Crise Anglophone: la honte du siècle

Michael Fogaing Michael Fogaing, Porte-parole de Diaspora pour la Modernité-Diaspora for Modernity

Wed, 15 Nov 2017 Source: cameroon-info.net

Après tout, n’est-il pas vrai que les conditions et les ententes signées à Foumban comme conditions sine qua non de la réunification (et non de l’unification) en 1961 ont été frauduleusement abrogées par la Françafrique? Contrairement à ces vidéos de la tromperie diffusés à grand renfort dans les réseaux sociaux camerounais par la Françafrique, qui font l’apologie du statut quo et alléguent que la crise Anglophone n’est qu’un complot international monté de toute pièce pour déstabiliser le Cameroun, le problème Anglophone n'est pas né en 2016. C’est dans les faits un vieux problème endémique bien connu et non résolu des années 60, qui refait surface de façon cyclique, comme l’a si bien expliqué dans son magistral exposé du 10 janvier 2017, le très crédible ancien serviteur de l’État, monsieur David Abouem À Tchoyi.

En outre, le Président Biya a répondu aux légitimes et crédibles doléances de la population Anglophone par le déni du problème posé, la fourberie, l’intimidation et par une violence d’une ampleur inimaginable. Des centaines de Camerounais Anglophones auraient été massacrés depuis le 22 septembre 2017 par les forces de sécurité envoyées par le Président!

De plus, au lieu de négocier avec eux, le Président Biya a plutôt incarcéré tous les leaders modérés du camp de la contestation Anglophone, laissant ainsi les champ libre à la minorité sécessionniste qui a allègrement occupé tout le vide ainsi créé par l’incarcération des modérés leaders qui ne demandaient que la simple restauration du fédéralisme. Ce faisant, le président a indirectement promu le mouvement sécessionniste Anglophone.

Plus grave encore, le sort des millions d’élèves et étudiants Anglophones qui ne vont pas à l’école du fait de cette crise depuis bientôt deux années ne semble pas effleurer la conscience du Président dont ses propres enfants étudient confortablement et joyeusement pendant ce temps dans les meilleures institutions en Occident.

Depuis le 22 septembre 2017, des centaines de nos compatriotes Anglophones aux mains nues auraient été lâchement massacrés par les forces de sécurité dépêchées à cet effet dans la Zone Anglophone par le Chef de l’État. Au moment où nous écrivons ces lignes, la chasse à l’homme Anglophone par cette milice du Président s’y poursuit sans ambages et au quotidien. Les enfants de la Zone Anglophone ne vont toujours pas à l’école pour une deuxième année consécutive. La connexion Internet est toujours coupée dans la Zone Anglophone du pays. La militarisation de la Région Anglophone du Pays est sans précédent. Des milliers de compatriotes Anglophones sont en exode à la recherche de refuge à l’étranger, singulièrement au Nigeria, pays voisin.

Telle est une description non exhaustive du bilan du choix stratégique de la violence infligée aux Anglophones par le Président Biya comme l’unique solution pour résoudre la crise Anglophone, au lieu de tout simplement négocier pacifiquement avec ses compatriotes Anglophones autour d’une table de négociation inclusive de sorte à mettre fin pacifiquement à cette crise.

Comment comprendre que, notre chef de l’État qui, pour sauver la vie des otages étrangers et des proches de son régime, a pourtant négocié à répétions avec Boko Haram qui a tué et continue encore à tuer des milliers de Camerounais, mais refuse toujours aussi obstinément de négocier avec ses propres concitoyens Anglophones qui ne demandent qu’un meilleur vivre-ensemble entre Camerounais?

Aucune motivation du seul maintien du statut quo de la forme centralisée actuelle de l’État ne peut justifier le massacre d’honnêtes et nobles compatriotes qui n’ont rien fait d’illégal en exerçant pacifiquement leur droit constitutionnel à la contestation publique.

Il est par conséquent incompréhensible et très douloureux pour nous, simples citoyens, d’observer impuissants notre Président continuer à persister dans sa futile stratégie de la fuite en avant et de l’escalade de la violence gratuite contre la population Anglophone aux mains nues. C’est là l’invitation claire et évidente du Président qui supplie par ses actes l’arrivée de la guerre civile au Cameroun.

Nous dénonçons avec la dernière énergie un tel comportement inhumain et anti-patriotique.

Les vœux et l’invitation du Président pour l’avènement de la guerre civile tant redoutée semblent exaucés puisque les nouvelles qui nous parviennent du pays font état des morts des compatriotes qui se comptent dorénavant des deux côtés de la crise. Paix à leurs âmes! La vie de chaque Camerounais des deux bords du débat de la crise en cours a son caractère sacré et se doit d’être préservée en toute circonstance.

Si ces informations s’avèrent véridiques, le Président aura atteint son objectif de cette guerre civile pour laquelle il aura lui-même travaillé aussi fort et avec autant d’abnégation pour l’accoucher. Aucun de ses griots ou faiseurs d’opinion ne sera en mesure de réécrire l’histoire de la responsabilité personnelle du Président Biya dans cette dramatique tournure de la crise qui était pourtant si grossièrement dessinée en toute évidence dans le ciel comme danger à éviter.

Sommes-nous surpris par cette autre incompétence spectaculaire du chef de l’État Paul Biya? Que non! Le Président n’a joué que son réel niveau habituel.

Souvenons-nous qu’avant la crise Anglophone en cours, il y a également eu sous le règne du Président Biya, les manquements graves suivants, pour ne citer que ceux-là :

1.Le Cameroun a gagné deux titres de pays le plus corrompu du monde, homologués par Transparency International et se loge toujours au plus haut sommet de ce lugubre palmarès;

2.Le Cameroun est passé de son rang honorable de pays à revenu intermédiaire et ayant très peu de dette du classement homologué par les institutions des nations unies (ONU) avant l’avènement au pouvoir du Président Biya en 1982 à celui aujourd’hui de pays pauvre très endetté (PTT);

3.L’espérance de vie des Camerounais est passée de 53 ans avant l’avènement du Président Biya au pouvoir en 1982 à seulement 57 ans aujourd’hui;35 ans plus tard, comparé à 67 ans au Ghana voisin;

4.Notre pays est passé d’un pays en paix, jouissant effectivement de son autosuffisance alimentaire et ayant une balance commerciale excédentaire avant l’avènement au pouvoir du Président Biya en 1982 à un pays précaire, importateur de ses propres produits de terroir et où règne une insécurité endémique avec au moins quatre foyers d’instabilité identifiés, notamment Boko Haram qui terrorisent nos compatriotes au Nord du pays, les rebelles Centrafricains qui sèment allègrement la désolation et enlèvent même les autorités de l’État camerounais à l’Est du pays, la guerre civile qui vient d’éclater dans la Zone Anglophone du pays, et le grand banditisme qui sème la terreur en coupant les routes et en dévalisant les institutions bancaires à travers tout le pays;

5.Tous les indices de performance de notre pays sont au rouge aujourd’hui;

6. Etc.

Tout ce petit détour d’apparence hors sujet pour illustrer les contre-performances systématiques du Président Biya chaque fois que le peuple camerounais a eu à attendre de ce chef une décision salutaire à chaque croisée des chemins de l’histoire de la nation.

Aussi, la question de savoir pour qui travaille véritablement le Président Biya se pose avec acuité.

Travaille-t-il vraiment pour le Cameroun?

Travaille-t-il plutôt pour la Françafrique, bras séculier du colonialisme Français au Cameroun?

Le contexte de la crise Anglophone offre une opportunité idoine au chef de l’État Paul Biya pour répondre de lui-même par ses actions concrètes à ces questions lancinantes et situer lui-même son positionnement dans l’histoire, dans la postérité.

S’il travaille véritablement pour le Cameroun, le Président devra convoquer rapidement, sans davantage de délai, toutes les parties prenantes à une table de négociation sans exclusive et sans conditions préalables pour réviser la forme de l’État afin d’instaurer le fédéralisme conséquent des régions du pays tel que demandé. Cette action salutaire du Président sauvera d’une part des milliers de nos compatriotes des deux bords du débat d’une mort prématurée et inutile de la guerre civile en cours, et redorera le blason du bilan de son long règne catastrophique au sommet de l’État camerounais, d’autre part.

Le fédéralisme tant décrié par la Françafrique et les tenants du régime du Président Biya n’est pas un handicap pour le Cameroun comme allégué, mais plutôt une opportunité et la meilleure solution de développement dans le contexte actuel de notre pays. Le fédéralisme assurera l’autonomie réelle des régions tout en cassant un maillon fut-il local de l’infrastructure d’exploitation coloniale de la Françafrique au Cameroun, en permettant aux collectivités fédérées d’élire enfin leurs dirigeants qui seront véritablement redevables à la population par opposition à être nommés d’outre-mer comme c’est le cas présentement. De plus, le fédéralisme permettra à chaque entité fédéré de gérer en toute indépendance ses ressources au fin de son développement local.

Il est absolument vrai qu’aucun pays colonisé par la France n’a une forme fédérale de l’État, mais il reste également vrai et éloquent de constater qu’aucun de ces États colonisés par la France à travers tous les continents du monde n’est capable à ce jour de se mettre ne serait-ce que debout, sur quelque domaine positif d’activité humaine que ce soit, dans le concert des nations. Le Cameroun doit absolument rompre le statut quo pour sortir de ce carcan de l’anti-développement et de la misère à perpétuité, en commençant par réformer sa forme de l’État.

En effet, si le fédéralisme était si dangereux pour le pays qui l’adopte comme forme de l’État, l’Allemagne, le Canada, les USA, l’Autriche, le Nigéria, l’Inde, le Pakistan, le Brésil, l’Argentine, la Belgique, le Mexique pour ne citer que ceux-là, ne l’auraient pas adopté, n’existeraient plus car détruits par le fédéralisme et ne seraient pas en majorité à la tête du peloton des pays les plus développés du monde.

Par contre, s’il travaille plutôt comme il se dit pour la Françafrique, le Président Biya devra continuer exactement sur la même trajectoire qu’il suit depuis son avènement au pouvoir en 1982; celui de Gouverneur Colonial local, véritable franchisé du comptoir d’exploitation colonial Français qu’est le Cameroun, comptoir colonial qu’il a si religieusement servi pour la Métropole avec dévouement et abnégation depuis 1982.

À cet effet, pour bien assumer en toute cohérence son mandat de fier franchisé de l’exploitation coloniale du Cameroun, le Président devra continuer à massacrer autant de Camerounais que ça lui prendra pour assurer que l’ordre colonial Français règne immuable sur le Cameroun dans le cadre du statut quo de la forme hyper centralisé de l’État jacobin en place depuis l’époque de la colonisation directe du Cameroun par la France. Ainsi, il y aura maximisation de la prébende ou du pactole colonial généré annuellement par le Cameroun pour la France et une assurance que la France continuera à nommer sans vergogne les dirigeants du pays depuis la Métropole (Outre-mer), de sorte à garantir la continuité de son exploitation coloniale du Cameroun et la paupérisation du peuple camerounais.

Bien évidemment, à l’instar de tous les autres patriotes camerounais, nous souhaitons nous tromper. Nous souhaitons voir le Chef de l’État Paul Biya nous prouver par sa décision salutaire de sortie de cette crise Anglophone que nous nous sommes trompés sur son rôle, son positionnement ou sa personne.

Son Excellence monsieur le Président Biya, il n’est jamais trop tard pour se ressaisir. Le peuple camerounais, la communauté internationale et l’histoire vous observent de près en ce moment de choix existentiel pour notre pays. À vous de définir vous-même votre place et votre positionnement dans l’histoire, par votre action salutaire de sortie de cette crise Anglophone en cours.

Si c’est le cas, nous serons parmi les plus enthousiastes pour applaudir un tel revirement dans votre positionnement.

Que vive le Cameroun uni, juste, inclusif, apaisé et maître de son destin.

Michael Fogaing, Porte-parole de Diaspora pour la Modernité-Diaspora for Modernity

N.B.:

Diaspora pour la Modernité est une organisation de la société civile de la Diaspora camerounaise, pour qui l’indépendance des institutions démocratiques les unes des autres est la pierre angulaire de son activisme politique au Cameroun. Elle est basée au Canada.

Auteur: cameroon-info.net