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Double nationalité : le Cameroun face à lui-même

La rencontre a finalement été annulée pour des raisons de sécurité

Mon, 10 Jul 2023 Source: Roland Tsapi

L’enthousiasme populaire suscité par le voyage de Kylian Mbappé au Cameroun, est atténué dans le fond par le code de nationalité de 1968, qui considère encore les Camerounais de la diaspora comme des étrangers sur leur sol.

Le footballeur international Kylian Mbappe a foulé le sol Camerounais du 6 au 9 juillet 2023, terre natale de son père Wilfrid Mbappé. Un voyage de quasi rock star ou chef d’Etat, au cours duquel il a été accueilli avec effervescence et a multiplié les activités : rencontre avec des politiciens, œuvres de charité, repas avec Francis Ngannou ou encore partie de basketball avec Joakim Noah. Il a surtout discuté avec le Premier ministre camerounais Joseph Dion Nguté de la création d’un grand complexe sportif à Obala, en banlieue de Yaoundé, tout en promettant un engagement appuyé de sa fondation dans des projets humanitaires.

De Yaoundé à Jébalé le village de son père en passant par Douala, le footballeur n’a pas pu passer incognito au vu du dispositif de sécurité réservé. Lors de sa dernière étape, il a même reçu la bénédiction des ancêtres à travers un rituel traditionnel, signe d’ennoblissement. Seul bémol, un raté dans son programme, l’annulation du match amical prévu contre Vent d’Etoudi, équipe de deuxième division dont le président est Yannick Noah.

La rencontre a finalement été annulée pour des raisons de sécurité, ce qui n’a pas manqué de provoquer la déception, voire la colère des joueurs de l’équipe camerounaise. Ces derniers caressaient le rêve ne serait-ce que de se retrouver sur la même pelouse avec la star mais ont dû revoir leurs ambitions à la baisse, et même jusque-là! Les joueurs de l’équipe qui ont tenté de se présenter devant l’hôtel où logeait Mbappé pour obtenir au moins un échange et quelques photos, ont attendu des heures en vain, bloqués par la sécurité de l’enceinte…le voyage achevé, Kylian Mbappé sur Instagram, a tenu à remercier les fidèles camerounais pour leur formidable accueil. «J’ai profité de chaque instant. À bientôt j’espère», dit-il, à des fans qui n’ont pas boudé le plaisir.

Fierté

Kylian Mbappé n’a pas été reçu au Cameroun comme un étranger, au contraire. Il a été considéré, au sein de la classe politique ou ailleurs, comme l’enfant prodigue qui revient à la maison. Et même la presse française, qui s’obstinait à l’appeler le Bondynais, du nom de la petite commune française à l’Est de Paris où est né Kylian, l’a relevé comme malgré elle. Un habitant de Yaoundé s’est enthousiasmé au micro d’euronews : « C’est une fierté en tant que Camerounais car c’est un Camerounais d’origine, mais c’est aussi un honneur de pouvoir voir le meilleur joueur du monde ».

Dans l’opinion poussée par l’euphorie et la fierté, la question ne se posait même pas, sur la nationalité du joueur, il est camerounais. Tout le monde sait pourtant que Kylian Mbappé évolue depuis 7 ans au sein des sélections nationales françaises. Il a intégré les moins de 19 ans dès 2016, et sans passer par l’équipe de France espoirs, il est convoqué à l’équipe de France par Didier Deschamps le 16 mars 2017. Une convocation synonyme de nationalité française pour le joueur, malgré ses origines camerounaises. Tout le monde sait également qu’il existe encore au Cameroun une loi dite code de nationalité, qui interdit à tout citoyen au monde d’avoir une autre nationalité à côté de la camerounaise.

« Perd la nationalité camerounaise, le Camerounais majeur qui acquiert ou conserve volontairement une nationalité étrangère», dit l’article 31 de cette loi qui date de 55 ans, édictée en 1968 pour nuire aux Camerounais de l’étranger qui contestaient le pouvoir de Yaoundé. Cette loi devenue obsolète subsiste, malgré les dénonciations, et empêche juridiquement Kylina Mbappé comme tout autre camerounais ayant une autre nationalité d’avoir un passeport camerounais. Conséquence frustrante, Kylian Mbappé a eu besoin d’un visa pour arriver au Cameroun, pour aller à Jebalè, chez lui, là où il y a ses racines. Face à une photo où apparaissent Kylian MBAPPE, Francis NGANOU et Joachim Noah, le président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun Maurice Kamto a eu cette réaction :

« voilà le Cameroun dont je rêve et qui est celui qui nous permettra d’escalader toutes les montagnes. Pourquoi des êtres malfaisants et diaboliques veulent-ils séparer ces enfants qui font notre fierté et montrent la voie, la seule voie de notre avenir en tant que NATION ? En regardant cette belle photo, je reste plus que jamais confiant que le meilleur est à venir pour ce pays béni. A l’ère de la multinationalité vulgarisée, ces champions restent des étrangers sur la terre de leurs ancêtres, cependant que des individus sans faits d’armes avérés jonglent avec différentes nationalités dont ils tirent tous les avantages en prétendant être des Camerounais malgré la loi de 1968 qui interdit la plurinationalité. Le temps n’est plus très loin où l’on mettra bon ordre dans tout cela. »

En tout état de cause, en matière de nationalité camerounaise, ce que la loi s’obstine à conserver, la nature repousse, comme il est souvent dit, « chassez le naturel, il revient au galop. »

Au-delà de tout autre aspect, la visite de Kylian Mbappé a replacé le Cameroun devant le miroir de ses propres lois, avec en premier celle de la double nationalité. Sa simple présence a une fois de plus brisé tous les codes. Le code de la nationalité de 1968 et le code du tribalisme qui revient en surface depuis quelques années. Les dirigeants camerounais ont beau s’obstiner à conserver ces lois néfastes, la nature les rejette sans cesse. L’enthousiasme des populations n’est pas trompeur : ces dernières ont reçu au Cameroun non pas le Français du Paris Saint Germain, mais le Camerounais qui brille sur le toit du monde, leur fils. Celui qui, comme nombre d’autres compatriotes, est victime de ce que Wilfried Ekanga appelle l’injustice administrative :

« l’heure viendra donc où les enfants du Cameroun seront tous reconnus comme Camerounais, sans que cela ne soit conditionné par l’égocentrisme d’une caste de faussaires en cravate. En attendant, vous avez toujours le choix entre réclamer la double nationalité comme des citoyens éveillés et conscients de leurs droits, ou bien continuer de « ne pas faire la politique », en estimant que ce qui est arrivé aux autres ne vous arrivera pas. De toute façon, l’injustice administrative, c’est comme l’axe Yaoundé-Douala (qui ne tue que les opposants et épargne les patriotes… Ou bien ?). » En tout état de cause, en matière de nationalité camerounaise, ce que la loi s’obstine à conserver, la nature repousse, comme il est souvent dit, « chassez le naturel, il revient au galop. »

Auteur: Roland Tsapi