Tel qu’on dresse son lit, c’est qu’ainsi qu’on se couche dit un adage de chez moi. Ce qui me fait commencer mon propos en vous relatant comment j’ai moi aussi été éduqué comme beaucoup de francophones, dans la condescendance et la méfiance, vis-à-vis de nos « frères » anglophones, d’abord en milieu familial, puis en société.
Je suis un fils du Mfoundi et de noble souche, qui plus est un « prince ». Ma famille possède encore un patrimoine immobilier assez important à Yaoundé. De ce fait, mon père comptait parmi ses locataires de nombreux anglophones (ce qui est encore le cas). De plus, parmi nos « domestiques », j’ai vu défiler durant mon enfance, plusieurs ressortissants du Sud-Ouest ou du Nord-Ouest. Aujourd’hui encore pour les francophones, les filles anglophones ont la réputation d’être nos baby-sitters et femmes de ménage, tandis que les hommes sont exploités dans nos plantations pour un salaire de catéchiste.
Dans le quartier où j’ai grandi, nous appelions alors les anglophones sous des vocables discriminatoires « anglo-fous ou anglo-foufou», « bamenda » etc. Bamenda non pour donner leurs origines, mais davantage pour les traiter de « moins-que-rien ». Exemple : « espèce de bamenda », « vous les ‘‘bamenda’’ vous êtes toujours à gauche », « tu me prends pour un bamenda ? » etc. sont là des expressions dont nous usions parfois et chacun de nous, en toute probité, a eu à les utiliser au moins une fois dans sa vie.
Mais pourtant à notre égard, les anglophones de Yaoundé avec lesquels j’entretiens diverses relations, ont toujours eu une attitude de respect qui frise parfois la soumission. Je me souviens encore de ces papas « anglos » qui, me connaissant fils du « Nkùkùma » (Chef), me faisaient des révérences non sans se décoiffer avant de me saluer.
Plus tard durant mes humanités à l’Université de Yaoundé I, mon statut de délégué d’étudiants me fera mieux prendre le pouls du mal-être des camarades d’expression anglaise, en milieu estudiantin. À titre d’illustration : les copies d’épreuves aux examens étaient souvent rédigées en français uniquement et destinées à tous les étudiants. Je vous fais grâce des railleries dont ils étaient victimes, par des étudiants et enseignants francophones tribalistes, à diverses occasions, et bien plus.
Professionnellement, je n’ai presque pas côtoyé d’anglophones, sinon de manière fortuite, ceux qui étaient déjà assez bien intégrés. Mais je reconnais que même à ce niveau, ils sont stigmatisés dans leur âme, lorsque par exemple j’observe que nous ne faisons presque pas d’effort pour communiquer avec eux en anglais, ou pis encore lorsque dans nos mairies, les ministères, et autres lieux publics de « Ongola-iwondo » (Yaoundé-des Éwondo), le français est substitué par la langue locale ou le bùlù. J’avoue y avoir dit plusieurs fois « mbëmbë kiri » au lieu de « bonjour » ou « good morning », pour être facilement et promptement reçu. Cependant, Yaoundé a cessé d’appartenir aux seuls Éwondo depuis son érection en Capitale politique du Cameroun. D’ores et déjà, il convient de dire, « Ongola-bi-bësë » (Yaoundé de tous) !
Ma rupture avec mes « croyances » sur les anglophones commence en mars 2015, lorsqu’avec un groupe d’amis, nous sommes allés en excursion au Mont-Cameroun, le fameux « char des dieux ». En observant Buea particulièrement, j’ai été très impressionné par la propreté, l’ordre et la discipline dans les rues, tant pour les piétons que pour les conducteurs de tous types de véhicules. Et ce, sans aucune présence policière. J’y ai découvert un peuple aux antipodes de mes a priori : tellement affable, accueillant, chaleureux, intègre et débordant de joie de vivre. L’Étranger y est presque vénéré. Le vivre-ensemble qui devient politique chez les francophones, est atavique chez les anglophones.
Ce bref séjour fut pour moi une bonne leçon d’humilité, en constatant que, l’autre nous exaspère quand on ne le connait pas. Autrefois si fier de mon village en plein Yaoundé, j’ai remis en cause mes certitudes, ayant découvert chez le peuple anglophone que nous méprisons de maintes façons, des valeurs que nous francophones, devons-nous réapproprier. Raisons pour lesquelles je comprends et soutiens fermement la lutte pour le fédéralisme, depuis la première heure. La marginalisation des anglophones a perduré : soyons vrais et consciencieux !
Pourquoi cet injuste étiquette de « terroriste » que l’élite politique, le patriarcat, la bureaucratie, l’intelligentsia francophone… veulent coller à chaque anglophone qui dit NON au galvaudage du seigneur d’Étoudi et à ses valets et griots ?
Ma foi, le terrorisme le plus dangereuse au Cameroun est celui de la délinquance sénile de ses dirigeants francophones dont nous, Éwondo et Bùlù sommes les principaux acteurs. La peur-panique que nous avons, de perdre nos privilèges et notre confort, nous a anesthésiés au point de faire inconsciemment peut-être, un transfert de culpabilité, en tronquant la vérité historique. Si nous nous complaisons dans la léthargie, la fainéantise, la prévarication, la gabegie, la stagnation, l’impunité, la vacuité surtout morale, ... au point de vivre dans le déni, acceptons que d’autres expriment au moins leur ras-le-bol sans les diaboliser. C’est nous qui sommes les seuls responsables de cette situation calamiteuse. Notre indifférence est lâche et coupable. L’Histoire nous accusera.
Pour désamorcer cette crise, nous francophones, devons donc demander pardon aux anglophones, d’avoir mal géré le capital social du Cameroun depuis la Réunification jusqu’à nos jours. S’il n’est pas trop tard, amendons aussi nos comportements dédaigneux, face à l’opinion contraire, particulièrement quand elle exprime le mal-être d’un peuple minoritaire et laissé-pour-compte.
Ce ne sont pas les anglophones mais les querelles de succession entre francophones sur l’après Biya qui viendront définitivement briser la paix et l’unité hypothétiques que nous prétendons conserver aujourd’hui. Au fait, de quelle paix et de quelle unité peut-on parler, lorsque dans une même famille, l’injustice et les inégalités sont la norme ???
DEAR ANGLOPHONES, I APOLOGIZE TO YOU.