Dérives et basses manœuvres

Tue, 12 Apr 2016 Source: cameroon-tribune.cm

A voir la fièvre qui s’est emparée des leaders de quelques partis d’opposition depuis plusieurs semaines et leurs mots d’ordre irresponsables à la population, suite aux appels à la candidature du chef de l’Etat déclenchés par le RDPC, parti au pouvoir, il n’est plus permis de douter que deux années exactement avant l’élection présidentielle, les grandes manœuvres ont bien commencé autour de cette échéance capitale. Cette anticipation du coup de gong de départ porte toutefois, pour certains coureurs, le risque d’une désarticulation avant le terme.

Comment en effet les hommes politiques vont-ils devoir meubler les deux années à venir de manière à intéresser et à marquer durablement l’électorat ? A moins qu’ils aient une stratégie autre que celle de réagir aux appels du RDPC. A moins aussi que le temps, ce paramètre stratégique, ne se rétrécisse soudain, sous l’action conjuguée du pouvoir régalien et de la nécessité, et nous mette brutalement face à… 2018.

Mais trêve de conjectures ! La réalité sous nos yeux est bien celle d’une machine politique et médiatique diablement emballée, sous la pression des appels à la candidature de Paul Biya, qui ne proviennent plus désormais du seul RDPC, mais aussi de ses alliés et, fait notable, de la société civile. Comme un ouragan, la furie des appels à candidature, parfois assortie d’un appel à une élection présidentielle anticipée, chamboule et désarçonne le monde politique.

Subitement, ce mouvement tout à fait spontané des sympathisants du prince prend des allures de baromètre de fidélité à l’intérieur du système et de galop d’essai pour les opposants, qui ambitionnent de se faire les dents sur cet événement jeté ici tel un os en pâture.

Et voici comment, ce faisant, le RDPC vient de prendre astucieusement la main sur le débat politique, en l’orientant de cette manière, et en ayant la latitude d’y mettre un terme au moment choisi, à travers la publication du choix souverain du président de la République. Et c’est logiquement dans une certaine impréparation, génératrice de bien des faux pas, que les deux acteurs majeurs du débat social que sont les médias et l’opposition politique se positionnent face à l’ouragan des appels. Que constate-t-on en effet ?

Côté médias : la dérive des intellectuels médiatiques. Malgré l’existence de nombreux partis politiques, les médias du Cameroun font toujours figure d’antichambre de la scène politique. Ils amplifient, quand ils ne les initient pas, les colères et les frustrations des leaders politiques. Ils jugent le pouvoir, sans ménagement aucun.

Ils ne se privent pas d’exprimer leurs propres opinions, non sans un soupçon de populisme. Ils entendent constituer l’arène où se joue, au moins à travers leurs nombreux talk-shows et leurs colonnes, le destin politique du pays. Ceux qui fréquentent leurs cénacles, et que nous appellerons les intellectuels médiatiques, qu’ils soient écrivains, politologues, sociologues, ou même journalistes, viennent pourtant, pour certains, de s’illustrer négativement.

En tentant de justifier l’injustifiable, à savoir que le parti au pouvoir ne serait pas dans son droit de réclamer une candidature de Paul Biya, que la Constitution n’interdit pas, ils viennent avec une certaine maladresse d’endosser, ou d’encourager, certains mots d’ordre que le public ne comprend sans doute pas, mais dans tous les cas qu’il ne suit pas.

Le « Vendredi noir », « Le Mouvement des Indignés », « Je suis debout pour le Cameroun », pour ne citer que ceux-là, sont destinés à envoyer les populations dans la rue. Ces concepts eux-mêmes sont tout droit calqués sur certains mouvements sociaux qui ont secoué l’Espagne et la France, et qui ont été abondamment relayés par les médias.

Avouons-le, ce mimétisme intégral, pour des leaders d’opinion qui connaissent bien la sociologie camerounaise, est étonnant. L’absence de réaction des populations l’est moins. Cette indifférence est la preuve de leur maturité politique, consistant en la capacité à reconnaître leurs propres intérêts.

Côté politique : pour exister, faire feu de tout bois. Le paysage politique local a ceci de cruel que sur les 300 formations politiques enregistrées, seule une petite dizaine anime la vie politique, par des meetings, congrès ; débats autour du programme politique interne, de l’actualité et de la stratégie de conquête du pouvoir ; réactions à la conduite des affaires par le gouvernement.

Ces partis politiques, à la veille des scrutins électifs, se refont généralement une petite santé. Se faire entendre, pour eux, est d’autant plus vital que dans la tradition étatique, seuls les partis politiques représentés au Parlement sont conviés aux manifestations officielles. Il n’est donc pas surprenant que face au raz de marée des appels à la candidature de Paul Biya, les « petits partis » se montrent les plus turbulents.

C’est à croire que la stratégie est désormais, pour eux, de mettre le feu à la maison. Le moindre fait divers est monté en épingle, et les plus hauts dirigeants mis en accusation sans discernement. Amalgames et manipulations ternissent ainsi l’analyse qu’ils font des problèmes réels que les Camerounais vivent au quotidien. Ainsi du drame insoutenable des femmes qui meurent en couches, parfois avec leurs bébés.

Cette situation, que les hommes et les femmes politiques semblent découvrir en 2016, est l’une des tares des systèmes de santé en Afrique subsaharienne. Y travailler méthodiquement est un devoir pour le gouvernement. Et si l’obligation de résultats est ici exigible, elle ne doit pas l’être seulement en période électorale.

Tout compte fait, dans ce contexte si particulier, les manœuvres des hommes et des femmes politiques ne desserviront qu’eux-mêmes. Aujourd’hui comme hier, ils ont un devoir de lucidité et de sincérité envers leur pays. La lucidité commande de dépeindre le Cameroun et ses évolutions sous leurs vraies couleurs, sans noircir outrageusement ce qui n’a pas lieu d’être.

Aujourd’hui, le pays est plein d’attrait pour les investisseurs et il est en chantier, du nord au sud. Ce résultat n’a pas été acquis sans effort. Et ces succès sont à mettre au crédit de Paul Biya. Certes, il y a encore, dans tous les domaines, tant à faire. Notamment dans la sphère sociale. De surcroît, la crise des matières premières et le terrorisme gangrènent le continent et ébranlent les bases de son développement.

Dans ce marasme généralisé, le Cameroun fait mieux que résister. Il s’en sort dans tous les cas mieux que d’autres. Et il a encore des projets et de l’envie à la pelle, dont la concrétisation permettra de nourrir et de soigner mieux que par le passé sa population. Le devoir de sincérité commande de l’admettre face à une population globalement bien éduquée et bien informée, qui sait faire la part des choses entre une saine colère exprimée par des patriotes, et de basses manœuvres politiciennes ourdies dans l’espoir vain de créer un soulèvement populaire.

Auteur: cameroon-tribune.cm