Après une période plus ou moins normale, les coupures intempestives du courant électrique sont de retour.
Comme en 2002, 2003 et 2004, elles rendent insupportable la vie quotidienne dans les ménages et les administrations, en perturbant le fonctionnement des industries, des usines, des hôpitaux, des ateliers de couture, de coiffure, de soudure, de menuiserie, des poissonneries, sans oublier les dégâts matériels. Bref, l’activité économique en prend un coup sérieux.
Ce qui peut faire perdre au pays de précieux points de croissance dont il a pourtant grand besoin pour créer plus d’emplois, réduire la pauvreté et élever le niveau de vie des populations. Dans un tel environnement, point de possibilité de développement véritable, point d’industrialisation, point de transformation locale de nos abondantes matières premières agricoles et minérales pour mettre sur le marché mondial des produits aux prix compétitifs par rapport à ceux des nombreux concurrents.
Comme il y a une dizaine d’années, les causes des perturbations actuelles sur le réseau électrique sont à quelques nuances près les mêmes. Il y a d’abord l’insuffisance de l’offre par rapport à la demande qui ne cesse de croître. Selon le directeur général d’Eneo Cameroon SA, Joël Nana Kontchou, la croissance de la demande se situe entre 5 et 7% en moyenne l’an.
De 2014 à 2015, l’augmentation en puissance était de l’ordre de 50 MW. La production est quant à elle, déficitaire à cause d’une « baisse drastique des débits d’eau enregistrés dans le bassin versant intermédiaire de la Sanaga, en amont des barrages hydro-électriques d’Edéa et de Songloulou », en cette période d’étiage. Face à cette situation critique, ces barrages hydro-électriques sont dans l’impossibilité de garantir un niveau de puissance pouvant satisfaire la demande actuelle en électricité. Le patron d’Eneo Cameroon a d’ailleurs révélé le 5 juin dernier à Yaoundé que les perturbations de ces derniers jours sont principalement dues à une baisse de la production hydraulique de l’ordre de 150 MW.
Un déficit de nature à générer des coupures de courant pour une profondeur allant jusqu’à 100 MW, notamment aux heures de pointe, apprend-on sur le site web du concessionnaire. D’après les meilleures prévisions de spécialistes, il faudra entre deux à trois semaines pour voir le débit naturel du fleuve Sanaga retrouver son cours normal et alimenter les barrages situés en aval. Autre cause importante des coupures du courant électrique, la vétusté du réseau de transport et de distribution. A ce sujet, les faits et les chiffres disponibles sont édifiants. En effet, lors de l’inauguration de la Centrale à gaz de Bassa-Logbaba, le 28 avril dernier, le patron d’Eneo Cameroon a déclaré qu’ « il apparaît aujourd’hui que le problème des poteaux bois défectueux et la surcharge de nos équipements de distribution, représentent la source principale des perturbations et coupures enregistrées. Près de 50% à ce jour ».
Avant d’ajouter que sur « un parc de plus d’un million, il y a un taux de défectuosité touchant plus de la moitié ». Bien plus, « 40% des ouvrages de distribution et des lignes sont surchargés, et plus de 600 transformateurs de distribution sont perdus par an » pour diverses raisons, dont « la fraude et le vandalisme ».
La question qui vient à présent à l’esprit est de savoir qui est responsable de tout ça ? En réalité, les responsabilités sont partagées entre l’Etat et ses partenaires privés. On peut faire grief à l’Etat de n’avoir pas su anticiper pendant des décennies, en investissant longtemps à l’avance pour pouvoir satisfaire le moment venu une demande en hausse. Le 15 juin 2012, en posant la première pierre de l’aménagement hydro-électrique de Memve’ele, le président Paul Biya a été clair en déclarant qu’« au cours des dernières années… j’ai aussi souvent déploré que les projets de cet ordre que nous avions étudiés et mis au point n’aient pu voir le jour.
J’en ai mesuré les conséquences ». C’est dire que si la mise en œuvre de vieux projets matures n’avait pas été différée, à l’instar du barrage-réservoir de Lom-Pangar dont la construction est seulement en cours, on n’en serait pas là.
Car Lom-Pangar, avec ses six milliards de mètres cubes d’eau, pourra réguler le débit du bassin versant de la Sanaga, surtout en saison sèche, pour une production d’électricité accrue à Songloulou et Edéa. Du côté du partenaire stratégique, notamment de l’Américain Aes Corporation qui a revendu ses parts dans Aes-Sonel à Eneo Cameroon du groupe Actis, les engagements pris n’ont pas été tous tenus.
Car le problème de la défectuosité des poteaux tout comme celui de la surcharge des transformateurs se posait déjà en juillet 2001 au moment de la mise en concession de l’opérateur public Sonel. On en reparle comme si c’était nouveau. Les fonctionnaires chargés de s’assurer du respect du cahier de charges par Aes ont quelque part fait preuve de laxisme.
Récemment, le Conseil d’administration de Eneo Cameroon a approuvé pour 2015 un budget d’investissements de 37,5 milliards de F, dont 20,5 milliards consacrés au renouvellement et à la modernisation des ouvrages de distribution d’énergie.
Espérons que les chantiers d’extension et de renforcement des lignes « moyenne tension » en cours vont produire rapidement les résultats escomptés et atténuer les délestages.