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Communication de Paul Biya : la dialectique du silence

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Sun, 31 May 2015 Source: Serge Banyongen

Le journaliste Serge Banyongen a écrit une chronique en 2012 dans le quotidien Mutations sur les silences de Paul Biya. Nous reprenons ici cette réflexion qui prend le contre-pied de la thèse de doctorat de son confrère François-Marc Modzom.

Une fois de plus, le Cameroun est retombé dans cette léthargie si caractéristique de son évolution depuis plusieurs décennies maintenant.

Ainsi tous les regards sont tournés comme d’habitude vers le chef de l’État qui lui a les siens tournées vers le lac Léman où il coule les jours tranquilles de préretraité.

Face à tous les problèmes auxquels est confronté le Cameroun des grandes réalisations, le pouvoir a choisi la voix du silence. Il s’agit d’une stratégie communicationnelle qui a beaucoup payé par le passé. D’ailleurs de nombreux biographes qui ont fait l’apologie du président Biya ont sans cesse vanté son flegme et sa maîtrise des événements à travers l’art de l’esquive et de l’atermoiement.

Il est toujours présenté comme celui qui est en possession de l’agenda : le maître du temps. Mais la stratégie du silence fait accroître l’impression que cela fait surtout longtemps que le président perd le temps des Camerounais.

En effet pendant sa sempiternelle villégiature suisse, ce n’est pas seulement l’action gouvernementale qui tourne au ralenti, mais c’est surtout la communication de cette action qui subit un coup d’arrêt. Et c’est cet aspect qui nous intéresse ici.

Entendons-nous bien, le silence n’est pas toujours une mauvaise chose. Il permet de montrer que l’on est à l’écoute des autres que l’on prête une écoute attentive à leurs préoccupations et que l’on se soucie d’eux.

Les auteurs comme Thomas Carlyle ont d’ailleurs pensé que le silence est l’élément dans lequel se façonnent les grandes choses. Par analogie, on pourrait ainsi conclure que l’élu des grandes ambitions a tout intérêt à se taire en ce moment de préparation des grandes réalisations.

Il serait alors opportun de croire que le pouvoir ne communique pas beaucoup parce qu’il est dans ce moment nécessaire de réflexion sur le sens de l’action. Ainsi le silence aurait donc un sens important et dans une certaine mesure fait souvent partie intégrante de la stratégie de communication parce qu’il sert à organiser la parole et à renforcer la compréhension.

C’est ainsi que les pauses/silence ponctuent souvent les temps forts des allocutions. Il s’agit d’une occasion offerte aux auditoires pour permettre la pénétration de la parole et la réorganisation du sens qu’il faut en retenir. Le silence est alors vu comme positif quand on apprend à se taire pour ne pas parler pour rien dire ou pire pour ne parler faire usage de sa prérogative de la parole publique pour ne déranger le public pour rien.

Le silence devrait aussi permettre d’évaluer les informations à transmettre et ainsi à déterminer le message essentiel, celui qui est de nature à faire comprendre son action et à convaincre son interlocuteur. Selon certains experts en communication, la stratégie du silence a aussi l’avantage d’éviter les discours incohérents, divergents, voire contradictoires.

Le silence du président Biya est cependant loin de tous ces éléments qui en font une composante efficace dans la transmission du message. Comme nous l’avons plusieurs fois démontré sur cet espace, l’homme du 06 novembre n’écoute que très peu et surtout presque jamais son peuple comme l’atteste l’absence d’étude de l’opinion publique. En réalité le président est un adepte de la stratégie du désir de Jacques Pilhan.

Celle-ci part d’une idée simple qui veut que la rareté de l’information crée un désir autour d’elle ce qui confère un poids important à la parole qui délivre l’information. C’est ainsi que le président ne s’exprime que très peu dans les médias et même son entourage a dû reconnaître qu’il arbore les journalistes.

Ainsi les scandales succèdent aux maladresses et c’est à peine souvent si le cabinet civil se donne la peine d’un simple communiqué. Or la stratégie prônée par l’ancien gourou de François Mitterrand était très efficace dans un contexte bien précis. Il faut avoir le monopole des canaux de transmission en plus de maîtriser l’agenda des médias.

Cette situation est loin d’être le cas aujourd’hui au Cameroun où les médias sont omniprésents et très actifs et surtout où les tentatives de manipulation des médias supposées ou réelles finissent toujours par être mises à jour. Rien ne justifie donc l’abstinence médiatique du chef de l’État.

Même les plus naïfs ont depuis longtemps compris que c’est la non-maîtrise des dossiers qui pousse l’homme des grandes réalisations à éviter comme la peste les micros des journalistes. En effet, mieux que la possession d’un art oratoire, parler des politiques et de ses actions devant les médias c’est d’abord un exercice qui vise à confirmer la connaissance approfondie des enjeux majeurs de la république, mais aussi la justification et la logique des options entreprises par le gouvernement.

D’ailleurs en France qui a souvent été la source d’inspiration du président Biya, la stratégie du silence a été depuis longtemps remplacée par cette de la fréquence dans la communication présidentielle selon le spécialiste en communication Franck Louvier.

D’autres parts, lorsqu’elle touche une institution publique, la communication loin d’être une faveur correspond à une transmission d’une information due aux usagers et citoyens. Elle est nécessaire à la survie harmonieuse de la cité et vise à rendre compte des actions publiques entreprises au nom de la population.

Elle ne saurait donc souffrir d’une quelconque rétention volontaire. Plusieurs pays l’on comprit en rendant obligatoire l’accès à l’information gouvernementale y compris celle qui touche le président de la République.

C’est dire qu’au nom de la transparence les stratégies de croissance, les politiques de développement social du gouvernement et de la présidence devraient être rendues publiques avec empressement de manière courtoise et anticipée sans que cela ne constitue à chaque fois un mystérieux secret d’État. Cet aspect ne fait en fait qu’aiguiser les appétits des fouineurs tout en nourrissant la machine à rumeur.

En effet, si la communication sert à informer et à faire connaître, le silence dans le cadre institutionnel s’illustre comme étant un déni de communication. Le non verbal ne peut servir de substitut à la communication institutionnelle.

Toutes les approches stratégiques le révèlent, il est essentiel que ceux qui sont sujets à une communication n’aient pas d’efforts supplémentaires pour comprendre un message. Or le non verbal est toujours sujet à interprétation et peut donner lieu à une compréhension diversifiée.

Auteur: Serge Banyongen