Paul Biya dans sa 39ème règne au Cameroun
La décentralisation tant prônée par le président Biya au Cameroun peine à s'établir. C'est le triste constat fait par Roland Tsapi qui dans sa tribune, trouve que le pouvoir central de Yaoundé a du mal à effectuer le transfert des compétences et du pouvoir aux collectivités territoriales. A quoi cela est dû? Il donne son point de vue dans cet article ci-dessous!
Depuis le 24 décembre 2019, le président de la République a promulgué la loi 2019/024 portant code général des collectivités territoriales décentralisées, dans la cadre de la décentralisation. Une loi qui était présentée comme l’une des solutions gouvernementales aux revendications sécessionnistes. Il était en effet question de permettre aux populations de se prendre en charge localement, ce qui réduirait les tracasseries administratives décriées avec la centralisation. Cette loi prévoyait le transfert de certaines compétences aux communes et aux régions. Deux ans après la promulgation, quelle avancée pour le transfert des compétences ou plutôt, pour la prise en mais effective des pouvoirs désormais dévolus aux collectivités territoriales à travers ce transfert des compétences ?
Transfert sur papier
Pour ce qui est de l’éducation par exemple, l’article 271 du Code dispose que les compétences suivantes sont transférées aux Régions : « la participation à l’établissement et à la mise en œuvre de la tranche régionale de la carte scolaire nationale, la création, l’équipement, la gestion, l’entretien, la maintenance des lycées et collèges de la région, le recrutement et la gestion du personnel enseignant et d’appoint desdits établissements, l’acquisition du matériel et des fournitures scolaires, la répartition, l’allocation des bourses scolaires, la participation à la gestion et à l’administration de l’Etat, par le biais du dialogue et de concertation, le soutien à l’action des communes en matière d’enseignement primaire et maternel. » Déjà, après l’adoption de cette loi, il a fallu attendre un an pour procéder aux élections en vue de la mise en place des conseillers régionaux, et une fois installés, ils ne semblent pas pressés.
En résumé, deux ans après l’adoption du Code général de Collectivités territoriales, il n’y a pas signe de matérialisation concrète sur le terrain. En septembre 2021, c’est sera la deuxième rentrée scolaire, sans que les régions n’aient pris en main la gestion des établissements scolaires secondaires publiques, et si l’on revient à la Constitution de 1996 qui institue la décentralisation, on serait à 25 ans du surplace, les décisions continuent d’être prises au niveau central pour des questions qui pouvaient être réglées localement.
Si l’autorisation s’obtenait au niveau de la Région, ce serait plus facile. A ce niveau en effet, on serait plus soucieux de satisfaire les populations locales en offre d’établissements scolaires car étant au contact des populations et connaissant les besoins, que l’Etat ne peut pas satisfaire.
Yaoundé
Le 29 juillet 2021, le ministre des Enseignements secondaires a signé un arrêté portant fermeture de 106 établissements scolaires pour fonctionnement sans autorisation de création. Dans le département du Wouri où se trouvent 47 établissements concernés pas la mesure, le délégué départemental du ministère des Enseignements secondaires a confié au quotidien gouvernemental Cameroon Tribune : « madame le ministre ne peut pas prendre des mesures aussi coercitives que difficiles sans que nous n’ayons produit un fond de dossier. Elle est à l’écoute de la base. Son objectif c’est de ne plus entendre parler des établissements clandestins. » Cette déclaration du délégué départemental est assez évocatrice de la distance parcourue par la décentralisation et le transfert de compétence.
Pour lui, la base ce n’est pas la région, mais les services déconcentrés du ministère. Les fondateurs des établissements privés sont pourtant fermes, leur idée n’est pas de fonctionner dans l’illégalité, ils auraient tous des dossiers d’autorisation en cours mais la machine est lourde à cause de la trop forte centralisation. Il faut attendre que Yaoundé décide, alors que les choses seraient plus simples si tout se passait en région. Un dossier de demande d’ouverture doit en effet être soumis à l’ordre local d’éducation concerné au départ, à savoir au Secrétariat à l’éducation pour ce qui est de l’enseignement laïc, qui a 30 jours pour le transmettre avec avis à la délégation régionale des Enseignements secondaires. Ce service déconcentré, après inspection, a également 30 jours pour faire suivre le dossier au ministère, qui d’après les fondateurs est un véritable cimetière où il faut souvent plus qu’un bulldozer pour aller exhumer le dossier.
Ici on s’accroche, parce que l’étude de ces dossiers donne lieu à des inspections à effectuer dans les installations des demandeurs, ce qui induit une mission qui doit partir de Yaoundé, laquelle donne droit à des frais, sans compter que le promoteur qui accueille la mission doit bien la « recevoir », pour s’assurer d’un avis final favorable. Si l’autorisation s’obtenait au niveau de la Région, ce serait plus facile. A ce niveau en effet, on serait plus soucieux de satisfaire les populations locales en offre d’établissements scolaires car étant au contact des populations et connaissant les besoins, que l’Etat ne peut pas satisfaire. La loi du 24 décembre 2019 qui bétonnait en quelque sorte la décentralisation, avait été accueillie par beaucoup avec un ouf de soulagement, mais avec le temps, on se rend compte qu’on a jubilé trop tôt.
Toute une artillerie lourde pour la maîtriser, mais jusque-là même un serpent de mer n’est pas aussi glissant que la décentralisation au Cameroun. Reste à savoir à qui profite cette inertie, mais il est certain que ce n’est pas aux populations à la base.
Blocage
Qu’est ce qui coince alors pour la décentralisation en général ? Pourquoi avec une batterie de lois et d’organes dédiés, on n’avance pas ? En dehors des lois qu’on ne cite plus, on a comme acteur principaux le président de la République qui arrête les grandes orientations en matière de décentralisation, le Premier ministre, qui préside le Conseil national de la décentralisation, le ministre de la Décentralisation et du développement local, le ministre des Finances et son collègue de l’Economie, de la planification et de l’aménagement du territoire.
Pour les organes de mise en œuvre, le Cameroun a à ce jour : le Conseil national de la décentralisation et le Comité interministériel des services locaux créés par la loi de n° 2004/017 et organisé par le décret n°2008/013 du 17 janvier 2008, le Comité national des finances locales créé par la loi n° 2009/011 du 10 Juillet 2009 portant régime financier des Ctd, qui dispose de relais régionaux (Comités régionaux des finances Locales) et départementaux (Comités départementaux des finances locales), la Commission interministérielle de coopération décentralisée créée par le décret n°2011/1116/PM du 26 avril 2011 fixant les modalités de la coopération décentralisée. Toute une artillerie lourde pour la maîtriser, mais jusque-là même un serpent de mer n’est pas aussi glissant que la décentralisation au Cameroun. Reste à savoir à qui profite cette inertie, mais il est certain que ce n’est pas aux populations à la base.