Olivier Bibou Nissack est toujours en prison
Les ablutions des malfrats
« Félicitations au gouvernement camerounais ! »
Voilà ce que j'ai pu lire çà et là, suite au communiqué de Lejeune Mbella Mbella à l'endroit de l'émissaire français des causes LGBTQ+, qui prévoyait de se rendre cette semaine au Cameroun.
Ne vous y trompez pas : ce n'est pas parce que le gouvernement a su répondre à cette visite anachronique que ça va nous faire oublier qu'ils sont eux-mêmes les principaux fossoyeurs des libertés publiques dans notre pays. La question homosexuelle est claire au Cameroun depuis des lustres, non seulement dans les textes, mais aussi dans l'espace social : avec ou sans l'aval du gouvernement, la population dans son écrasante majorité est défavorable à la banalisation de la pratique, même si elle reste tolérée dans son expression discrète (car nous ne sommes - heureusement - pas non plus des fondamentalistes assoiffés de sang).
Cela signifie que le communiqué du MinRex n'a rien d'un exploit. Il existe deux (02) choses qui pourraient conduire à la chute de Biya en seulement 24 heures : primo, l'interdiction des boissons alcooliques, secundo, la légalisation du mariage homosexuel. En d'autres termes, sur cette question, le régime jouait sa propre survie.
Il n'est donc aucune raison de le féliciter pour une chose dont l'acceptation aurait de toute manière provoqué sa fin. Ou tout au moins, ça ne le transforme pas subitement en un collège d'humanistes protecteurs de la vie et des valeurs africaines. Car nous n'oublions pas qu'en ce moment même, Olivier Bibou Nissack et des centaines d'autres personnes sont en prison pour rien, et que ceux-là mêmes qui les ont arrêtés sont toujours incapables à ce jour d'expliquer concrètement quel fut leur crime.
Ce n'est rien d'autre que de l'arbitraire politique. Technique utilisée dans toute dictature pour neutraliser ses adversaires ; ce à quoi s'ajoute une malice qui consiste à surfer sur des héroïsmes superficiels tels que cet épisode LGBTQ pour se refaire une santé auprès de l'opinion locale et passer tout à coup pour des défenseurs ardents de la cause panafricaine.
Aujourd'hui, Paul Biya s'est envolé pour l'Europe, accompagné de sa femme. Il est certainement très heureux de voir cette dernière lui caresser le front pendant le vol, la tête sur ses genoux. Mais il a oublié qu'il a privé un jeune homme du même plaisir, sans motif aucun, et ce pendant que ses ouailles, à l'instar du ministre Emmanuel Nganou Djoumessi et de Louis-Paul Motaze, continuent de se la couler douce, alors qu'ils sont responsables des morts quotidiennes sur le Golgotha routier qu'est l'axe Yaoundé-Douala, en ayant dilapidé des tonnes de fonds publics.
Ou que Laurent Esso ne nous a toujours pas expliqué pourquoi son nom apparaît comme commanditaire, dans la bouche de ceux qui ont assassiné Martinez Zogo. Olivier Bibou Nissack venait à peine de se marier et d'être parent quand sa liberté lui fut arrachée, tandis que les criminels, les vrais, continuent de narguer leurs victimes.
Le combat pour la justice est un combat de concentration et de focalisation : ce n'est pas parce que l'abeille a produit du miel qu'on va oublier qu'elle possède un dard prêt à piquer à tout moment. Ce n'est pas parce que tu as su dire à la France de garder ses modes de vie chez elle, que tu vas pour autant enfermer, torturer et assassiner les dissidents politiques chez toi. Un sort que même les homosexuels sont loin de subir dans les mêmes proportions. Si l'homosexualité, bien que présente depuis la nuit des temps, n'a jamais été une valeur africaine, l'abus de pouvoir, le musellement des opposants et les meurtres commandés en haut lieu et exécutés par les services de renseignements n'en font pas partie non plus. Le panafricanisme ne signifie pas : « Je déteste la France, et en retour, j'élimine mes concitoyens ». Au contraire, c'est de l'animalerie cynique.
Et c'est propre aux malfrats en cravate. Et vous vous étonnez de ce que les séjours de Biya en Europe soient toujours aussi tumultueux ; c'est simplement parce que certains continuent de se souvenir de ce que vous, avez déjà oublié, parce que vous avez cédé à une bière tiède ou à un communiqué par ailleurs hypocrite sur les bords (il est de notoriété publique que l'homosexualité est présente dans le cœur même de ce gouvernement, et ce au moins depuis le début du siècle).
La cohésion véritable ne reviendra que quand le sentiment d'injustice, d'abus et d'impunité chronique disparaîtra. Elle reste impossible tant que d'aucuns s'attribuent le droit de vie ou de mort sur autrui. C'est la voie royale vers le désordre, et c'est pour cela qu'il y a tant de désordre. Normalement, six (06) neurones suffisent pour en avoir conscience. Mais à quatre-vingt-dix (90) ans, combien nous en reste-t-il ?
Ekanga Ekanga Claude Wilfried