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'Dans cette affaire de retrait de titres fonciers, comme dans bien d’autres, il y a des victimes, et il y a des coupables'

Cette mesure vise une fois de plus à lutter contre la fraude foncière

Sam., 13 Mai 2023 Source: Roland Tsapi

Les retraits des titres fonciers devient récurent au Cameroun, avec le dernier cas qui concerne 90 titres dans le département du Nkam. Un phénomène indicateur du malaise et du niveau de corruption qui règne dans le domaine du foncier au Cameroun, d’ailleurs pointé par l’Anif comme l‘un des moyens du blanchiment d’argent.

Les faits

Le 22 mars 2023, le ministère des domaines, du cadastre et des affaires foncières du Cameroun Henry Eyébé Ayissi a procédé au retrait de 90 titres fonciers dans le département du Nkam, région du Littoral. Une décision qui s’appuie sur les dispositions combinées de l’article 15 alinéa 1 de l’Ordonnance n°74/1 du 06 juillet 1974 fixant le régime foncier, l’article 2 alinéas 3, 5 et 9 du décret n°76/165 fixant les conditions d’obtention du titre foncier modifié et complété par le décret n°2005/485 du 16 décembre 2005. Des dispositions légales existantes qui visent à protéger les droits fonciers et à garantir une gestion transparente et responsable des terres au Cameroun. Le retrait de ces titres fonciers a pour conséquence directe l’annulation de tous les droits de propriété associés à ces terrains, et les détenteurs se retrouvent ainsi privés de leurs droits sur les terrains concernés. Cette mesure vise une fois de plus à lutter contre la fraude foncière et à garantir une meilleure gestion des terres dans le département du Nkam, devenue une véritable chasse gardée des avides du foncier. Il y a 7 ans déjà, le 26 janvier 2016, le prédécesseur de Henry Eyebe Ayissi, Jacqueline Koung Abessiké à l’époque avait par courrier n°001013/L/Mindacf/Sg/D1/D14, notifié au délégué départemental du Nkam sa décision de suspendre l’attribution de titres fonciers en ces termes : «Compte tenu de la forte pression observée ces derniers temps dans l’arrondissement de Yabassi, département du Nkam, j’ai l’honneur de vous informer que, toutes les immatriculations sont provisoirement suspendues sauf sur instruction spéciale du ministre en charge des domaines.» La note semble avoir été ignorée, et la mesure de Henry Eyébé Ayissi est ainsi prise en réponse à une requête du Chef Supérieur du Canton Wouri Bwelé, et en prenant en compte les conclusions du rapport technique du Conservateur Foncier du Nkam.

Les conséquences

Il est rassurant de constater que le gouvernement, par des actes similaires, tient à mettre de l’ordre dans le domaine du foncier devenu au Cameroun un nid de corruption sans pareille, de même qu’un terreau d’arnaque et d’escroquerie de toute nature. Dans cette affaire de retrait de titres fonciers, comme dans bien d’autres, il y a des victimes, et il y a des coupables. Et l’on ne peut efficacement traiter le problème des irrégularités dans l’établissement des titres fonciers en omettant d’établir les responsabilités des uns et des autres. Les premiers responsables, qui se transforment par la suite en victimes et qui n’ont d’ailleurs à s’en prendre qu’à eux-mêmes, sont les détenteurs de ces titres. Personne d’entre elles ne peut prétendre n’avoir pas été au courant qu’il y avait quelque chose de louche dans cette affaire, elles le savaient toutes, mais évoluent dans un registre arrêté dans leurs subconscients comme la règle, à savoir que l’argent résoudra tous les problèmes, il suffit d’être prêt à en débourser à tous les niveaux, et surtout au plus haut niveau d’où peuvent être données des instructions au cas où il y aurait de la réticence au bas de l’échelle de la hiérarchie. Les exigences minimales se retrouvent ainsi ignorées, la loi mise de côté, au profit de la règle de qui paye plus. On peut au passage rappeler ici, que l’Agence nationale d’investigation financière a toujours pointé du doigt le secteur immobilier comme étant un excellent moyen de blanchiment d’argent.

Dans un processus d’assainissement, et pour s’assurer que l’exercice de retrait des titres fonciers ne devienne pas répétitif, tout ce monde devrait répondre de leurs actes avec l’ouverture d’une information judiciaire qui devrait suivre le retrait des titres fonciers. Autrement on serait en train de couper les feuilles d’un arbre, tout en laissant les racines et le tronc, qui reproduiront très vite d’autres feuilles, plus nombreuses et plus fraîches. Le mal se traite à la racine, dit le vieil adage.

Au milieu de la chaîne des responsables, se trouvent les intermédiaires, les agents immobiliers ou les démarcheurs selon le terme en vigueur dans le milieu. Ces derniers ne sont propriétaires d’aucune terre, ne disposent d’aucune somme d’argent, mais mettent de l’énergie plus que quiconque à ce que l’affaire marche, pour avoir les commissions des deux côtés. Quand l’affaire est conclue, ils s’en tirent avec des sommes d’argent dont le montant varie en fonction de l’importance de la transaction. Ces derniers rassurent tout le monde, le vendeur et l’acheteur, leur mettent la pression pour que les choses avancent vite parce qu’il y a beaucoup de clients qui veulent ce terrain, ou à l’inverse que le client peut changer d’avis, selon qu’il s’agit de convaincre l’acheteur de vite délier la bourse ou le propriétaire de vite céder. Pour ces derniers, la seule loi qui vaille, c’est celle de la célérité, il faut aller vite. Ils sont conscients que « qui fait vite fait deux fois » mais ils en ont cure, du moment où ils empochent leurs commissions. Ce qui arrive par la suite ne les concerne guerre, comme cela est confirmé dans le cas d’espèce ; ils ne sont plus là, les acquéreurs dont les titres fonciers ont été retirés iront se débrouiller seuls, sans eux.

Côté officiel ou étatique, les autres responsables de ce qui arrive sont les notaires et les tous les fonctionnaires impliqués dans la chaîne d’établissement du titre foncier. Il s’agit des membres de la commission consultative qui sont d’après les décrets mentionnés plus haut le sous-préfet ou chef de district de la circonscription administrative concernée qui est le président, le représentant du service des domaines qui fait office de secrétaire, le représentant du service du cadastre, le représentant du service de l’urbanisme si le projet est urbain, le représentant du ministère dont la compétence a un rapport avec le projet, le chef et deux notables du village, ou de la collectivité où se trouve le terrain. Dans un processus d’assainissement, et pour s’assurer que l’exercice de retrait des titres fonciers ne devienne pas répétitif, tout ce monde devrait répondre de leurs actes avec l’ouverture d’une information judiciaire qui devrait suivre le retrait des titres fonciers. Autrement on serait en train de couper les feuilles d’un arbre, tout en laissant les racines et le tronc, qui reproduiront très vite d’autres feuilles, plus nombreuses et plus fraîches. Le mal se traite à la racine, dit le vieil adage.

Roland TSAPI

Auteur: Roland Tsapi