La longue lutte des Nationalistes kamerunais pour l’indépendance réelle et un développement automne et durable vient, enfin de connaitre, ces jours-ci, de la part du président français François Hollande, une tentative de reconnaissance et, par les combats qui doivent continuer, une réhabilitation possible.
Cependant, les Nationalistes kamerunais n’ont pas attendu, la molle et tendancieuse confession de M. Hollande, pour assumer leur Histoire. Cette Histoire qui devint macabre par la volonté colonialiste et néocolonialiste de la France fasciste a été naturellement supportée et poursuivie, avant et après 1960, par ses supplétifs locaux, Ahidjo et ses collaborateurs.
La longue nuit dans laquelle la France propulsa le Kamerun commença dès son arrivée en 1916 dans le berceau de nos ancêtres. Rappelons-nous, entre autres, de « Complaintes d’un forçat » d’Henri Richard Manga Mado.
Mais les ténèbres obscurciront à jamais le Kamerun, « Alors que l’indépendance de ce territoire devenait inéluctable dans les années 1950, les autorités françaises ont tout mis en œuvre pour éradiquer le mouvement nationaliste camerounais mené par l’Union des populations du Cameroun (Upc), et pour placer à la tête du pays un régime «ami».
Après avoir interdit l’Upc en 1955, la puissance coloniale a livré une véritable guerre. Les leaders de l’Upc, qui poursuivaient le combat en clandestinité ou en exil, ont été éliminés un à un : Ruben Um Nyobè a été assassiné en 1958, Félix Moumié a été empoisonné à Genève par un agent secret français en 1960, Osendé Afana a été décapité et Ernest Ouandié fusillé en place publique par le régime pro-français d’Ahmadou Ahidjo, respectivement en 1966 et 1971.
Pendant des années, des régions entières notamment la Sanaga-maritime, le Mungo et l’Ouest, ont été soumises à un «traitement de choc». Tortures, bombardements, disparitions forcées, exécutions sommaires, levée de milices sanguinaires, regroupements forcés dans des villages fortifiés : les populations ont subi pendant des années les méthodes de la « guerre révolutionnaire », théorisées par l’armée française au lendemain de la guerre d’Indochine et enseignées ensuite aux forces armées camerounaises. L’amitié « franco-camerounaise » s’est construite sur un champ de ruines.» (1).
Après le départ officiel des forces armées françaises du Kamerun en 1964, les Services français continueront, quand même, leur sale besogne. Mais, Ahmadou Ahidjo, le harki kamerunais est premier ministre depuis février 1958 et président de la République à partir de mai 1960. En avril 1960 un grand incendie ravage le quartier Congo à Douala.
Samuel Fosso Barro, membre de l’Armée de libération nationale du kamerun, raconte : « J’étais à Tchango-Bar avec Tankeu Noé, lorsqu’à 13 heures, les manœuvres ont commencé avec des hélicoptères qui versaient de l’essence au sol, les voitures des sapeurs pompiers projetaient de l’essence partout. Au départ, on a pensé que c‘était de l’eau puisque les premiers feux montaient déjà.
Les colons avaient monté certains habitants du quartier pour mettre le feu aux maisons qui n’étaient pas atteintes et pour abattre de leurs flèches empoisonnées ceux qui tentaient de s’échapper des flammes. Ils étaient appuyés par les militaires qui tiraient à l’arme à feu. L’administration avait avancé le chiffre de 600 morts dans le Journal officiel. » (2).
A ce moment-là Guillaume Nséké était préfet du Wouri.
Ainsi, Christian Tobie Kuoh, écrira dans ses Mémoires : « Une réunion des préfets se tient à Yaoundé au ministère de l’intérieur. A l’issue des travaux, le Président offre un apéritif en leur honneur. L’ambiance est joyeuse, de fête.
Il leur adresse quelques mots de félicitations pour la réussite du référendum relatif à l’adoption de la nouvelle constitution et le déroulement sans incidents graves de la consultation électorale qui a suivi. Des applaudissements éclatent, puis le Président impose le silence.
Il s’avance vers le préfet du Wouri d’alors, Guillaume Nséké, tire de sa poche une rosette et l’élève au rang d’Officier de l’Ordre de la Valeur. D’abord surpris, les autres reviennent à la réalité et applaudissent.(…) Mes yeux se tournent alors vers le nouveau récipiendaire : il est tout fier, tout heureux au milieu de ses pairs qui le congratulent, qui viennent à lui en grimaçant des sourires et, sans doute, en songeant intérieurement à ce qu’il a pu vraiment faire de mieux qu’eux pour être ainsi honoré, pour mériter tant de gloire et de récompense.» (3)
Le 1er février 1962, un train est parti de Douala avec un contingent de 52 détenus politiques, dont 8 femmes et quelques enfants, tous embarqués dans un wagon métallique fermé de l’extérieur. A son arrivée à Yaoundé et au moment d’ouvrir le wagon, on dénombre de nombreux morts asphyxiés.
Mgr Jean Zoa célébra un office funèbre à la mémoire des suppliciés. Le R.P. Pierre Fertin, rédacteur en chef du journal l’Effort qui en parla, fut sommé, par l’Etat du Kamerun, de quitter le territoire national le 17 février 1962. Ernest Ouandié, sous-maquis, alors vice-président de l’Upc concluait : « Dans la triste affaire des 27 morts du train de Douala, c’est le Ministre de la justice Njoya Arouna, c’est tout le « gouvernement » qui doit siéger au banc des accusés et répondre du crime qui endeuille une fois de plus de nombreuses familles kamerunaises.» (4)
Ainsi les horribles crimes perpétrés au Kamerun lors de la quête de notre indépendance réelle, le furent, notamment, par la France et ensuite par les autorités kamerunaises sous Ahidjo.Pendant longtemps, l’Etat français refusa la réalité de ces massacres, de cette guerre… Même Ahidjo traitait les Nationalistes kamerunais de bandits et d’assoiffés du pouvoir.
La revanche des Maquisards
Les Nationalistes kamerunais ont été acculés à prendre les armes. Ainsi, sous maquis, nous n’avions aucune honte à nous assumer comme maquisards ou combattants de la liberté, en dépit des bavures inhérentes à toutes les luttes armées au monde… Alors, les propos de M. Hollande, en tant que premier président français, de la Vème République à accepter ces massacres sont courageux, malgré ses limites.
Il nous appartient de mieux apprécier cette nouvelle donne afin d’en sortir bénéficiaires. Il est connu que d’anciens généraux et fonctionnaires tortionnaires kamerunais sont encore en vie et quelques-uns toujours en activité dans le régime néocolonial actuel. Mieux encore Paul Biya, le supplétif néocolonial, abusivement devenu « panafricaniste », se vantait lui-même, dernièrement, d’avoir vaincu les maquis nationalistes.
Malgré les limites et l’inattendu du discours de M. Hollande, au regard des années de revendication des Nationalistes kamerunais pour la reconnaissance des crimes français au Kamerun, nous devons comprendre que même la guerre d’Algérie a été qualifiée pendant des années d’« Evènements d’Algérie ».
Cependant, la datation de la guerre accomplie par la France, évoquée par M. Hollande et son appréciation de la période post indépendance ou des zones d’atrocités, dignes du nazisme perpétrées par la France au Kamerun, se limitant dans la Sanaga-maritime et à l’Ouest du Kamerun ne correspondent pas à la vérité historique.
Pratiquement tout le Sud-kamerun en a subi les effets et les conséquences. Et le général Pierre Semenguè, lui-même l’un des acteurs, précise les moments militaires de l’armée française et celle du Kamerun : « Le Cameroun a connu trois rébellions :
La première a été menée par Um Nyobè en 1955-1958. (…). Elle a été combattue par l’armée française.La deuxième est celle déclenchée dès l’indépendance du Cameroun. Elle a été la plus longue de 1960 à 1966.La troisième est celle des intellectuels (…), en deux périodes successives en 1967 et 1968.
Ces deux dernières rébellions ont été combattues par l’Armée camerounaise encadrée au départ par des officiers français qui seront remplacés progressivement par les officiers camerounais notamment Pierre Semenguè, Edouard Etondé Ekotto, Jean Nganso Sunji, James Tataw, etc. » (5).
Par ailleurs rappelons que les atrocités françaises au Kamerun seront reprises par l’armée kamerunaise. Le général Pierre Sémenguè, nous édifie à ce propos: « Finalement, l’armée camerounaise était obligée, quand on tue un rebelle, on coupe sa tête pour venir l’exposer, pour que les gens sachent que c’est possible. Parce qu’on pouvait dire n’importe quoi, que le chef rebelle est mort, personne ne croyait.» (6).
Par contre pendant des décennies, nous avions été affublés de tous les qualificatifs. Pour cela lisons, Sadou Daoudou, ancien ministre d’Etat chargé des forces armées : « On nous reproche d’avoir accolé les qualificatifs de rebelles, de terroristes et de subversifs aux upécistes.
Qu’est-ce qu’un rebelle ? C’est celui qui s’oppose à un pouvoir établi. La France tenait sa légitimité au Cameroun de l’ONU. Le gouvernement camerounais tenait sa légitimité des élections. Les upécistes se sont soulevés contre ces deux pouvoirs. C’est pourquoi on les appelle rebelles.
Quelle est la signification du mot terroriste ? Il vient du mot terreur. Un terroriste, c’est celui qui sème la terreur dans son entourage. Les upécistes terrorisaient les populations ; ils entraînaient de force des gens dans les maquis; et tous ceux qui ne voulaient pas y aller, étaient exécutés.
Qui sont des subversifs ? Ce sont des gens qui, sans prendre les armes, mènent des actions insidieuses auprès des populations par des mensonges et des calomnies. C’est la subversion.
Toutes ces définitions justifient pleinement les qualificatifs accolés aux upécistes.» (7).
Heureusement, M. Hollande dit, aujourd’hui : « Après 1960, nous avions combattu les éléments indépendantistes ».
Nous pensons que les propos du maître-sorcier remettent toutes les mauvaises langues des « meilleurs élèves» au bon endroit.
Cependant, comme le dit Gaston Donnat : « Si l’Upc n’avait pas été persécutée, traquée militairement par l’Armée française, peut-être la destinée du Cameroun ne serait pas celle qu’il connait aujour-d’hui ; ce ne serait pas un des plus beaux fleurons parmi les pays soumis au néocolonialisme mais, l’histoire ne s’arrête pas là. »
Alors, la déclassification des archives en France comme au Kamerun et les dédommagements qui doivent suivre ne seront qu’un processus dont la réalisation sera à la mesure des combats que tous les patriotes kamerunais, africains et de la France mèneront pour forcer les Etats français et kamerunais à respecter le sens de l’Histoire.