Des cliquetis sournois dans les casernes de l’armée

Mon, 5 Oct 2015 Source: Jean-René Meva’a Amougou

Les antagonismes dans les tranchées nourrissent chaque jour la crise de confiance entre officiers et subalternes.

Lorsque des bidasses rentrés de la République Centrafricaine sont descendus dans la rue à Yaoundé le 09 septembre 2015, le haut commandement n’a donné à cet événement qu’un très bon portrait. En réclamant leur argent à bas bruits, les Casques bleus camerounais «ont surtout et bien fait de laisser parler leurs coeurs bien plus que leurs armes».

On a salué en eux le sens de la mesure et la retenue. Pas d’incendie, ni de jets de pierres, ni d’appel à l’insurrection. Pas plus que des manifestations monstres devant quelques symboles de la République (Assemblée nationale, Premier ministère et ministère de la Défense).

Ce jour-là, les images des militaires créanciers du gouvernement et/ou de l’Union africaine ont été jugées intéressantes par leur valeur symbolique.

Seulement, l’information sur cette «sortie» des anciens soldats de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca) et de laMission des Nations unies en Centrafrique (Minusca) a eu le don d’ébruiter l’opinion publique nationale et internationale. Les échos répercutés par cette marche, craignait-on dans le sérail, pouvaient constituer une contre-empreinte de l’ordre militaire au Cameroun.

Aussi n’a-t-il fallu que quelques heures à Paul Biya pour «gérer » la situation. Issa Tchiroma Bakary, le ministre de la Communication (Mincom) et porteparole du gouvernement, a, au cours d’un point de presse d’urgence, vanté, à la fois par le style et l’inspiration, l’image d’un chef des armées soucieux des problèmes des casernes.

Toutefois selon certains, cette interprétation de la situation par le Mincom a eu l’inconvénient de figer dans des considérations politiques pures un fait révélateur d’une crise de confiance entre la base et le sommet des armées camerounaises.

«Elle a faussé le sens de ce qui se passe réellement dans les rangs de la grande muette et ne rend pas compte de l’inquiétude qui règne actuellement dans l’armée avec le problème des primes non rétribuées», analyse un officier de la Marine nationale.

Erreur de casting

Sur ce qui se passe entre le sommet et la base des armées, on n’a jamais eu de version officielle.

Tout au plus, certains sous-officiers disent que «le haut-commandement n’est plus peuplé des hommes qu’il faut ; d’où la crise de confiance». A cette litanie délétère s’ajoutent un manque de synergie entre les différents cadres, la corruption ambiante, le processus inachevé de modernisation des corps (qui est selon quelques hommes, resté presque essentiellement au niveau stratégique sans véritable inclinaison au niveau opérationnel) et les déséquilibres entre «factions».

Ceci est surtout observable à la gendarmerie nationale. Jusque-là réputée pour la qualité de ses ressources humaines, des voix s’élèvent pour dénoncer l’inutilisation d’un cadre légal et statutaire de la gestion des effectifs relativement à leur conscience professionnelle et leur motivation. Là-bas, apprend-on, «tout est affairisme».

Une lettre anonyme circule d’ailleurs dans les médias avec pour fond la dénonciation des incompétences, malhonnêtetés, insincérités, corruptions, etc. Le rejet de la hiérarchie grandit et se radicalise en même temps que les hommes se considèrent comme victimes des injustices sans que les «chefs» successifs se montrent capables de s'y opposer efficacement.

«C'est de plus en plus souvent par défaut que les uns et les autres sont alternativement portés à certains postes», affirme un maréchal des logis. «Le refus d'adhésion populaire aux arguments et aux projets des responsables ne date pas d’aujourd’hui. Depuis une décennie, s'exprimant de multiples façons, la montée en puissance de mouvements récusant les pouvoirs, les officiers et leurs comportements est visible.

Pour aussi réel et justifié que soit le ras-le-bol des promesses non tenues, de l'incompétence avérée d'une partie des hommes, et de la corruption gangrenant le corps quand elle se lie à l'affairisme, il peut expliquer à lui seul la profondeur d'un tel rejet».

On est au courant

On savait plus ou moins qu’il y aurait des nominations à la tête des pelotons routiers motorisés disséminés à travers le pays. Mais le chiffrage n’ayant pas été annoncé à l’avance, la suspicion comme l’anxiété ont pu se développer dans le cabinet du Mindef. Précisément, Edgard Alain Mebe Ngo’o a réalisé que les nominations à lui soumises cristallisaient des malveillances, des haines couvées, des passions malsaines et mettaient à mal la confiance parmi les pandores.

Significativement, tous les ingrédients étaient réunis pour annuler les nominations. Cependant, après les expériences vécues ces derniers temps, les hommes de rang se sont persuadés qu'aucune alternative crédible ne pouvait leur être proposée.

Leur révolte se tourne donc contre les chefs, incapables de les protéger contre les sanctions de Paul Biya et de trouver une issue positive à leurs cris. Récemment, le climat de confiance a été mis à mal avec le problème des primes non payées pour à un certain nombre de soldats.

De manière apparemment totalement aléatoire, des soldats se sont vus oubliés lors des repas de corps. C’est du moins ce que disent des sous-officiers en service à Yaoundé. Depuis le grand lifting opéré au sein des différents corps, deux modalités de gestion de la base ont émergé: l’appropriation de tous les réseaux par quelques cadres et le népotisme. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit plus d’une gouvernance irrationnelle.

A en croire un adjudant-chef major, deux notions sont alors utilisées par les officiers supérieurs pour rendre compte du caractère exogène des procédures: discrétion et obéissance.

«Cela amplifie d'importants désordres dans les casernes. Les situations conflictuelles et les risques d'explosions s'accumulent et pèsent dangereusement sur la vie des corps», entend-on parmi les soldats en service au quartier général de Yaoundé. Faisant de tous ces responsables militaires des suppôts et des stipendiés du ministre ou de ses secrétaires d’Etat, la base voit les officiers comme empressés en toutes circonstances à servir sans états d'âme les intérêts et les projets des «maîtres».

Parce que les «appareils» –quelquefois très pesants– qui les animent ont été mis en place et fonctionnent quotidiennement à partir de matrices correspondant aux conceptions et pratiques militaires anciennes. Dans ce contexte, les subalternes sont d'autant moins disposés que la crise de confiance s'approfondit.

Défense

Au cours d’un entretien informel, un officier en service au Secrétariat d’Etat à la Défense nous confie certaines réflexions critiques: «Les jeunes qui viennent de s’engager sont souvent des jeunes qui ont été réfractaires au cadre scolaire. S’ils ont fait le choix de l’armée, c’est souvent pour suppléer à une autorité qu’ils n’ont pas connue. Au sein de l’armée, certains espèrent trouver une famille, des repères, un sens.

Pour les jeunes qui attendent trop de l’armée, qu’ils ont rêvée sur un mode fantasmatique, il est souvent difficile d’aimer un métier avant tout répétitif, rudimentaire, fait de petites tâches quotidiennes sans éclat.» Précisément, le fait que les nouvelles recrues disposent d’un laps de temps avant de signer définitivement leur permet de mesurer la portée de leur engagement.

Ceux à qui les conditions de vie, la discipline, l’autorité ne conviennent pas s’en rendent en effet rapidement compte et, déçus, ils se révoltent. «Entre l’espace de l’imaginaire et la réalité, l’écart se révèle important », analyse un sous-officier mis à la retraite depuis deux mois.

Auteur: Jean-René Meva’a Amougou