Comment vivre au Cameroun sans groupe électrogène?

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Thu, 17 Nov 2016 Source: lemonde.fr

Traversée d’une Afrique bientôt électrique (11). Témoignage de Philippe, habitant de Yaoundé, qui nous éclaire sur les délestages et le moyen de vivre (quand même) allumé.

Au Cameroun, rares sont les nuits sans coupure d’électricité. A Yaoundé, la capitale, une balade en soirée suffit à convaincre. Perché sur l’une des sept collines de la ville, on peut voir les pâtés de maison, parfois des quartiers entiers, s’éteindre. Ce sont les fameux délestages. Les coupures volontaires du distributeur qui privent d’énergie une partie des consommateurs, pour quelques heures, voire quelques jours, afin d’éviter la saturation du réseau et son effondrement.

En cause, la production énergétique du Cameroun qui n’a pas réussi à suivre la croissance de la population. Selon une étude récente de l’International Energy Agency (IEA), pour 22,7 millions d’habitants, le Cameroun produit 113,5 mégawatts (MW). A titre de comparaison, la Roumanie, avec une population équivalente, produit 306,7 MW.

« Tout le voisinage bourdonne »

Si vous vivez dans un quartier populaire de Yaoundé, vous ne comptez plus le nombre de repas terminés dans le noir ou à la bougie, les fins de match manquées à la télé. Pour prévenir ces désagréments quotidiens, de nombreux commerces, restaurants, bars, hôtels, boîtes de nuit et de plus en plus de foyers ont investi dans des groupes électrogènes. Le « générateur », comme on le nomme aussi, est devenu un objet indispensable pour la classe moyenne supérieure.

En ville, de nombreux magasins sont exclusivement consacrés à leur vente tout comme un secteur entier du marché central de Yaoundé. Renyuwang, King Max, Super Tiger, Astra Korea, Birla, Tager China ou Yamaha sont les marques asiatiques qui se concurrencent. Il y en a au diesel ou à essence, de toutes les tailles et de tous les prix, de 65 000 à 980 000 francs CFA (99 euros à 1 490 euros).



C’est dans l’un de ces magasins que Philippe a acheté le sien. Philippe est père de famille, officier dans la marine camerounaise et, pour des raisons de sécurité, ne donnera pas son vrai nom.

« J’ai un grand générateur à la maison depuis trois ans. Ce n’est qu’il y avait moins de délestages avant, mais je voulais attendre pour acheter un modèle précis qui coûtait son prix et je n’avais pas suffisamment d’argent. 650 000 francs CFA, mais il les vaut ! Il est automatique, s’enclenche dès que la lumière s’éteint et il est assez puissant pour alimenter toute la maison pendant plus de vingt-quatre heures. Il ne m’a jamais fait défaut. Dans la maison nous avons six chambres et nous sommes huit, mes enfants, ma femme et ma belle famille. »



« Quand je fais le plein de 30 litres, je peux tenir un mois. Un litre de gasoil coûte environ 600 francs CFA (0,91 euro). Je dépense près de 20 000 francs CFA par mois. Nous avons des appareils électroniques qui consomment : un frigo, un congélateur, une machine à laver. Je vis dans un quartier résidentiel tranquille près de l’aéroport de Nsimalen. Mes voisins sont nombreux à avoir des générateurs. Ainsi quand vous arrivez dans le quartier pendant une coupure vous ne vous en rendez pas compte. Tout est éclairé par les groupes électrogènes. Seul le bruit peut vous mettre la puce à l’oreille. Le mien est trop bruyant. C’est à peine si on s’entend parler. Je l’ai donc mis dans un local à l’extérieur, dans le jardin. Ce n’est pas totalement insonorisé mais les bruits sont un peu étouffés. Il n’empêche que notre sommeil reste perturbé. Heureusement nous avons encore beaucoup d’arbres, donc le quartier ne sent pas l’essence. Mais le bruit est inévitable. Tout le voisinage bourdonne en cas de coupure. C’est une cacophonie. »

Eclairer des obsèques au générateur

« Nous sommes tellement habitués aux coupures que l’on ne se rappelle même plus de la durée de la dernière. Parfois, elles touchent toute la ville. Il arrive que sur les sept jours de la semaine, nous ayons trois jours de coupure. Elles ne sont pas permanentes cela dit. Ça peut partir et revenir plusieurs fois dans une journée. Par contre, il y a des quartiers où les gens font trois à quatre jours complets sans aucune électricité. Je ne sais pas comment la compagnie choisit les zones à délester. Bon, dans la capitale, plusieurs jours de coupures ininterrompues, c’est plutôt rare. Mais dans l’arrière du pays, il arrive que pendant une à deux semaines, il n’y ait pas d’électricité. J’ai même dû amener mon générateur au village pour éclairer les obsèques de ma belle-mère. »

« Quand j’étais jeune, il y avait moins de coupures. Elles se sont intensifiées au début des années 1990. Il n’y a pas eu de prévision pour adapter les installations électriques à la croissance de la population. Après la crise économique de 1987, les jeunes sont montés vers la capitale pour trouver du travail car les matières premières cultivées dans les régions rurales ne se vendaient plus sur les marchés. Les gens n’achetaient plus de cacao ni de café.

Pendant cet exode rural, les gens ont construit un peu partout et le réseau d’électricité ne suivait pas. Nous sommes passés de 10 millions à 20 millions d’habitants. L’industrie s’est développée mais les infrastructures électriques sont restées les mêmes. Jusqu’à récemment, où l’on s’est enfin saisi du problème en lançant des projets comme les barrages de Lom Pangar et de Memv’ele pour augmenter l’offre énergétique. Il y a eu beaucoup de communication gouvernementale sur ces projets. Les gens les attendent. J’espère que ces barrages vont permettre à tous d’avoir de l’énergie. C’est ce qu’ils disent mais on jugera sur les résultats. »

Branchements illégaux

« J’espère aussi qu’ils permettront de réduire notre facture d’électricité. A Yaoundé, il y a beaucoup de gens qui n’ont pas de courant, car ça coûte trop cher de s’abonner. Alors si on réussit à démocratiser les prix de l’électricité, il y aura moins de clients clandestins qui la frauderont. Parce qu’aujourd’hui, ça se passe comme ça dans beaucoup de quartiers. Ceux qui n’arrivent pas à payer le raccordement au réseau vont voir des voisins et leur proposent un peu d’argent pour tirer un câble depuis chez eux. Ce sont des branchements qu’Eneo, l’agence d’électricité, ne maîtrise pas. On sait qu’il y a 30 % de l’électricité qui est fraudée au Cameroun. Si on arrive à réduire ces fraudes, il est fort probable que le coût de l’électricité baisse pour tous. »

« Parce qu’un branchement clandestin ne se fait pas par plaisir. Prenons le cas de beaucoup d’enseignants qui n’ont dans leur maison qu’un réfrigérateur et un fer à repasser. Ils ont un salaire mensuel de 150 000 francs CFA. Louer un logement à Yaoundé coûte un minimum 50 000 francs CFA. En plus, il faut nourrir ses enfants, faire vivre la famille. Alors payer une facture d’électricité de 15 000 francs par mois, ce n’est pas possible ! Les gens essaient de se débrouiller comme ils peuvent. Vous savez, on a même des doutes sur les relevés qu’Eneo fait. Les employés chargés de vérifier les compteurs ne sont pas bien payés. Quand ils constatent un branchement illégal, ils en profitent pour s’arranger entre eux.

La situation est encore pire pour les entreprises locales. Surtout les commerces de nuit : restaurants, bars, boîtes, hôtels, ce sont les premiers consommateurs de générateurs. Quand les industries doivent amortir le coût du gasoil, cela contribue à augmenter le prix de leurs produits. Le manque de courant empêche les industries de se développer et freine toute l’économie camerounaise. J’espère vraiment que cette situation va changer rapidement.

Un changement qui entraînerait aussi une forte baisse de la consommation du diesel. Et ça, ce serait une bonne nouvelle pour les oreilles des Camerounais, leur santé et celle de la planète.

Auteur: lemonde.fr