Comprendre pourquoi Ahidjo a choisi l'ethnie Bulu de Biya a la place de l'Ewondo

Paul Biya And Ahidjo Paul Biya et Ahmadou Ahidjo

Mon, 12 Feb 2018 Source: Patrice Nganang

Quiconque a grandi comme moi a Yaoundé, c'est-a-dire au milieu des Ewondo ne connaissait pas les Bulu. En fait ils n'existaient pas dans la conscience politique des Camerounais avant 1982, parce que Biya lui-meme n'existait pas politiquement. Les Yaoundeens connaissaient les Ewondo, les Etons, surtout, car ils sont proches et présents - les bayamsallam, qui ne les connait pas! Surtout, et c'est important, avant 1982, le poulain politique des Ewondo, c'était Ayissi Mvondo Victor - qui est de Mfou. C'est la prise du pouvoir par Biya qui a soudain fait des 'Bulu' une entité politique.

C'est que Ahidjo avait alors choisi le Bulu, a la place de l'Ewondo, son laquais le plus bruyant, que tout le monde attendait - le genre Mebe Ngo'o pour Biya. Une video française qui annonce la tentative de coup d'Etat du 6 avril 1984 est pivotale ici, car la tribu de Biya y est présentée comme une 'petite tribu du sud du Cameroun', et pas comme 'Beti', mais plutôt comme 'Bulu.' Bulu, tribu minoritaire, Ewondo, tribu majoritaire. 1984 a donc été l'entrée en matière des Bulu dans l'espace politique camerounais, et cela avec un génocide, perpétré, lui sur les Nordistes. La férocité de cette tribu devant le pouvoir qui leur echappait était telle que les Nordistes arrêtés le 6 avril 1984 ont été exécutés a partir du 1 mai 1984, un mois apres, plutôt dans la foret du Sud, et pas dans leur lieu d'origine au Nord qui avait pourtant des prisons terribles a cette époque - Tchollire, est un exemple vivace ici. Il faut se représenter cela - Saheliens, ces Nordistes ont été enlevés de Yaoundé, et traines plutôt dans la jungle pluvieuse, vers Sangmelima, Ebolowa, pour être exécutés entre gens de la meme tribu, quoi. Manges, quoi. C'était l'acte fondateur du pouvoir de Biya, mais aussi je dirai l'introduction au Cameroun de la culture genocidaire bulu, qui dans la pratique, et quiconque est au pays le sait, refuse le duel, mais poursuit la famille des gens, les enfants, la femme, pour exterminer ceux-ci, en laissant l'opposant debout. Abandonner le cadavre d'Ahmadou Ahidjo au Senegal pendant 30 ans est un crime culturel d'une sauvagerie si profonde que chaque Camerounais a encore de la peine a l'expliquer aux Africains! C'est du pur cannibalisme!

Pour ce qui est du Cameroun cependant, après le théâtre sanglant du 6 avril 1984 et le genocide du 1 mai 1984, l'installation politique des Bulu au pouvoir a eu trois chapitres, le premier étant évidemment la main-mise sur l'administration et en meme temps sur les forces spéciales de l'armée - le BIR, etc. Deuxième point, l'éradication du français et de l'anglais comme linguas franca administratives du Cameroun est ici un avatar le plus visible, mais le plus rapide est évidemment la main-mise totale sur l'ENAM qui est devenue la chose des Bulu. Mais le plus important, et cela est a souligner, troixieme point donc, c'est surtout la constitution d'une coalition politique tribale qui inclue les Ewondo, revenus a la maison donc, les Eton, et donc, dans la foulée, la fabrication ideologique d'une pan-ethnie 'Beti', qui pas a pas, est devenue ce que les ideologues de ce coin appellent 'Fang-Beti', et que de manière rapide, les Mathias Eric Owona Nguini, leur porte-parole, dans la suite de son père, Joseph Owona, appelent 'Pahouins' - le fils se dit d'ailleurs 'seigneur', mais c'est 'seigneur pahouin', a cause de l'essai de Philippe Laburthe-Tholra, 'Les Seigneurs de la foret', et pas a cause d'un titre de noblesse! Les Camerounais auront cependant de la peine a trouver 'Pahouins'-la ailleurs que dans l'anthropologie coloniale (Laburthe Tholra!), mais ils devront toujours se rappeler que Owona Nguini et son père ne sont pas des anthropologues, mais plutôt des politistes, et d'ailleurs des politiciens, qui ces derniers jours pour brouiller les pistes françaises de leur coalition, ont trouve un nouveau terme pour la nommer - 'Ekang'.

La fabrication de la tribu 'Fang-Beti', 'Pahouin', 'Ekang' est donc un avatar politique, purement politique. C'est la constitution d'une coalition tribale pour la consolidation avec les Ewondo, d'un pouvoir qui le 6 avril 1984 s'est installe dans le génocide contre les Nordistes, et qui depuis 2016 veut se maintenir par un autre génocide, cette fois contre les Anglophones. La violence genocidaire d'Owona Nguini est l'expression de ce désespoir politique d'une coalition a laquelle le pouvoir échappe. Au coeur de ce pouvoir-la, évidemment, se trouve la petite tribu de Biya, les Bulu. La bataille pour faire entrer la Lekie (les Etons) dans cette coalition sanglante se joue devant nos propres yeux, avec Eyebe Ayissi comme long couteau, et Celestin Bedzigui qui achète sa place a 500,000Fcfa, après avoir été chassé par les Nordistes de l'UNDP, et traversé son calvaire comme espion aux USA!. L''élite' de la Lekie, a beaucoup de peine a se donner une place dans la coalition tribale 'Beti' car devant elle la population de la Lekie est dissidente! Je mens, Denis Emilien Atangana?

'Beti', ou alors comme disent les anthropologues politiques, 'Fang-Beti', ou alors comme disaient les anthropologues coloniaux comme Laburthe-Tholra, 'Pahouin', est donc une construction purement politique, comme 'Socialiste', comme 'Républicain', car si chez les blancs la coalition politique réunit des partis, au Cameroun elle réunit des tribus d'abord et avant tout, une coalition politique dont le but depuis le 6 avril 1984, et surtout depuis le génocide du 1 mai 1984 est simple: conserver le pouvoir qui est au mains d'un Bulu et par extension depuis 1984, au mains des Bulu. But concret, unique, but tribal. De l'extérieur, du Gabon, du Congo, cette coalition politique, cette tribu politique donc, est toujours regardée comme une affaire camerounaise. Ainsi vous allez vous rendre compte, les Fans du Gabon disent eux-mêmes n'avoir rien a voir avec les 'Beti' du Cameroun que les anthropologues politiques camerounais nomment pourtant 'Fang', dans leur besoin d'expansionnisme politique. Les Fans du Gabon se distancient simplement et totalement des Beti, parce qu'ils comprennent très vite que c'est juste une coalition politique batie en 1984 autour des Bulu, pour consolider le pouvoir du Bulu, Paul Biya, et qui n'a rien, mais alors rien a voir avec un substrat culturel. Même leur langue est differente! Même leur langue est fondamentalement differente! Aujourd'hui cependant nous voyons un chapitre hideux de la culture genocidaire Bulu - genocidaire parce qu'elle veut conserver le pouvoir par le nettoyage ethnique -, et celle-ci s'expérimente sur les Anglophones.

1984, c'étaient les Nordistes qui étaient traines a Sangmelima, a Mfou, a Ebolowa, pour y être exécutés dans la foret. Devant nous, en 2016-2018, les Anglophones sont arraches de leur terres, du NO et du SO, et traines a Yaoundé, et sans doute aussi dans les prisons de Mfou, pour y être juges et condamnes, comme je sais, par des juges presque tous 'Beti', au service des Bulu. C'est extraordinaire dirait-on. Mais ma propre incarcération m'a enseigne quelque chose - de ma capture a l'aéroport de Douala a ma prison, tous ceux qui s'occupaient de moi du point de vue de l'Etat étaient Bulu, sinon au trop Beti. La coalition politique en action! L'anthropologie politique de 1984 marche encore! Le pouvoir bulu tient ce pays en otage.

Les Bulu sont les Hutu du Cameroun.

Concierge de la république.

Auteur: Patrice Nganang