Comment mettre l’ENAM au dessus de tout soupçon?

ENAM Ecole Nationale d'Administration et de Magistrature

Tue, 23 Aug 2016 Source: Jean-Baptiste Martin Amvouna Atemengue

L’Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature suscite beaucoup de débats ces derniers temps. Entre la proposition d’y exclure des étudiants tricheurs et une erreur matérielle sur les listes d’admissibilité, tous ses pourfendeurs ont trouvé là une nouvelle occasion pour dénoncer le mode de recrutement de ses étudiants-fonctionnaires.

Et pourtant son directeur général actuel a fait évoluer beaucoup de choses positivement. En introduisant par l’exemple les épreuves de spécialité, la technicité est plus présente dans le recrutement. Les grandes réformes qui devraient révolutionner cette école ne relèvent pas de sa compétence. Il doit gérer une situation devenue ingérable. Comment sélectionner 80 candidats directement sur 6000 dossiers? Forcément on s’en sort avec 5920 frustrés prêts à raconter n’importe quoi pour dénigrer ceux qui ont tué leur rêve.

Entre fantasmes, mythes et réalités, il y a désormais un tel écart qu’il n’est même plus aisé de mener un débat constructif et objectif sur la méritocratie tant voulue, mais que beaucoup de nos compatriotes ignorent dans ses aspects pratiques. La méritocratie ne connaît pas la notion de classe sociale. Elle n’est donc pas la solution pour l’égalisation des chances entre jeunes issus des milieux défavorisés et les autres. C’est un principe qui arbitre en fin de processus de formation afin de sélectionner les meilleurs. Sélection qui ne règle pas les inégalités qui trouvent leurs sources en amont du système scolaire et universitaire.

L’entrée dans nos grandes écoles, si elle généralise le principe de méritocratie, serait au moins avantageux pour les filles et fils des classes sociales modestes qui travailleraient avec acharnement pour braver les contraintes que les enfants des nantis non pas : cadre de vie et d’étude, documentation, héritage culturelle… ceux des enfants des pauvres qui travaillent sauront au moins que leur travail sera sûrement récompensé.

En dehors de ces quelques « héros » issus de familles modestes, il appartient à l’Etat de faire tout son possible pour accroître les chances des enfants issus des classes modestes afin d’augmenter le niveau de concurrence et donc d’efficacité du système scolaire et universitaire.

Nous avons copié le modèle des grandes écoles en France. Nous devons aller au bout de cette logique en instituant les mêmes procédures de présélection et de sélection. On ne peut pas produire une élite compétitive sur le plan régional et mondial sans respecter les principes de méritocratie. Car il est question de restaurer la crédibilité de cette grande école et de l’Etat que ces élèves doivent gérer après une solide formation.

De nos jours, les idées reçues et les préjugés des jeunes et leurs parents concourent à ternir l’image d’une école qui a été au cœur de la formation des dirigeants camerounais de 1959 à nos jours. De tout ce qu’on peut entendre sur cette école, beaucoup de choses sont fausses à l’évidence.

Nos jeunes compatriotes n’y accèdent pas parce qu’ils sont dans des sectes. Ils n’y accèdent pas parce qu’ils paieraient forcément de fortes sommes. Il n’y a pas que les fils des pontes du régime qui y accèdent et rien n’a jamais dit qu’un fils de ponte de peut pas être brillant scientifiquement. Il n’y a pas de listes venues de tous les gens influents qui s’y imposent au détriment des méritants.

Quand même on dit que ce sont ces anciens élèvent qui sont le plus interpelés dans l’opération «épervier», ceci est faux. Il ne représente même pas 20% des condamnés de cette opération. Condamnés qui se recrutent dans toutes les professions : universitaires, journalistes, ingénieurs et autres cadres contractuels.

Ignorer qu’il y a régulièrement des pressions honteuses sur les dirigeants de cette école pour faire entrer des médiocres n’est pas juste non plus. Dire qu’il n’y a pas de médiocres qui y entrent à la place de plus méritants serait d’une naïveté coupable.

Mais probablement que ces actes inacceptables sont amplifiés et ceci a pour conséquence d’occulter le mérite de ceux (la majorité) qui y entrent par leur travail. Jusqu'à une date récente (les années 90), des cas d’interventions étaient pratiquement inexistants et tous les candidats qui venaient de l’unique université de Yaoundé se connaissaient bien. Nous avions toujours retrouvé les camarades qui étaient les majors à l’amphi à la même place au concours d’entrée à l’ENAM.

Maintenant qu’il y a plusieurs universités, c’est plus difficile, mais il est normal qu’à un concours, les meilleurs à l’université soient aussi les premiers au concours d’entrée à l’ENA. Il y a un parcours préparatoire spécifique. Les meilleurs bacheliers (au moins mention bien en général) font le concours d’entrée à science po. A la sortie d’une solide formation de trois ans, les meilleurs vont donc présenter le concours d’entrée à l’E.N.A. Ce sont les mêmes diplômés de science po. Qui sont reçus à 90% à l’école nationale de magistrature de Bordeaux.

Un parcourt spécifique de sélection et de préparation minimiserait forcément l’âge d’entrée et de sortie de l’E.N.A.M. comme on le constate à l’Ecole supérieure polytechnique. Ainsi les diplômés auront tous le même âge (moins de 24 ans) à la sortie.

Pour écarter toute subjectivité, il est utile de réformer le mode de présélection et de sélection à l’entrée de l’ENAM afin de se rapprocher du modèle original que nous avons copié en France.

Constatant que les universités sont un lieu de nivellement par le bas de nos meilleurs bacheliers, vu que toutes les régions produisent un certain nombre de bacheliers de bon niveau, je propose la création d’une licence et d’un Master d’administration des organisations publiques et privées qui serait une sorte de classes préparatoires ouvertes à tous les bacheliers ayant obtenus au moins 14/20 de moyenne et âgés de moins de 18 ans. Cette licence serait adossée à l’E.N.A.M. ou à l’Institut Supérieur de Management Public en relation avec l’université de Yaoundé 2. Pour rattraper les régions qui produisent peu de mentions «très bien» et «bien» au BAC, on ferait un test de rattrapage aux cent meilleurs bacheliers de ces régions. Ces étudiants seraient tous boursiers et subiront un enseignement de très haut niveau dans tous les domaines.

Ce millier d’étudiants pourraient ainsi suivre une formation pluridisciplinaire, avec deux options en licence : économie, finance et économétrie d’une part pour les bacheliers scientifiques et droit, science politique et relations internationales d’autre part pour les autres bacheliers. Cette formation serait un vrai gavage intellectuel dans ces domaines afin que ces étudiants, même s’ils ne sont pas reçus au concours final, soient les plus compétitifs dans nos entreprises et autres organisations internationales.

Pour couper court aux intrusions arbitraires dans nos concours d’accès à la haute fonction publique, les épreuves seraient au niveau de ces meilleurs de nos enfants et les médiocres fermeront la bouche puisqu’ils ne viendront même plus déposer leurs dossiers en sachant ce qu’on attend des candidats. Au lieu des sujets régulièrement proposés actuellement qui donnent l’impression que les concours sont des tirages au sort, les épreuves devraient être très relevées pour justifier le caractère très sélectif de la haute fonction publique.

Un exemple doit nous parler : l’école nationale polytechnique.

L’actuel directeur y a introduit le mérite et l’excellence.

D’ailleurs il faudrait établir une passerelle entre nos meilleurs éléments issus de cette école et la haute fonction publique. On pourrait ainsi leur offrir une possibilité de suivre en option le droit et l’économie dès leur troisième année et leur donner le droit d’accéder directement à la troisième année de cette licence d’administration des organisations publiques et privées. Cette licence et ce master ayant pour vocation de former nos dirigeants du secteur public et privé, les écoles d’ingénieurs doivent pouvoir obtenir une passerelle étant donné la qualité de leurs élèves.

L’émergence n’est pas possible sans des élites compétentes.

Exploitons nos meilleurs talents pour les hisser au niveau des élites mondiales et nous pourrons être compétitifs. Vive une république libérale du mérite où chaque enfant aura sa chance s’il fournit des efforts.

Auteur: Jean-Baptiste Martin Amvouna Atemengue