Le ‘rouleau compresseur’, inventé par le régime au pouvoir est réputé être une technique d’acharnement politico-judiciaire qui tourne à plein régime au Cameroun. Cette dangereuse machine à broyer l’homme, se révèle d’une redoutable efficacité, de l’opération Epervier au complot supposé des nordistes contre le système.
Bien huilée, elle continue à faire des victimes dans les rangs de ceux qui sont liés directement ou indirectement aux cercles du pouvoir. Les têtes à couper sont légions et dans son œuvre de ‘salubrité politique’, la machine n’est pas prête à s’arrêter en si bon chemin… Enoh Meyomesse, Marafa Hamidou Yaya, Me Harissou, Aboubakar Sidiki…A la trappe.
Le notaire Harissou est en train de l’expérimenter à ses dépens. Apres un mois de détention au secret, il vient d’être traduit devant le tribunal militaire qui a retenu contre lui, selon nos confrères du Journal ‘Le Jour’, entre autres, le crime «d’outrage au président de la République ». Le message est clair, la presse qui travaille essentiellement avec du matériau sensible, tel que l’écrit, la parole ou l’image, devrait y regarder de très près avant de se lancer dans un commentaire politique qui concernerait le chef de l’Etat. Encore que pour qu’il y ait outrage, il faut que l’infraction, adossée sur l’intention délictuelle, soit matérialisée.
Pour le cas d’espèce, notre confrère fait état de sms ou de mail, entre Me Harissou et des journalistes. Ce canal privé par excellence, aurait servi à commettre l’outrage, notion large s’il en est, comme l’atteinte aux bonnes mœurs ou les troubles à l’ordre public, dont l’interprétation est aux bons soins de celui qui l’apprécie.
S’agissant de l’outrage, on le sait, est une offense constituant une atteinte à l’honneur, à la dignité ; un affront, voire une injure. Elle est comprise comme «parole, geste, menace, écrit ou dessin, envoi d’objet, de nature à porter atteinte à la dignité ou au respect dus à un magistrat, à une personne siégeant dans une juridiction, à un dépositaire de l’autorité ou de la force publique dans l’exercice de ses fonctions, à une personne chargée d’une mission de service public, et qui constituent une infraction ».
Mais ce n’est pas la seule charge retenue contre Me Harissou, qui apparaît finalement, aux yeux de ses accusateurs, comme un pêcheur en eaux troubles, avec des actes ou intentions criminels qui lui sont imputés, faisant état d’une collusion avec des forces étrangères contre la sécurité du Cameroun. Pour dire le moins, ce nouveau venu dans l’engrenage du rouleau compresseur n’est donc pas au bout de ses peines.
Ami d’enfance
D’autres avant lui ont expérimenté cette technique raffinée de broyage judiciaire. Marafa Hamidou Yaya, son ami d’enfance, purge une peine de prison de…25 ans, pour un inédite «complicité intellectuelle » dont l’ancien ministre d’État est reconnu coupable par la Justice qui l’a condamné dans une affaire de détournement de deniers publics. Cela ne s’invente pas ! Ses affinités avec Me Harissou participent-elles de ce rouleau compresseur ?
Rien n’est moins sûr pour ce condamné reconnu comme prisonnier politique par les Etats-Unis. N’ayant pas encore épuisé ses voies de recours, Marafa Hamidou Yaya attend depuis que la Cour suprême retienne son dossier. Une attente qui risque de se prolonger avec l’arrestation de Me Harissou qu’une certaine presse présente comme étant en intelligence avec le locataire de la prison secondaire du Sed.
Le ministre d’Etat est un miraculé. Aux lendemains du coup d’État manqué du 6 avril 1984, Marafa Hamidou Yaya est arrêté et sur le point d’être conduit vers une destination d’où beaucoup ne sont pas revenus. C’est son épouse qui réussira à obtenir que son mari soit épargné. Il n’a alors que 32 ans et ne travaille que depuis quatre ans comme ingénieur à Douala, chez Elf Serepca.
Un écrivain dans l’engrenage
Avant Marafa, Enoh Meyomesse a été condamné à sept années de prison pour des faits de …trafic de minerai. Cet opposant au régime Biya, historien et écrivain, a toujours nié son implication dans ce qu’on l’accuse et crie à l’acharnement contre lui. Dans une récente interview au Messager, du fond de son cachot… Enoh Meyomesse a fait entendre sa voix d’outre monde: « Je suis victime du rouleau compresseur bulu ».
Vendredi 19 septembre, raconte-t-il a notre rédacteur en chef, «un codétenu m’interpelle dans la cour centrale : « Enoh, j’ai un message pour toi ; il ne faudrait pas en vouloir aux juges pour ce qui s’est passé hier ; ils ont reçu des pressions d’en haut ; un personnage haut placé et qui se situe dans l’entourage du président de la République a téléphoné aux juges pour leur intimer l’ordre de ne pas t’accorder cette liberté provisoire que tu as demandée ; tes compagnons ont simplement écopé à cause de toi ; en d’autres termes, ils auraient été seuls, c’est-à-dire sans toi, ils l’auraient probablement obtenue ; j’ai reçu un coup de fil la nuit me demandant de te transmettre ce message… »
C’est le 29 novembre 2011 qu’Enoh Meyomesse est arrêté par des gendarmes alors qu’il revenait de Singapour en Asie de l’Est. Il est d’abord conduit au Secrétariat d’Etat à la défense (Sed), dans les services secrets de sécurité, puis à la prison de Bertoua avant d’être transféré à Kondengui, la prison principale de Yaoundé. Enoh Meyomesse est accusé d’avoir acheté des armes et vendu de l’or à Singapour. Il purge sept ans de prison ferme.
Complicité politique
La machine à broyer l’homme sous le Renouveau a-t-elle encore de beaux jours devant elle ? Il y a environ 25 ans que le rouleau compresseur sévit. Le 12 mai 1997, Michel Thierry Atangana, citoyen français d’origine camerounaise, était arrêté à son domicile de Yaoundé. Son crime ? Avoir été considéré comme le directeur de campagne de l’ancien numéro 2 du régime qui avait eu l’outrecuidance, quelques jours plus tôt, d’annoncer sa candidature à l’élection présidentielle de 1997.
Condamné à quinze ans de prison pour détournements de fonds publics, il est de nouveau condamné à vingt-cinq ans de prison pour les mêmes faits en octobre 2012. « Victime d’une véritable machine à broyer, raconte un observateur, Michel Atangana a eu à subir des procédures qui, en chacune de leurs étapes, ont constitué un monument de violation des droits de l’homme et plus particulièrement des droits de la défense. » Atangana et son « colistier » Edzoa Titus ont finalement été graciés, grâce aux pressions de toutes sortes…17 ans après.
Verbatim: Ce que les victimes et la presse pensent
Selon Enoh Meyomesse, c’est un proche du chef de l’Etat «qui a donné naissance au fameux concept de «rouleau compresseur qui a immédiatement broyé Edzoa Titus, Engo Pierre Désiré, et bien d’autres encore, qu’elle avait identifiés comme ennemis dans la course au pouvoir ? C’est ce même «rouleau compresseur » bulu qui a liquidé, tout récemment encore, Ateba Eyene Charles, et, également, Abel Eyinga.». L’écrivain explique l’une des techniques du rouleau compresseur :« A la Cour d’appel, nous en sommes à exactement dix-huit renvois, je dis bien dix-huit, à raison d’un renvoi mensuel. Pour un dossier déjà en « l’état », selon le jargon judiciaire, à savoir déjà prêt à être jugé, c’est un peu trop. Dix-huit renvois, pas un de moins.
Pour ma part, je n’ai plus d’état d’âme. Qu’ils décident de ne pas nous juger, ou même de confirmer le jugement téléguidé du tribunal militaire, je n’en mourrai pas ». C’est le 29 novembre 2011 qu’Enoh Meyomesse est arrêté par des gendarmes alors qu’il revenait de Singapour en Asie de l’Est. Il est d’abord conduit au secrétariat d’Etat à la défense (Sed), dans les services secrets de sécurité, puis à la prison de Bertoua avant d’être transféré à Kondengui, la prison principale de Yaoundé. Enoh Meyomesse est accusé de vol aggravé et purge sept ans de prison ferme.
Les médias aussi
Au départ, « Il suffit d’un mot, d’une accusation infondée, d’un fantasme pour déclencher un véritable séisme dans la communauté et clouer un homme au pilori. Pas de preuves, pas de faits, pas d’indices. Juste une rumeur qui se propage comme un virus et transforme des braves gens en boules de haine. Une véritable arme de destruction massive ». Dieudonné Tine Pigui, ancien présentateur vedette de l’ancienne Ctv aujourd’hui Crtv explique : «à la Ctv, nous avons eu un premier directeur général, M. Florent Etoga Eily, un grand homme pour qui j’ai beaucoup de respect, qui nous a laissé les coudées franches, qui nous a demandé de faire notre métier.
Il nous a avoué qu’il n’était pas un homme de télévision, qu’il était un grand commis de l’Etat, responsable de la gestion administrative et politique de la maison. Au départ, on a cru qu’on allait y parvenir, mais subitement il s’est passé ce que vous savez. Le Cameroun est un pays des cabales, on monte des cabales contre les gens parce qu’on veut leur peau… M. Etoga a été victime d’une cabale. Quelqu’un d’autre a été nommé à sa place».
Outre-tombe
Pour souscrire au rite sacrificiel emprunté à la nuit des temps, la liste des agneaux et des loups promis à l’holocauste est loin d’être exhaustive. Feu Lambo Sandjo Pierre-Roger, plus connu sous le nom de Lapiro de Mbanga, invité quelques temps après sa sortie de prison à ‘Oslo Freedom Forum’ en Norvège, délivra un message émouvant : « C’est ainsi que Paul Biya a mis en mouvement, son arme fatale, cette arme qu’il utilise sans ménagement contre ses adversaires politiques, les leaders d’opinion et les journalistes pour les mettre hors d’état de le nuire.
Oui j’ai eu droit au déclenchement de la machine à broyer de Paul Biya, cette arme fatale et machine à broyer de celui qui se prend pour dieu made in Cameroun, n’est rien d’autre que la Justice. Messieurs et dames de la défense des droits de l’Homme; au Cameroun, le président de la République se sert de la Justice qu’il manipule à sa guise, pour condamner des innocents à la peine de prison à vie; la Justice est aux ordres du premier et super magistrat Paul Biya »
Un journal a relaté comment le rouleau compresseur a été mis en action contre l’ancien président de la Fecafoot : « la machine à broyer était lancée et, le 13 juin, Mohammed Iya est arrêté et accusé de détournement de fonds, avant d’être mis en détention provisoire à la prison centrale de Yaoundé. Au moment même où des associations locales de producteurs lui adressaient des lettres de soutien, les dirigeants de Geocoton, le deuxième plus gros actionnaire de l’entreprise, refusaient de se constituer partie civile dans ce qui apparaît clairement comme une cabale ».
Le 21 mars 2014, Le Messager titrait ! « Cameroun – Rouleau compresseur: Comment le régime Biya a broyé Catherine Abena». Dans un extrait, l’auteur du papier raconte : « Traumatisée par une arrestation à la kafkaïenne, abattue par une année de grève de la faim qui l’a longuement diminuée et meurtrie par des conditions de vie inhumaines, l’ex-secrétaire d’Etat au ministère des Enseignements secondaires a succombé des suites de maladie à l’hôpital de la Cnps de Yaoundé ».
Certaines langues, conclut le journaliste, évoquant la mésaventure de cette dame engluée malgré elle dans un procès sorti de nulle part, « n’hésitent pas à faire allusion à la proximité que la défunte, quoique étant aux affaires, a continué à entretenir avec un ex-ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République, son mentor, qui l’avait précédée à la maison d’arrêt de Kondengui».