Le 20 juillet dernier, l’opinion apprenait à travers une correspondance adressée par la société MAGIL « aux sous-traitants du ministère des Sports et de l’éducation physique », que l’entreprise canadienne de BTP décidait de l’arrêt du chantier d’achèvement de la construction du Complexe sportif d’Olembe (COSO) à Yaoundé. Travaux objet d’un engagement contractuel entre l’Etat du Cameroun et MAGIL. Raison principale avancée pour soutenir cette décision unilatérale : le ministère des Sports et de l’Education physique (MINSEP), avance l’entreprise, refuserait de payer les factures des sous-traitants. Nous avons essayé de joindre les responsables de MAGIL pour en savoir davantage. En vain.
Selon des informations que nous avons pu recouper auprès de responsables aussi bien au niveau du MINSEP que du secrétariat général de la présidence de la République, MAGIL ne dit pas la vérité.
QUI a engagé les sous-traitants qui travaillaient jusque-là sur le chantiers d’achèvement des travaux d’Olembé ?
Selon le contrat que nous avons pu consulter, les sous-traitants engagés sur le chantier d’achèvement des travaux d’Olembé ne peuvent pas l’avoir été par le MINSEP. C’est MAGIL qui a donc engagé les sous-traitants. « Imaginons même que MAGIL ne mente pas et que c’est le MINSEP qui a engagé ces sous-traitants. A quel titre MAGIL aurait pu les démobiliser ou les mettre en congé technique si ce n’est pas lui qui a un contrat avec eux », interroge une source au MINSEP.
Pour en savoir d’avantage, nous avons pu contacter une source proche du dossier à la présidence de la République. A la question de savoir qui a signé le contrat et qui doit payer les décomptesnt. Sa réponse est claire : « Le contrat portant sur la nature et le montant a été effectivement signé après négociation entre MAGIL et la Task Force placée sous la responsabilité du Secrétaire général de la présidence de la République (SG/PR). Le MINSEP n’est que l’agent de l’Etat chargé du suivi et de l’exécution dudit contrat. Ce n’est donc pas le ministère qui paye. Le MINSEP analyse les décomptes et transmet à la Task Force. C’est nous qui déclenchons le payement ».
Le contrat signé, MAGIL a effectivement fait appel à des sous-traitants locaux et étrangers. L’article 19-1 du contrat l’y autorisant, même si l’approbation de l’administration représentée par le MINSEP est requise. Extrait de texte : « Le Cocontractant (MAGIL) ne peut faire appel à des sous-traitants pour s’acquitter de ses obligations sans en recevoir au préalable l’autorisation écrite de l’administration qui ne peut s’y opposer sans motif raisonnable. La signature de tout contrat de sous-traitance au titre du présent contrat est assujettie au visa préalable de l’administration », peut-on lire. « L’approbation ou l’autorisation de l’administration qui n’est autre chose qu’un acte de contrôle n’induit nullement une relation contractuelle entre le sous-traitant et l’Etat du Cameroun, pris en la personne du MINSEP. Le MINSEP reste et demeure lié, au nom de l’Etat du Cameroun, à la seule société MAGIL et jamais aux sous-traitants engagés par cette entreprise », éclaire une source au ministère. Laquelle renvoie à l’article 19-1 (para. 3) qui précise : « Le cas échéant, cette autorisation ne peut être interprétée comme un transfert ni comme une subrogation du contrat ». Conclusion à ce niveau : « MAGIL a été recrutée pour achever les travaux de construction du Complexe sportif d’Olembé et les sous-traitants qu’elle a engagés l’ont été pour s’acquitter des obligations de MAGIL ».
Le ministère, insiste cette source en mettant MAGIL au défi de prouver le contrait, n’a jamais sélectionné, recruté, recommandé ou passé de contrat avec quelque sous-traitants ayant travaillé à Olembé, sous les ordres et l’entière responsabilité de MAGIL. « Il revient donc à MAGIL de payer les factures de ses sous-traitants et employés avec les sommes perçues jusqu’ici », fait-elle savoir. Non sans indiquer que le dernier payement des sous-traitant d’Olembé a été fait par MAGIL et non le MINSEP en juillet 2021.
Pour étayer ce fait, on évoque le cas de la société RAZEL qui, après avoir réclamé le paiement de ses factures à MAGIL, a saisi le Tribunal de grande instance du Wouri qui a décidé du gel de tous les comptes de l’entreprise de BTP au Cameroun.
Qu’en est-il du règlement des derniers décomptes
Si l’on s’en tient à l’une de nos sources, « il convient de relever que le paiement des décomptes se fait en trois étapes : MAGIL présente le décompte, le MINSEP l’analyse et le transmet au Ministre d’Etat, Secrétaire général de la présidence de la République, ordonnateur principal du compte spécial CAN logé à la présidence de la République. C’est à ce niveau que se font les paiements. Ce n’est donc pas le MINSEP qui paie, contrairement aux allégations diffusées par MAGIL. Cette entreprise veut gruger l’Etat du Cameroun. En effet, après analyse d’un certain nombre de décomptes, il apparait une forte surfacturation que MAGIL n’entend pas régulariser. A titre d’exemple : dans ma correspondance du 5 juillet 2022 transmettant les décomptes n°21 et n°22 à la PRC, le MINSEP a fait remarquer que les irrégularités observées lors de l’analyse de ces décomptes n’ont pas été prises en compte, à l’exception des factures d’achat de matériels Fayolle (réf. 4500015552), France Agro (réf. FV210626) et Nollet et Fils (réf. 21090883) d’un montant de 145.448.377 FCFA qui avaient déjà été mises en paiement dans le décompte n°19. C’est le lieu de dire que MAGIL qui est une filiale du Groupe Fayolle-France qui s’est dotée d’une centrale d’achat appelée FMA qui se réapproprie les factures originales des fournisseurs, ouvrant la voie à des pratiques (surfacturation) difficiles à contrôler, tant il est vrai que les adresses des fournisseurs sont quasiment inconnues. Au vu de cette volonté manifeste de siphonner le budget du marché, le ministre Mouelle Kombi saisi le SG/PR pour lui demander d’ordonner le gel des paiements de MAGIL jusqu’à ce que l’entreprise régularise la situation des décomptes et parvienne à un niveau considérable d’avancement des travaux ». Ce qui a visiblement mis à mal les plans de l’entreprise canadienne ainsi coincée.
L’une de nos sources fait aussi savoir qu’au mois de novembre 2021, « MAGIL avait déjà perçu un montant de 42,844 milliards FCFA, soit 38,844 Milliards de décomptes payés et 4 milliards à titre de prêt-relai remboursable. On peut constater que la largement au-dessus de la prévision de 27 milliards inscrite au contrat pour l’achèvement des travaux de la Composante I. Preuve de la bonne volonté des autorités. MAGIL demande de l’argent alors que ces travaux ne sont pas achevés à ce jour. Un tel niveau de consommation du budget ne peut être qu’alarmant. Je peux vous dire que le ministre a invité M. Franck Mathière, principal responsable de MAGIL, à justifier, sur le fondement de l’article 6-3 du contrat, cette forte consommation du budget qui ne cadre pas avec le niveau d’avancement des travaux (Lettre n° 2022-0569 MINSEP/CAB du 29 avril 2022). A ce jour, il n’a apporté aucun élément de réponse à cette préoccupation ».
Quid de la non délivrance supposée des facilités financières a MAGIL
Nous avons pu vérifier que par correspondance n°03610/MINFI/DGD du 14 avril 2021, le ministre des Finances a accordé des facilités fiscales et douanières à MAGIL et à ses sous-traitants. « Pour ce qui est de la question des APEC stricto sensu, il n’y a, à ce jour, aucun matériel destiné au COSO qui soit bloqué dans nos terminaux (ports et aéroports). Tout porte donc à croire que les demandes de MAGIL visent à assurer un rapatriement de ses véhicules de tourisme sans indemnités. Il est d’ailleurs curieux de constater que tous les véhicules utilisés par MAGIL ne portent plus de logo, ce qui n’est pas sans susciter des interrogations », explique l’une de nos sources. Qui poursuit : « Il est évident que sans aucune raison valable, l’entreprise MAGIL a abandonné le chantier depuis le 31 décembre 2021 alors qu’elle a déjà perçu 42 Milliards sur les 54 de l’enveloppe globale du marché. Elle n’a pas achevé les travaux de la Composante I ni démarré ceux de la Composante II. On peut à ce jour faire le calcul d’au moins sept manquements aux obligations contractuelles par MAGIL. On peut citer pêle-mêle l’entrave et l’obstruction à l’évolution des travaux par la disparition de ses principaux responsables dont Franck Mathière et la menace envers les entreprises citoyennes ; la fourniture de matériels et matériaux de mauvaise qualité ; la distraction des matériels et équipements sortis du site pour une destination inconnue ; le non-respect des obligations contractuelles vis-à-vis des sous-traitants ; l’absence d’expertise avérée pour la supervision des travaux ; aucune réunion de chantier avec les sous-traitants sur le site depuis juillet 2021 et aucune notification de reprise des travaux aux sous-traitants depuis la démobilisation de décembre 2021. Cette situation est, mutatis mutandis, la même à Douala où, ayant perçu la somme de 4.022.813.845 FCAF au titre d’avance de démarrage des travaux d’entretien et d’exploitation du stade de la Réunification abandonné lui aussi ».
En rappel
Pour bien comprendre les atermoiements et ce qui ressemble à s’y méprendre aux fuites en avant de MAGIL, il faut remonter au 22 novembre 2019. A l’issu des négociations avec la Task Force du Secrétariat général de la présidence de la République, la société canadienne MAGIL est engagée par l’Etat du Cameroun pour achever le plus rapidement possible, à la suite de l’entreprise italienne PICCINI virée du chantier, l’achèvement des travaux de construction du Complexe sportif d’Olembe (COSO) dans la proche banlieue de Yaoundé. On annonce la livraison de l’ensemble pour début 2022. Le contrat est conclu sur le mode Engineering Procurement and Construction Management (EPCM), les parties s’accordant par cette voie, à se passer d’une assistance à maitrise d’ouvrage. L’entreprise contractante s’est ainsi engagée à assurer le contrôle de la qualité des constructions et des travaux, à s’assurer du bon niveau des expertises sollicitées, de la qualité des approvisionnements et du management du projet. L’entente se fait autour d’un coût d’objectif d’un total de 54,822 milliards FCFA (HT). Les réseaux s’embrasent au sujet de ce que l’Etat engloutit dans le projet. Qu’il faut mener à terme.
Un procès-verbal de négociation est signé. Sur « très hautes instructions » du président de la République, répercutées par la correspondance n°B43/SG/PR du 29 novembre 2019, le MINSEP signe le 3 janvier 2020, avec M. Franck Mathière, le contrat n°001/C/MINSEP/CAB/2020 pour l’achèvement du COSO.
L’Annexe 7 du contrat présente le coût du marché ainsi qu’il suit : 6.560.000.000 FCFA pour la reprise des travaux (incluant mobilisation, démobilisation, maîtrise d’œuvre, bureau de contrôle) ; 21.415.336.095 FCFA pour l’achèvement des travaux de la Composante I (stade principal, terrains d’entrainement d’une capacité de 1.000 places chacun, hôtel 5 étoiles d’une capacité de 70 chambres, salles de cinéma, aménagement du site, VRD et stationnements de 2.000 places), 22.900.000.000 FCFA pour l’achèvement des travaux de la Composante II (un palais des sports, une piscine olympique, 2 terrains de basketball avec 2 vestiaires, 2 terrains de volleyball avec 2 vestiaires et 4 terrains de tennis) ; et 4.000.000.000 FCFA pour toutes les autres contingences (Annexe 7 du Contrat).
En mars dernier, sous la plume d’Omer Mbadi, Jeune Afrique titrait déjà sur les problèmes de MAGIL avec ses sous-traitants : « Stade d’Olembe : le casse-tête camerounais du canadien MAGIL ». Et d’avancer par la suite qu’« ayant remplacé l’italien Piccini pour achever le complexe sportif, l’entreprise est sous la pression de ses sous-traitants, qui lui réclament plus de 18 millions d’euros (environ 11. 790 .000.000 FCFA, Ndlr), et se heurte au refus de Yaoundé de payer un montant équivalent tant qu’elle ne justifie pas l’utilisation de quelque 64 millions d’euros (environ 42.000.000.000 FCFA, Ndlr). A l’époque, MAGIL n’avait pas réagi pour contester les faits ou nier le fait qu’il s’agissait bien des sous-traitants qu’elle a engagées dans l’exécution d’un chantier qui aurait pu exiger, de la part de la Task Force, plus de rigueur dans la sélection du soumissionnaire.