Confidences: voici comment Ernest Ouandié Djomo a été assassiné

Soldats Nigérian Des éléments de l'armée camerounaise (Archives)

Tue, 16 Jan 2018 Source: Vincent Sosthène Fouda

Il avait un nom de code peut-être plusieurs, qui sait ? Le Camarade Émile, c’est ainsi que je l’ai découvert dans la bibliothèque de l’Académie Française quand l’occasion me fut donnée d’y être introduit.

Il se dit que sur la grande place de Bafoussam, les habitants de la bourgade s’étaient rassemblés en silence. La pluie avait arrosé le village toute la nuit et au matin de ce triste 15 janvier 1971 peu avant 11h du matin, ni le vent ni la poussière ne s’étaient levés.

Le tam-tam bantou avait fonctionné de case en case pour annoncer l’exécution des « rebelles de l’UPC », nom que le régime colonial français appuyé par le nouveau régime mis en place le 1er janvier 1960 avaient choisi de commun accord de donner à ces nationalistes.

Dans la foule il y avait des badauds mais aussi des hommes convaincus que ces rebelles méritent la mort, celle par exécution publique. Derrière cette foule amassée il y avait une femme, elle attendait un enfant, elle était à l’écart solide comme un chêne, des hanches droites et larges, elle voulait que son regard croise pour une dernière fois celui d’Émile.

Ernest Ouandié arriva, menotté, encadré par la soldatesque locale ; il marchait droit, la tête haute et gardant son éternel sourire la tête comme à son habitude penchée à l’épaule droite, à l’image du militant infatigable qu’il a été, en compagnie de deux de ses compagnons d’infortune.

Il manquait un à l’appel, Mgr Ndongmo, l’évêque rebelle de Nkongsamba. L’atmosphère sur la place était pesante, lourde et imprégnée de tristesse. On aurait dit que sur cette petite place, les vivants et les morts étaient tous réunis mais séparés par un mince voile.

Les rebelles furent alignés face à la foule. Les deux compagnons du camarade Émile, ont les mains attachées au dos sur un poteau de fortune qui ne peut point résister à la défense d’un homme, un vrai. Émile domine de par sa stature ses deux compagnons mais aussi le peloton d’exécution. Il refuse qu’on lui bande les yeux. Il a les mains au dos, liées au poteau par un fil de liane donné par un paysan.

C’est non loin des locaux de la police judiciaire actuelle de la ville de Bafoussam. Il veut voir la mort le pénétrer, l’étreindre, il songe à lui dire quelque chose avant de s’évanouir pour rejoindre son géniteur Djomo qui l’a précédé depuis quelques année loin derrière les arbres et repose à Bangou son village natal.

Le peloton d’exécution est composé de soldats camerounais commandé par un camerounais. Face au peloton d’exécution, le camarade Émile affiche le sourire des grands jours. Il a écrit ces quelques lignes dans sa dernière cellule sur le sol en terre battue : « Je suis un homme heureux, je me souviens de la case de ma mère, des visages de mes oncles et de mes frères. Je suis heureux parce que j’ai été initié. Je suis heureux parce que je suis libre et jouit de ma pleine autonomie, celle que je veux pour ce pays. Nous ne devons obéir qu’à notre pays et à rien d’autre. J’ai appris de mon père que l’homme n’existe pas par lui-même et pour lui-même. J’ai vécu pour les autres, pour le Cameroun, le partage de la liberté est nécessaire. »

Le peloton d’exécution composé, de 12 soldats, 6 ont un genou au sol et les 6 autres sont debout et font face aux 3 rebelles. Une arme à été chargé à blanc afin qu’aucun des 12 soldats ne sachent vraiment qui aura au final tué le camerade Émile et ainsi ils pourront toujours se donner bonne conscience. Avant qu’il n’ouvre le feu, le camarade Émile dit : « Mourir pour la liberté de mon peuple est un honneur, être exécuté ici à Bafoussam pour que mon sang coule jusqu’aux rivières les plus lointaine du Cameroun est un honneur, après moi d’autres continueront le combat et ce jusqu’à la victoire finale. » Il entonne un chant en bangou qui n’est point repris en chœur mais un murmure le reprend. Les balles crépitent, le camarade Émile baisse la tête, un filet de sang s’échappe de ses narines, de sa bouche, il est traversé par des spasmes de la mort ; il est mort.

Beaucoup m’ont dit à Bangou, que la première ni la deuxième ni la troisième salve ne l’ont point tué. Qu’il a alors crié : « Que vive le Cameroun à jamais libre. » Il est alors tombé par la suite, criblé de balles, aux côtés de Gabriel Tabeu alias Wambo le Courant, et du jeune Raphaël Fotsing. Un officier européen que personne n’avait remarqué, peut-être était-il resté dans la voiture, se détache de l’assistance, s’approche de Ouandié mourant, s’agenouille auprès de lui, met la main à son étui de revolver, se penche en avant et tire à bout portant. Mais beaucoup y ont vu un jeune officier camerounais, plus tard devenu général, il le revendiquera ; Pierre Seh-Mengue que l’école militaire de saint Cyr appelle Semengue.

Le Cameroun est officiellement indépendant depuis le 1er janvier 1960. Je n’étais pas né quand tout ceci se produisit, mes parents n’ont jamais évoqué cette période avec mon frère et mes sœurs. J’ai témoigné afin que s’accomplissent ce qui fut dit par Martin Paul Samba le jour de son exécution à Ebolowa le 8 août 1914 : « Vous n’aurez jamais le Kamerun », réitéré par Ruben Um Nyobè le 13 septembre 1958 : « Le peuple camerounais composé des foulani du Nord, des bamiléké des grassfild, des Ewondo, des Bassa’a de tous les fils et filles de ce pays, saura reconnaître son dirigeant, il sera peut-être un enfant mais il le reconnaitra ».

Ces mots m’ont été rapportés par Mongo Beti alors que nous prenions notre petit déjeuner, je venais juste d’avoir mon baccalauréat. La transcription n’est peut-être pas exacte mais c’est ce que j’ai retenu. Le flambeau je vous le passe afin que chacun écrive une ligne dans l’histoire de notre pays et de ses peuples. Moi je l’ai fait le dimanche 15 janvier 2017 et je le réitère ce lundi 15 janvier 2018. Battez donc le tam-bam pour le camarade Émile, dansons autour de sa dépouille afin de la sortir de l’anonymat.

Auteur: Vincent Sosthène Fouda