Le prix public du sac de 50 Kg de ciment reste bloqué à 4600 Fcfa sur le marché camerounais, et ce malgré la mise en service des unités de production de Aliko Dangote et des Cimenteries d’Afrique (Cimaf) depuis le début de cette année 2015.
Le public avait espéré que l’entrée sur le marché des autres opérateurs viendrait réduire, du fait de la concurrence, le prix du sac, et permettrait que les travaux de construction reprennent un nouvel élan. Mais cela n’a pas été le cas, dans ce marché resté depuis les indépendances la chasse gardée de Cimencam, filiale du groupe français Lafarge.
En plus, ce prix de 4600Fcfa varie suivant les villes de livraison, les marqueteurs faisant aussi jouer le coût du transport sur leurs marges, et il n’est pas rare qu’on retrouve le sac de ciment à 7000Fcfa voire 8000Fcfa dans certains coins reculés du pays.
Il est vrai qu’en comparaison, les prix du ciment dans les pays d’origine des opérateurs déjà présents ou en voie de l’être ne sont pas forcément plus bas que les prix pratiqués au Cameroun, mais des éléments qui entrent dans la structuration des prix ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre, et tout laisse penser qu’au Cameroun on aurait dû avoir mieux.
Les responsables de Medcem, filiale du groupe turc Eren Holding, qui avaient annoncé la sortie de leur premier sac au Cameroun en juin 2015, expliquaient lors de la visite de leur usine que l’une des motivations de leur implantation au Cameroun est le gain, la tonne de ciment étant vendue à 35000Fcfa en Turquie contre 92 000Fcfa au Cameroun.
Au Maroc, pays d’origine de Cimaf, la tonne est vendue à 78 000Fcfa (64 DH), au Nigeria où Dangoté compte déjà trois usines et produit 28 millions de tonnes par an, la tonne de ciment vient de connaitre une hausse et sevend actuellement à 44 000 Naira, soit environ 154 000Fcfa. Le même Dangote vend la tonne au Sénégal à 58 000Fcfa. En France aussi, pays du groupe Lafarge, la tonne de ciment atteint aussi les 154 000 Fcfa.
Cimencam, 958 Fcfa le plus cher au Cameroun
D’après les spécialistes du bâtiment, il faut regarder de près pour comprendre que le ciment de Cimencam est en réalité le plus cher sur le marché camerounais. D’abord, à la sortie usine, le sac de 50 kg coûte 4289 Fcfa à Cimencam, 4250 Fcfa à Cimaf et 4250 à Dangote cement. Déjà à ce niveau il y a une différence de 39 Fcfa de plus chez Cimencam. Ensuite, la filiale de Lafarge vend ainsi le ciment Cpj 35, alors que les deux autres opérateurs donnent du 42,5, ce qui correspond techniquement à une meilleure qualité.
En faisant le ratio, on se rend compte que le MPA, l’unité de résistance qui est de 35 chez Cimencam coûte ainsi 122,542 Fcfa, contre 100 Fcfa chez les deux autres. C’est dire d’après les calculs d’un ingénieur, qu’à 42,5 MPA, c'est-à-dire à qualité égale, le sac de ciment coûterait 5208 Fcfa sortie usine chez Cimencam, là où les autres sont à 4250Fcaf, soit une différence de 958 Fcfa
Exploitation et spoliation
A l’analyse, l’on se rend compte que la filiale de Lafarge au Cameroun, sous des apparences trompeuses, spolie les Camerounais en trichant sur la qualité, en réalité pour remonter sa dette d’une profondeur abyssale. Le groupe est donné par les Français comme premier cimentier mondial, avec des filiales implantées dans 78 pays. Mais dans les faits, il traîne dans ses caisses une dette colossale.
D’après Francetvinfo.fr, en février 2012, l’agence de notation Standard & Poor’s l’a placé sous surveillance avec perspective négative, avant de le reléguer au rang d’émetteur spéculatif (junk bond). Sa dette était alors estimée à près de 12 milliards d’euros, soit environ 7 860 milliards de Fcfa. Pour sortir de l’eau, le Pdg Bruno Lafont a entrepris des négociations avec le cimentier suisse Holcim pour une fusion. Une fusion fortement contestée par les actionnaires de Holcim, qui jugeaient Lafarge « trop endetté, trop peu rentable et trop présent dans les zones à risque », rapportait Le Monde sur son site internet le 8 mai 2015.
Les accords ont été finalement signés le 20 mars dernier, mais Brunot Lafont qui prétendait prendre la tête du nouveau consortium a été contraint par Holcim à revoir ses ambitions à la baisse. Il se contente désormais du poste de coprésident non exécutif. La fusion entre « égaux » n’a pas eu lieu, Holcim a finalement imposé toutes les règles, en prévenant même Lafont que « faute d’accord » sur ses exigences, la fusion ne se fera pas.
D’après les médias français, les grands actionnaires de Lafarge ont compris que seule cette fusion devait permette au groupe de mieux tenir le choc faces aux cimentiers des pays émergents qui montent en puissance, et de réaliser des économies d’échelles estimées à termes à 1,4 milliards d’euros par an. A son corps défendant, Lafont s’est plié aux exigences de Holcim, qui détient désormais 55% des actions du consortium Lafarge Holcim, contre 45% pour Lafarge. Le président du consortium, Eric Olsen, a été choisi par Lafarge, mais son choix devait être validé par Holcim.
Lafarge a donc cessé d’exister depuis plus d’un mois, laissant la place à Lafarge Holcim. Mais que devient sa dette, qui va la payer ? Tout laisse penser que la tricherie faite sur le prix du ciment au Cameroun participe de la technique de spoliation de l’Africain dont les Français sont passés maîtres depuis l’aube des temps, l’objectif ultime étant de renflouer les caisses, faisant ainsi payer aux Camerounais en particulier, et aux Africains de la sous-région en général, une dette qu’ils n’ont pas contractée, et qui n’a pas permis de leur bitumer une route, que des camions de ciment dégradent chaque jour.