestable leadership de ses membres.
Cette commission sera « son machin ».
On est en plein dans le drame de la gouvernance camerounaise, que ce soit pour Issa Hayatou que pour la commission Musonge. C’est la persistance des mêmes visages, cette incapacité de renouvellement du personnel et cette impression de tournis à force d’entendre les mêmes noms. Notre pouvoir a besoin d’une bonne cure de dégagisme qui agira comme lorsqu’on ouvre portes et fenêtres dans une maison pour laisser les courants d’air emporter les mauvaises odeurs. Au lieu de quoi, le pays étouffe de ne pas s’oxygéner d’intelligence et de compétence nouvelles. Pourtant, elles sont là.
Nous sommes en plein dans le temps des cathédrales, où on sert son orgueil quand on dit servir le pays.