Le dynamisme enviable du monde des idées au Cameroun m’a poussé à me câbler de plus en plus régulièrement sur les chaines de télévision de ce pays voisin, partenaire et frère. Voisin du fait de la longue frontière qui sépare les deux pays ; partenaire à cause du marché que représente le Gabon pour les commerçants camerounais ; et frère du fait de la proximité culturelle d’une bonne partie des peuples respectifs des deux pays.
Toutefois, ayant noté qu’Ali Bongo pourtant dégurgité par toutes les couches sociales au Gabon, jouit d’une curieuse sympathie auprès d’une certaine opinion publique au Cameroun, il m’a paru bon de me joindre aux autres concitoyens l’ayant déjà fait, pour réagir à ce qui semble être la manifestation d’une cécité intellectuelle ou bien d’une malveillance consciemment entretenue en contrepartie (certainement) de quelques prébendes ou de promesses de sponsoring.
De la lutte contre la Françafrique
Pourquoi Ali Bongo est-il présenté comme un panafricaniste par une bonne partie de l’opinion au Cameroun?
Le peuple gabonais n’a pas attendu l’arrivée d’Ali au pouvoir pour lutter contre le dictat de la France. C’est justement contre ce dictat que le peuple s’est toujours battu, à travers sa mobilisation pour exiger le multipartisme en 1990, puis à travers ses multiples tentatives à instaurer une alternance politique. Chose que la France n’a jamais voulue.
Car Omar Bongo avait tellement trouvé grâce aux yeux des représentants de l’état français que ni ses velléités dictatoriales, ni son incapacité à construire un état doté d’institutions républicaines ne présentaient jusque-là des préoccupations majeures pour que la France s’en offusque.
Lorsqu’on parle de pré-carré français, de Françafrique, de gouverneurs coloniaux ayant des masques présidentiels, Omar Bongo en était bel et bien l’incarnation et l’exemple le plus manifeste. Ainsi, insinuer, dire ou faire croire que le peuple gabonais qui a totalement dégurgité Ali Bongo préfère la servilité de la françafrique en soutenant Ping, c’est donc insulter non seulement l’intelligence des gabonais, mais aussi la mémoire de ceux qui ont payé de leur vie sous le joug d’Omar Bongo et de son fils.
Par ailleurs, qu’y a-t- il de panafricaniste chez Ali franchement? Et qu’y a- t-il de si comparable entre Ali et Laurent Gbagbo, mis à part l’entêtement et le jusqu’auboutisme pathologique?
Gbagbo au moins était bien instruit, très enraciné dans sa culture natale et n’affichait pas des airs d’un émir. Gbagbo n’avait pas pour hobbies les courses de bateaux, le golf ou les voitures de sport.
Gbagbo n’était pas complexé au point de se précipiter au moindre rendez-vous international pour prendre des photos avec les grands de ce monde. Gbagbo n’avait pas pour épouse une française dont le père faisait partie de ceux qui ont vampirisé certains secteurs de l’économie du pays. Gbagbo n’était pas léger au point de faire venir des filles de joie en provenance du brésil pour les exposer aux regards virils de ces compatriotes.
Décider d’interdire de façon prématurée l’exportation des grumes non transformées, ou bien lancer un redressement fiscal à l’endroit d’une grande entreprise française ne fait pas d’un président africain un panafricaniste. Comment l’écrivaine camerounaise Calixte Beyala peut- elle être aussi superficielle dans l’appréciation de la position d’Ali vis- à-vis de la France ?
Tout comme une bonne partie de l’opinion camerounaise, elle tente insidieusement de justifier les déboires d’Ali par le fait qu’il serait panafricaniste, tout en oubliant que le premier président à féliciter précipitamment Ali pour son élection (pas comme on l’entend) en 2009 n’était pas un africain mais plutôt un certain Nicolas Sarkozy, chef de l’état français, grand ami des dictateurs et des riches.
A-t-elle une idée précise du nombre, du profil et des intérêts des français qui écument les couloirs de la présidence, des ministères, des entreprises, ou des camps militaires au profit d’Ali et de son clan?
La quête de panafricanisme ne doit pas nous aveugler au point d’applaudir à se rompre les phalanges, les dictateurs ou fils de dictateurs simplement parce qu’ils nous auraient servi, dans leurs discours, des choses ou des concepts que nous voulons entendre.
Car ils ne sont pas dupes. Ils savent bien que c’est ce nous voulons entendre. Ils nous parlent de rupture d’avec le colonisateur, mais ce n’est pourtant pas en Afrique qu’ils se soignent, ce n’est pas dans les banques africaines qu’ils déposent la plus grande part de leur fortune, ce n’est pas en Afrique qu’ils ont les plus prestigieux biens immobiliers.
Le gabonais lambda, bien que désinformé à souhait, le sait très bien et il n’a pas de leçon à recevoir de Calixte Beyala à ce sujet, qu’il ait soutenu Ping ou non.
Dans notre soif d’émancipation, nous devons être assez imaginatif pour comprendre que l’ennemi de notre ennemi n’est pas forcement notre ami. Il est tout à fait honteux, par exemple, de croire que Mugabe demeure un bon président pour le Zimbabwe simplement parce qu’il ne fléchit pas devant l’occident. C’est très réducteur! Aux frères camerounais de revoir donc leur copie!
On a reproché au peuple gabonais d’avoir exigé la vérité sur les origines du président en vue du respect de la constitution et on a vu dans cette exigence l’attitude d’un peuple tournant le dos au panafricanisme. Même si culturellement cela peut s’avérer nauséeux (surtout au regard des dérapages enregistrés), il était pourtant question de principe.
Ceux qui se réclament d’un pseudo panafricanisme aujourd’hui doivent comprendre que c’est justement notre incapacité à respecter nos principes, nos textes fondamentaux et notre parole, qui sert de failles à l’intrusion de l’homme blanc, «né ô pour marchander» ainsi que le chante Pierre Claver Akendéngué, panafricaniste abouti. C’est cette incapacité donc, visiblement bien assumée par les nouvelles générations, qui fait que les dictateurs ont encore des beaux jours en Afrique.
De la rivalité entre Ping et Bongo
Pour comprendre l’origine de la confiance du peuple gabonais dans Jean Ping, il est bon de reconnaître que ce dernier n’a pas le charisme de Pierre Mamboundou ou d’André Mba Obame. Toutefois, quel que soit l’anathème qu’on peut lui jeter, il est très vite apparu évident que Jean Ping était le moins mauvais des candidats d’une opposition gabonaise en pleine reconstruction.
Malheureusement, les faucons du pouvoir au Gabon, ainsi que certaines voix en Afrique, n’ont pas compris et continue de ne pas comprendre que Ping n’est que le porte flambeau, le dernier recours d’un peuple qui a longtemps suffoqué ; un peuple à qui on a ôté toute dignité ; un peuple qui ne rêve plus ; mais un peuple considérable quand même.
Le peuple gabonais n’est ni le premier ni le dernier à opérer ce qu’on peut appeler un « vote sanction ». Les chinois nous enseignent que « quand le doigt montre la lune, l’imbécile regarde le doigt ». Ping n’est que le doigt du peuple qui montre la lune qu’il recherche tant. Qui est donc l’imbécile ?
De la ruture de ban entre les citoyens et les institutions dites démocratiques
Le peuple gabonais a la réputation d’être un peuple patient, voire passif. Pourtant ce même peuple n’a pas souvent manqué de donner des signaux d’alertes importants depuis l’avènement du multipartisme.
Nul besoin d’avoir fait des études de sciences politiques pour comprendre que l’existence des institutions démocratiques ne garantit pas la démocratie. Les pseudos analystes qui ont pignon sur média ces derniers temps ne devaient pas perdre de vue qu’une institution regroupe trois facteurs, c’est- à- dire une organisation, des textes et enfin des individus qui animent l’ensemble ainsi constitué.
Ceci dit, pour que l’institution s’inscrive pleinement dans le registre de la démocratie (demos- kratos : loi du peuple), elle doit dégager un rayon de légitimité à partir de son caractère légal, rationnel et surtout impersonnel. Car la démocratie s’accommode mal du culte de la personnalité.
La démocratie s’exprime difficilement là où il y a personnalisation des fonctions. C’est exactement ce que martèle Barack Obama lorsqu’il dit que l’Afrique n’a pas besoin de grands hommes, mais plutôt de grandes institutions.
Or au Gabon, la culture de l’impersonnalité manque si cruellement au sein des institutions que celles-ci sont devenues tellement prévisibles dans leur composition et surtout dans les décisions qui en sortent. Le peuple a fini par ne pas perdre son temps à croire que ces institutions pouvaient servir ses aspirations.
C’est de là qu’il faut partir pour donner à comprendre le rejet, le dégout, l’irrespect du peuple ostensiblement manifesté envers les institutions. Ceux qui rappellent de façon incantatoire qu’un bon démocrate doit respecter les institutions de son pays oublient de souligner qu’il revient justement à ces institutions d’inspirer le respect à partir des décisions émanant d’elles au fil du temps.
Au Gabon, les institutions sont devenues le symbole du divorce entre le citoyen et l’état. Ce pays a vu un ministre de l’intérieur annoncer les résultats d’une élection présidentielle avant même que le dépouillement ne soit terminé dans la province abritant la capitale.
Dans ce pays un ministre de l’intérieur aurait juré qu’aucun opposant ne remporterait d’élection présidentielle tant qu’il serait en poste. Dans ce pays, la Cour Constitutionnelle est dirigée depuis près d’une génération par une des nombreuses porteuses de bébés présidentiels (car elle a été la compagne du président ayant régné 42 ans durant avant que son fils ne prenne le relais).
Dans ce pays, l’incompétence de la CENAP (commission électorale nationale autonome et permanente) fait au moins l’unanimité puisque même le camp déclaré étonnement vainqueur crie à la fraude dans certaines régions du pays.
Dans ce pays, le procureur de la république ne monte au créneau et ne sort ses gongs que pour invectiver le bas peuple ou ceux qui portent sa voix (leaders, syndicalistes, activistes, enseignants, étudiants…) alors qu’on aimerait bien le voir vociférer aussi chaque fois que les commerçantes sont embastillées par les policiers ou lorsqu’il est informé des multiples crimes fétichistes du reste souvent non élucidés, dans un pays pourtant très bien quadrillé par les services de renseignement.
Dans ce pays, les parlementaires, ministres et directeurs généraux sont souvent cités dans des affaires de détournements de biens publics, de corruption ou de crimes rituels qui endeuillent des familles, mais le zèle du parquet ne remonte en surface que pour rappeler les dispositions du code pénal aux organisateurs des marches ou meetings trop souvent interdits (interdictions dont l’efficacité reste à prouver).
Dans ce pays, il suffit qu’une personnalité quitte volontairement le cercle du pouvoir pour que la Direction Générale des Impôts se rende brusquement compte que son entreprise ne payait pas d’impôt. Dans ce pays, les lieux de socialisation (lycées, internats, universités, bibliothèques, cercles culturels) sont inexistants ou sont tombés en lambeau et ont fait place à des associations de mendiants, des fédérations de courtisans, des regroupements de jeunes laudateurs prêts à baisser la culotte pour exister.
Avec un tel penchant institutionnel et sociologique, comment peut-on reprocher aux citoyens de manquer de respect envers les institutions?
Chers frères et sœurs africains, ne vous contentez pas que d’aimer le Gabon seul avec son miel et son lait ! Aimez aussi les gabonais et les gabonaises, affectionnez les, respectez les, comprenez les !!!
De l'échec pourtant prévisible d'Ali Bongo
L’échec d’Ali Bongo était plus que prévisible. Il arrive au pouvoir déjà dans des conditions discutables, d’où un déficit de légitimité à compenser. Qu’il ait été élu ou « pas comme on l’entend » (dixit Manuel Valls) en 2009, ceux qui ont voté pour lui l’ont fait pour trois raisons principales.
Premièrement, ils ont en fait voté pour Omar Bongo, bien que décédé. En effet, malgré les turpitudes de ce derniers, il aura sans conteste su marquer les esprits des gabonais par son caractère rassembleur, fédérateur, empathique. Il s’est évertué à bâtir plus ou moins maladroitement une nation unie (car caractérisée jusque-là par des particularismes ethniques prononcés), plutôt que de jeter les bases d’une gouvernance pérenne.
En tant que peuple rebutant la violence, la conflictualité, et succombant à la charge émotionnelle découlant du décès du patriarche, les gabonais ont donc élu ce que tout bon africain appelle «l’ombre du père», c’est- à- dire le fils.
Deuxièmement, le vote des gabonais n’était ni plus ni moins qu’une manifestation du syndrome de Stockholm, phénomène inévitable pour un peuple longtemps soumis aux tribulations d’un même régime. Vu la mainmise de la famille présidentielle sur l’appareil politique, financier et militaire, et sachant qu’Ali Bongo avait déjà annoncé les couleurs au sein de son parti (PDG), les gabonais ont inconsciemment préféré la servitude de leur bourreau plutôt que de gémir sous ses serres en cas de rejet frontal.
Troisièmement, les gabonais ont élu une promesse; celle d’un jeune président censé incarner le dynamisme par opposition à l’immobilisme d’une classe politique composée de roitelets et de personnalités sclérosées par un militantisme alimentaire.
Les gabonais espérait qu’avec les acquis d’un pays où les individus se parlent et s’accordent surtout sur le rejet de la violence, Ali Bongo mettrait le Gabon enfin sur les rails d’un développement harmonieux, surtout que le voisin équato-guinéen était en train de leur infliger une véritable leçon en matière de gestion de la manne pétrolière.
Mais le peuple a vite déchanté.
D’abord la personnalité d’Ali Bongo, totalement aux antipodes de celle de son père, Omar Bongo. Ce dernier était tempéré, avait une grande capacité d’écoute, préférait la conciliation plutôt que l’affrontement permanent. Il était le prototype du chef de famille bantou.
Face aux insultes, il répondait parfois par un silence ou bien prenait de la hauteur. Ali Bongo manquait de tout cela. Il n’a pas su ou voulu taire les différends qui ont éclaté jusqu’au sein de son cercle familial.
Sa pusillanimité et son impulsivité était encore vérifiable il y a tout juste quelques semaines lors des débats retransmis par dans les médias ayant couvert la campagne présidentielle, notamment les média camerounais.
On pouvait remarquer son incapacité à laisser les journalistes poser successivement leurs questions sans être refrénés dans leur élan par leur hôte aux aguets, prêt à rebondir. Les gabonais ont très tôt compris que ces attitudes ne font pas et ne feront pas un bon président de la république gabonaise.
Ensuite le choix de son entourage immédiat, composé essentiellement des individus ayant la même personnalité que lui, affichant en plus de l’arrogance, l’extravagance, dénués de toute capacité d’écoute, ayant des mœurs suspectes, sans véritable sensibilité culturelle par rapport aux profondeurs anthropologiques du pays.
Le premier cercle était constitué de personnes originaires d’autres pays africains, ayant acquis la nationalité mais sans aucune attache historique ou culturelle avec les us et coutumes gabonais. L’exercice de la fonction symbolique de Chef de Cabinet du Président par une de ces personnes était, pour le gabonais lambda, le comble de l’ignominie.
Ainsi, tout développement devant reposer sur un socle culturel, les gabonais ont compris que ces individus ne feront donc pas le développement du Gabon, indépendamment de quelques aspects isolés.
Même parmi ceux qui mettaient en exergue ses réalisations du temps où il était ministre de la défense, les plus lucides ont compris que dans un pays qui ne fait pas la guerre, il n’y a aucune complexité particulière à gérer un ministère de la défense, comparativement à un ministère de l’éducation nationale ou celui de l’économie et surtout lorsqu’on est fils du président.
Le manque d’exemplarité et d’éthique s’est ajouté aux éléments précédents. Le fait d’écarter certains barons du régime du père qui étaient devenus de véritables roitelets indéboulonnables dans leurs régions respectives était certes une bonne chose. Mais par qui les a –t- on remplacé ?
Ces personnes avaient au moins le mérite de maintenir une certaine fusion entre le pouvoir et le bas peuple dans une certaine mesure. Peut-être étaient- elles très proches des composantes culturelles, sociologiques et spirituelles du peuple!
Beaucoup d’inconditionnels autour d’Ali présentaient plutôt les caractéristiques de parfaits parvenus, découvrant l’argent, le lucre et la célébrité.
Ali Bongo lui-même s’est illustré, pendant la majeure partie de son septennat, par le souci de tout concentrer, par des voyages somptueux, par des loisirs reflétant l’image d’un président indifférent et sourd aux gémissements de son peuple, par l’organisation de manifestations, forums et autres évènements «bling bling», sans véritable conséquence dans l’assiette ou la poche du citoyen du Gabon profond; tout ceci couronné par une communication étouffante.
Son appétence pour de plus en plus d’argent et de richesse s’est cristallisée dans la voracité de la holding familiale Delta Synergie, véritable pieuvre chargée de siphonner au mieux le moindre sous à travers des prises de participations dans plusieurs entreprises du pays. Quel aurait pu être le reflet éthique d’une telle gouvernance?
Face aux rebondissements de plusieurs affaires dont celle des origines du président, sa famille (plutôt que de se taire comme l’aurait certainement préféré Omar Bongo) a accumulé des bévues en voulant à tout prix présenter et reluire une image superfétatoire d’un homme public semblant chercher ses marques, ce au travers d’un bricolage communicationnel et judiciaire.
Tout cela a entraîné un phénomène de rejet chez bon nombre de gabonais, phénomène qui s’est parfois manifesté par une plus grande méfiance des citoyens envers les symboles institutionnels du pouvoir, un effritement de l’autorité de l’état et l’émergence de comportements et vocables (légion étrangère, etc.) servant à extérioriser l’exaspération d’un peuple doublement humilié. Dans ce contexte, l’éruption inédite de grèves intempestives dans presque la totalité des secteurs professionnels, tout comme la cristallisation des débats autour de la situation administrative (acte de naissance) du président sortant n’était en réalité qu’une réaction collective à «l’étrangéité» symbolique et indicible des hommes du pouvoir.
Malheureusement, plutôt que d’y voir une réaction à un problème sociologique, les intellectuels dits du palais, intellectuels mécaniques trop occupés à assurer leur ascension sociale et aidés par une honteuse presse internationale intéressée, ont insinué des phénomènes tels que la xénophobie alors qu’il s’agissait d’un épiphénomène normalement observable dans toutes les sociétés humaines face à ce genre de signaux émis par les gouvernants.
Lorsqu’Omar Bongo décède, il y avait bien des personnes valeureuses dans le pays, tant dans la sphère administrative que dans le cercle des idées (intellectuels, hommes de culture, etc.). Pourquoi n’avoir pas capitalisé ces valeurs ? Pendant ce septennat, le gabonais s’est senti honteux, incapable, inutile, inconsidéré, impuissant. Le suicide de Philipe Mory, père du cinéma gabonais, peut être considéré comme la mise en scène de cette fissuration de l’être gabonais. Tous les indicateurs du rayonnement d’un peuple (sport, culture, art, littérature, etc.) n’ont jamais été aussi ternes. La représentativité des hauts cadres gabonais dans les instances sous-régionales et les organismes internationaux a été des plus faibles.
L’atteinte aux libertés individuelles et le recul de la liberté de la presse ont servi de clos à une langoureuse descente aux enfers d’un septennat caractérisé par tant de bizarreries et de maladresses politiques. Il suffit de comparer le paysage médiatique gabonais à celui camerounais pour se rendre compte du gap.
Il est triste de constater que depuis quelque temps, beaucoup de gabonais préfèrent regarder les média tels que Voxafrica ou Vision 4 qui servent des émissions au contenu contradictoire (avec des intervenants de toute sensibilité politique ou sociale) et des programmes qui nourrissent l’intellect. Au Gabon, même de petits activistes ou de simples bloggeurs ont fait les frais d’une machine policière devenue incontrôlable.
On peut comprendre l’aveuglement d’une partie de l’opinion camerounaise sur ce qui se passe au Gabon dès lors qu’aucune des chaines gabonaises câblées sur le bouquet de Canal+, par exemple, ne présente une vision objective, équilibrée de ce que vit le gabonais depuis sept ans.
Le ministre de la Communication, un des hommes les plus zélés et sulfureux de l’entourage d’Ali Bongo, a pris le soin de faire des médias publics des canaux de propagande. L’illustration de cette confiscation des médias a été la suppression des émissions phares telles que «Pluriel» ou «Débat de presse» qui permettaient aux gabonais de se faire une idée équivoque de la réalité.
Le niveau du journalisme est descendu très bas. On est désormais bien loin de l’époque des journalistes de qualité tels que Firmin Mboutsou, Godel Inanga, Elmut Moutsinga Boulingui et les autres.
Le journal quotidien «L’union», un temps référence de la presse écrite au Gabon, est devenu un support de diffusion des logorrhées des prébendiers d’Ali Bongo, au point où ce journal se vend difficilement. Les rares personnes qui l’achètent ne le font souvent que pour ces dernières pages (mots croisés, caricatures et annonces) et non pour lire les dithyrambes des journalistes et intellectuels alimentaires sur Ali Bongo.
En voulant ainsi faire des gabonais des êtres bruts puisque désinformés, biberonnés à une information purement propagandiste et militante, comment s’étonner des réactions rageuses ayant suivi la publication des résultats de l’élection présidentielle par le ministre de la police? Ne dit-on pas que «qui sème le vent récolte la tempête?»
De la province du Haut Ogooué
L’une des bizarreries du processus électoral au Gabon est la transmission, en toute dernière position, des résultats de la province du Haut Ogooué. Sur quoi repose cet ordre ? Qu’il s’agisse de l’ordre alphabétique, de l’ordre administratif, ou des caractéristiques démographiques, la province du Haut Ogooué n’est ni la première ni la dernière des neufs que comptent le pays. Cela fait partie des situations qui effritent la confiance des citoyens vis- à- vis des institutions et suscitent une méfiance inutile entre concitoyens.
Chaque gabonais a un presque frère dans la Haut Ogooué. Chaque cadre gabonais a un collaborateur venant de cette province. Chaque citoyen a une belle sœur ou un ami originaire du Haut Ogooué. La stigmatisation ne triomphera pas!
Par ailleurs, que l’opinion camerounaise sache que cette région a mieux à offrir au Gabon et au monde, bien au-delà des miasmes de la politique. Elle est devenue mondialement (et tristement) célèbre non pas pour sa très riche culture et ses traditions, mais pour l’instrumentalisation dont elle a toujours fait l’objet par le cercle du pouvoir au Gabon.
Elle a pourtant donné au pays son tout premier ingénieur, un certain Jacques Lebizangomo Joumas. Des hommes de haute qualité morale en sont sortis, des hommes bien mieux constitués sur le plan intellectuel et psychique que les agitateurs appelés ironiquement les «émergents» et qui font malheureusement l’entourage d’Ali Bongo aujourd’hui.
Bien que très représentés dans les régies financières et l’armée, les citoyens originaires de cette région connaissent les mêmes problèmes que les autres gabonais. Dans plusieurs quartiers de Libreville, on peut voir des jeunes filles originaires du Haut Ogooué se mettre précocement (et malgré elles) en situation de concubinage, faute de soutien parental ou d’encadrement.
Dans le Haut Ogooué, comme dans tout le Gabon, Ali Bongo n’a construit aucun lycée, pas même un seul, en sept ans de magistère.
La déperdition scolaire massive qui s’en est suivie (ainsi que tous les phénomènes sous-jacents) aurait-elle pu être colmatée par un banal programme de formation hâtive aux petits métiers, programme du reste bricolé à quelques mois de l’élection présidentielle après sept ans de voyages, de forums, de jactance et de communication outrancière ?
En sommes, que Calixte Beyala le sache. Ali Bongo qui ne réunit nullement les caractéristiques d’un panafricaniste, n’a qu’à s’en prendre à lui- même. Des voix se sont levées au fur et à mesure que les années passaient.
Mais l’homme est resté sourd à toute interpellation, à tout conseil, à tout signal, à toute suggestion, à toute orientation alternative. Totalement dégurgité, il a sacrifié la confiance des gabonais sur l’autel de sa volonté de puissance, de sa soif inextinguible de figurer parmi les grands de ce monde et de sa pathologique conviction selon laquelle lui seul savait, lui seul pouvait, lui seul était aimé, lui seul faisait du bien.
Maintenant que la Cour Constitutionnelle donne un verdict autre que celui que la grande majorité des gabonais attendaient sans trop y croire, que va –t- il se passer dorénavant, au quotidien, dans les familles, dans les administrations, dans les entreprises ?
Que Calixte Beyala, Georges Dougueli, Alain Tchoyi et tous les pseudos analystes des faits sociopolitiques africains méditent. Quant à nous autres malheureux citoyens lambda, William Shakespeare nous enseigne en substance que le misérable n’a recours qu’a l’espoir. Qu’allons- nous faire ? Nous ferons autrement tant que nous vivrons.
Dis-nous Calixte Beyala, quel «ciel» t’ont offert les émergents?