'Les actes du Chef de l’État, sont emprunts du sceau de la souveraineté, on ne les critique pas'
« Les actes du Chef de l’État, sont emprunts du sceau de la souveraineté, on ne les critique pas, on ne les commente pas négativement. Soyez un chef discipliné si non, je vous enlève ». Ces propos sont d’un administrateur civil de la Région du Sud le 14 mai 2020, s’adressant au chef traditionnel du village Minkan qui a ouvertement exprimé son opinion sur un don du chef de l’Etat. Quelques jours après, dans une vidéo qu’il s’était lui-même faite, on voyait le même administrateur civil exhibant les attributs du pouvoir, une pipe et une canne qui lui auraient été remises dans un village pour mieux accomplir sa mission, et laquelle ? Il disait je cite : « cette pipe qui dégage la fumée du pouvoir, cette fumée qui me permet de soumettre toutes les peuplades de mon territoire de commandement. Ainsi que cette canne, symbole de pouvoir traditionnel dans la tribu Ekang Beti, je l’assimile à la canne que le seigneur avait remise à Moïse lorsqu’il conduisait son peuple vers la terre promise. » Tout est dit dans ces propos, qui illustrent bien le comportement que certaines autorités administratives continuent d’adopter vis-à-vis des administrés au Cameroun. Nous sommes pourtant en 2020, 60 ans après les indépendances.
Nostalgie du colon
A l’époque coloniale, les administrateurs envoyés de la métropole arrivaient au Cameroun avec une idée bien arrêtée, civiliser les peuples qui pour eux n’étaient rien d’autre que des sauvages, sans intelligence, vivant dans la misère et la pauvreté, incapables, des aliénés, des paysans mal dégrossis, peu rétribués et dépourvus de toute formation professionnelle. Avec ces peuples là l’administrateur ne discutait pas, il donnait des instructions qui devaient être respectées à la règle. Et si les instructions ou ordres étaient négligés, la conséquence immédiate était l’humiliation en public par une bastonnade, suivi de l’emprisonnement avec les traitements inhumains qui allaient avec. La mission du colon était de soumettre un peuple, faire des habitants des colonies des subordonnés, réduits à l’obéissance servile, sans droit à la réflexion ni à l’opinion. Ils devaient répondre « yes massa » et s’exécuter.
Mais ces pratiques ont fait l’objet des luttes violentes et non violentes. Les partis politiques comme l’Union des populations du Cameroun ont mené des combats politique, diplomatique et militaire, les leaders y ont laissé leurs peaux, éliminés un à un par assassinat dans la brousse comme ce fut le cas de Um Nyobé et autres, pendaison et fusillade en ville, ou par empoisonnement dans les prisons ou en métropole. Sur d’autres fronts, d’autres compatriotes ont utilisé l’écriture comme arme, à l’exemple d’Alexandre Biyidi, ils ont été contraints à l’exil. Tous ces combats, c’était pour sortir le Camerounais de la servilité dans laquelle le colon l’avait réduit, c’était pour restituer un minimum d’humanité à ces populations qui avaient été dépouillées de toute dignité, de toute richesse et de toute culture, car même leurs noms devaient être changés en ce que le colon appelait « nom de baptême. »
Duplication
Les colons sont partis, mais certains administrateurs, hélas travaillent encore aujourd’hui à reproduire le système de l’époque, à être simplement les doublons du colon. Ils continuent à regarder les populations de haut, à se croire au-dessus des hommes qui leur ont été confiés pour garantir leur bien-être. Ceux-là oublient que les choses ont bien changé aujourd’hui, le contexte n’est plus le même. Le colon se prévalait d’abord d’un atout naturel qui était sa peau pour se croire supérieur au Camerounais. Aucun administrateur camerounais ne peut se prévaloir de ce privilège, nous avons tous la peau noire. Le colon se disait aussi instruit, connaissant lire dans les livres. Aujourd’hui l’administrateur n’est pas le plus instruit de son territoire de commandement, qu’est ce qui peut donc le pousser à croire qu’il a un bâton de commandement ou une pipe qui dégage la fumée avec laquelle il va soumettre les peuples ? Et les soumettre à quoi en réalité ?
Il est vrai que le rituel de leur prise de fonction, avec la fameuse formule « prenez le commandement », les prédispose mentalement à se comporter comme des commandants. Mais si cela peut s’appliquer dans les corps d’armée qui ont des objectifs et des missions différentes, obéissant aux mêmes règles et normes édictées dans les écoles de formation, il n’en est pas de même quand il s’agit d’une population qui est composite, d’origine et de formation différentes. Au 21eme siècle on n’est plus à l’ère du commandement d’un peuple, mais à l’aire du management d’un peuple. Encore que les lois aient également évolué depuis le temps. « Tous les hommes sont égaux en droits et en devoirs. L’Etat assure à tous les citoyens les conditions nécessaires à leur développement », dit le premier point du préambule de la Constitution camerounaise.
Ancienne époque
Elle est révolue l’époque où l’administrateur décidait sur un coup de tête de destituer un chef traditionnel, pas qu’il ne peut pas le faire, mais il existe désormais une procédure à suivre pour y arriver. Elle est aussi révolue l’époque où un administrateur demandait à volonté à un élément de la force de l’ordre d’interpeller tel individu et de le garder en cellule jusqu’à ce qu’il vienne. Ses fonctions l’autorisent à ordonner des gardes à vue, mais la loi l’encadre aussi. Paul Biya ne cesse de rappeler que le Cameroun est un pays de droit, et dans un pays de droit, les populations devraient se sentir protégées par les autorités, et non pas menacées, car c’est ce dernier sentiment qui a fait dire à Anatole France que l’« Administration est un mot femelle qui commence comme admiration et finit comme frustration.»