Comment Patrice Nganang veut faire de Ibrahim Njoya une grande figure de l’histoire

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Sun, 12 Jul 2015 Source: Hilaire Mbakop

Quand Charles Ateba Eyene passa dans l’autre monde l’an dernier, Mathias Eric Owona Nguini lui conféra la qualité de « héros national » dans son oraison funèbre. Avec ces propos, le politologue s’attira les foudres de Patrice Nganang qui parla de l’invention d’un héros national à partir de l’écume de la droite », et même d’une véritable « déroute intellectuelle ! »

Pourtant, le même Nganang considère le sultan Ibrahim Njoya comme « un grand personnage historique du Cameroun ». Il déplore le fait que beaucoup de Camerounais ignorent l’histoire de ce roi Bamoun qui régna de 1887 à 1933. L’écrivain et enseignant résidant à New York dit sans ambages : « Ibrahim Njoya est mon maître à penser. »

Selon lui, l’œuvre de ce souverain qu’il tient par ailleurs pour un génie « devrait servir d’orientation, bref, de point d’encrage à la conscience collective camerounaise ». Nganang fait montre de malhonnêteté intellectuelle, car il déforme, enjolive l’histoire. C’est pour cela que je dois repousser ses arguments. Il est inadmissible qu’on cherche à ériger un traître à la patrie en modèle.

Quand le nom d’Ibrahim Njoya est prononcé, tout Camerounais qui connaît l’histoire de son pays pense d’abord à la trahison dont il se rendit coupable en 1914. Le roi Rudolf Duala Manga Bell, l’un des chefs des Doualas que les Allemands avaient destitué l’année précédente parce qu’il protestait contre la ségrégation et la spoliation des terres, envoya un messager au palais du sultan Ibrahim Njoya pour le gagner à la résistance.

Quelle fut la réaction du maître à penser de Nganang ? Il chargea ses émissaires de transmettre le message suivant à Duala Manga Bell : « Les Allemands sont mes pères, et lui est comme mon frère, comment dès lors pourrais-je entrer en guerre contre eux ? » Et ce n’est pas tout ! Njoya s’empressa de porter à la connaissance des colons que Duala Manga Bell préparait la lutte armée ! Ce dernier fut alors arrêté, condamné à mort et pendu le 08 août à Douala. Son secrétaire Ngosso Din aussi.

Parler du sultan Ibrahim Njoya avec éloge c’est ériger la délation en principe, c’est insulter les Camerounais et Africains qui ont lutté pour la liberté. Nganang va jusqu’à affirmer que « Njoya avait une avance singulière sur Um Nyobé, Ouandié, Moumié et le autres » !

C’est faux, archi-faux ! Le poltron, traître et sbire Njoya se trouve dans la poubelle de l’histoire, tandis que Ruben Um Nyobé et sa concubine Marie Ngo Njock, Ernest Ouandié et sa femme Marthe, Félix-Roland Moumié et sa femme Marthe, Abel Kingué, Castor Osende Afana, Martin Singap, Martin Paul Samba, Jérémie Ndéléné, Sakeo Kamen, Jean-Marc Lihan, Isaac Nyobé Pandjock, Abraham Mbah, Ngandio (alias Château Dynamique), Marcel Feze Ngandjong, Paul Momo, André Tchembou, David Kana, Cécile Teck, Ngo Tsade, Gertrude Omog, Marguerite Ngoyi, Michel Ndoh, François Fosso, Ngouo Woungly Massaga, Aloys Njock, Pierre Simo, Jérôme Ngangué et des centaines de milliers d’autres héros nationaux sont auréolés de gloire.

Si Njoya avait suivi l’appel à l’insurrection lancé par Duala Manga Bell, son œuvre littéraire que Nganang admire tant aurait suscité mon intérêt. Mais Nganang n’est pas le seul à porter cet antihéros aux nues. Il nous apprend qu’il y a eu « une renaissance Ibrahim Njoya » au niveau de la recherche scientifique. L’actuel sultan Bamoun, Ibrahim Mbombo Njoya, soutient des travaux des chercheurs camerounais et étrangers.

En novembre 2013, Nganang et lui prirent part à un colloque international qui se tint à l’Université de Yaoundé I et dont le thème était : « La place du roi Njoya dans l’historiographie africaine et l’impact de sa contribution dans l’évolution de la civilisation africaine. » Au cours dudit colloque, les spécialistes donnèrent toutes les qualités à l’homme qui trahit le grand Duala Manga Bell : « Modèle d’audace, inventeur et créateur de civilisation, artisan des droits de l’Homme, précurseur de la science moderne, précurseur de la renaissance africaine, marque déposée du Cameroun, modèle pour la jeunesse africaine, modèle pour l’humanité entière, etc. » Les chercheurs peuvent le parer de toutes les qualités qu’ils veulent, mais ils ne réussirons jamais à faire oublier son ignoble trahison.

Sur le plan littéraire, Nganang a rendu hommage à son idole avec le roman « Mont Plaisant ». Le titre renvoie à la zone où il passa les trois dernières années de sa vie. En effet, l’administration française l’avait assigné à résidence à Yaoundé en 1930. Son successeur Seidou Njimolluh Njoya fut un valet de l’occupant français. Après la dissolution de l’UPC et de ses organes annexes par Paris le 13 juillet 1955, Pierre Kamdem Ninyim III, chef de Baham, fit fi de cette mesure en haranguant les foules dans les villes et villages de la Région Bamiléké, en hébergeant des camarades recherchés, en apposant l’emblème du parti dissous sur sa voiture.

Maurice Delauney qui était alors le chef de la Région chargea le roi Njimolluh Njoya d’amener son collègue à changer de camp. Quand ce dernier reçut l’invitation du médiateur le 16 mai 1956, il refusa de le rencontrer parce que « la population me retirerait sa confiance si je fréquentais un homme comme le sultan qui vend le pays aux Français. » Quelques mois plus tard, Delauney arrêta et destitua le chef révolté avec la bénédiction du Haut-commissaire Pierre Messmer.

Le sultan Ibrahim Mbombo Njoya qui mobilise des écrivains comme Patrice Nganang, Gaston Kelman, Jacques Fame Ndongo, des scientifiques comme Daniel Abwa, Thierno Mouctar Bah, Joseph Owona, Jean Njoya, Joachim Emmanuel Goma-Thethet, Moïse Moupou, Oudou Njoya, Jean Koufan Mekene, Albert Pascal Temgoua, Eugène Désiré Eloundou, Sy Mamoudou, Elikia M'Bokolo, Achille Bella, Roger Etame, Emmanuel Matateyou, Jean-Pierre Ntamag, Martin Kalulambi, Blandine Manouere, Amzat Boukouri-Yabara et beaucoup d’autres pour faire la publicité de son grand-père est lui-même un antihéros. Sous la présidence du dictateur sanguinaire Ahmadou Ahidjo, le prince exerça plusieurs fonctions, parmi lesquelles celle de directeur de cabinet du ministre des Forces Armées qui n’était nul autre que le funeste Sadou Daoudou.

Ils sont des acteurs du génocide des Bamilékés au même titre qu’Arouna Njoya et Jean Fochivé, deux fils Bamouns qui occupaient respectivement les postes de ministre de l’Intérieur et de chef de la police secrète du régime communément désignée sous l’appellation Direction des Études et de la Documentation (DED). Dès que le grand criminel Paul Biya accéda à la magistrature suprême, il nomma le prince Bamoun ministre de la jeunesse et des sports. En 1992, ce dernier monta au trône. Il fait partie des 30 personnes que l’autocrate camerounais bombarda sénateurs le 08 mai 2013.

Félix-Roland Moumié était Bamoun. Contrairement aux Bassas qui soutinrent massivement Um Nyobé et aux Bamilékés qui firent la même chose pour Ernest Ouandié et Abel Kingué, le peuple Bamoun refusa de se mettre derrière son fils. Comme nous l’avons vu, Ibrahim Njoya avait déjà refusé de se joindre à la résistance que Rudolf Duala Manga Bell opposait aux Allemands. Soit dit en passant, Martin Paul Samba, Henri Madola et Edande Mbita qui préparaient l’insurrection contre l’occupant allemand dans le Sud furent exécutés le même jour que Duala Manga Bell.

Ce dernier avait en effet établi un plan d’action avec Samba. Malheureusement, un Camerounais dont l’esprit était étriqué comme celui du sultan Ibrahim Njoya dénonça Samba aux autorités coloniales qui interceptèrent une de ses lettres quelque temps après.

C’est ainsi que ses compagnons du Sud et lui furent arrêtés, condamnés à mort et fusillés à Ebolowa. Chercher à tout prix à élever des traîtres à la patrie au rang de héros nationaux est une démarche répréhensible. En 1991, l’Assemblée Nationale proclama le grand criminel Ahmadou Ahidjo héros national. Aujourd’hui, Nganang et les autres veulent que nous considérions le traître Ibrahim Njoya comme une grande figure de l’histoire camerounaise, africaine et mondiale. Je proteste avec véhémence contre cette méthode.

Auteur: Hilaire Mbakop