Enseignements: dans les coulisses du monnayage des places

30318 XCorruption Cam020212300.pagespeed.ic.rE85wx84sd Photo d'archives utilisée à titre d'illustration

Wed, 31 Aug 2016 Source: Flore Edimo Et S.M.

A six jours de la rentrée scolaire 2016-2017, les différents établissements scolaires sont le lit de la corruption et de toutes sortes de trafics.

C’est la période de « vache maigre » chez la plupart des chefs d?établissements. Même en l’absence des nominations, chaque parent se bat pour avoir une place dans collège ou un lycée d’enseignement général en particulier. Entre la forte demande et l’insuffisance des places, chacun utilise ses artifices pour s’assurer une place. Fadila vient de déposer son dossier dans un établissement public à Yaoundé.

« Ma maman a rencontré  un censeur qui a reçu 50000 F. Cfa pour moi qui va en seconde « C » et 100.000 F.Cfa pour mon cadet qui va en sixième », a-t-elle déclaré hier matin. Elle confirme ainsi la thèse selon laquelle les prix diffèrent en fonction des classes. Plusieurs responsables d’établissements scolaires arnaquent à ciel ouvert de nombreux parents. D’autres chefs d?établissements usent des astuces multiformes pour se protéger.

Un ancien enseignant du lycée de Mballa II à Yaoundé explique que « plusieurs proviseurs s’empêchent de recevoir les parents à ce moment. Ils viennent travailler aux heures tardives et cachent même leurs véhicules. Le flou artistique, c’est qu’ils mettent en place un homme de confiance qui fait le travail. Dans ce lycée, il y a un censeur appelé « vice-proviseur » par tous les enseignants qui fait le travail ». Le monnayage des places bat donc son plein dans les établissements ; l’heure est aux inscriptions des élèves dans les lycées, les collèges, les écoles primaires et maternelles.

Dans les établissements secondaires publics en particulier, c’est l’occasion privilégiée pour les responsables d’établissements de se « sucrer ». Ils s’adonnent sans vergogne au monnayage des places. Obtenir une place dans un lycée n’est pas une sinécure !

100 000 F.Cfa pour l’entrée en 6eme

Un censeur au lycée de Nkol Eton confesse que le problème est complexe. « L’établissement est bilingue. Vous imaginez lors de l’épreuve orale « interview » pour l’entrée en sixième (form one), nous avions besoin de 100 candidats mais 500 candidats se sont présentés. Que faire pour les départager déjà ? Le proviseur a presque respecté le nombre arrêté. Mais dites moi franchement, il faut bien que les autres trouvent une place dans un lycée bilingue ou lycée tout simplement ».

D’après un enseignant de mathématiques  en service au lycée de Deido à Douala, une équipe sous la houlette du chef d’établissement s’occupe des recrutements des nouveaux candidats. Toutefois, poursuit-il, « le principe est connu partout au Cameroun et diffère tout simplement en fonction des zones urbaines ou rurales. A Douala comme à Yaoundé d’après mes informations et des cas de famille, « pour inscrire un enfant dans un lycée, il faut toujours garder une enveloppe au proviseur, même si ton enfant est l’élève le plus intelligent du monde ».

Selon des informations puisées à bonne source, les proviseurs disposent d’un vaste procédé de rançonnement des places dans leurs établissements. Merlin Belinga, un enseignant proche d’un proviseur affirme que « Certains chefs d?établissements travaillent en complicité avec des personnes le plus souvent extérieures au corps enseignant et administratif » Ce sont des « démarcheurs ». Les parents en quête de place dans les lycées déboursent très souvent 100 000 F.Cfa pour l’entrée en 6eme, 50 000 à 80 000 pour les autres classes. Par contre, si l’enfant a été exclu de l’établissement, le prix est tout simplement doublé ou multiplié par trois.

Des tractations diverses au coeur d’un business sans garantie. Le parent doit avoir confiance au démarcheur et attendre. Il ne doit surtout pas demander un reçu. Même la Commission nationale anti-corruption (Conac) qui se déploie souvent pendant la période de la rentrée scolaire pour lancer la campagne ''Rentrée scolaire sans corruption'' aurait du pain sur la planche comme on dit. Bien de fois, ce sont les membres de la famille du proviseur qui font le travail. Ce dernier ne doit pas être éclaboussé.

En rappel, l'infraction des responsables d’écoles est commise dans le but de se procurer ou de procurer à autrui un avantage quelconque. L’article 134 du nouveau code pénal qui traite des avantages illégitimes et de la corruption active stipule que « Est puni d’un emprisonnement de cinq ans (O5) à dix ans (10) et d’une amende de deux cent mille (200 000) à deux millions (2000 000) de francs, tout fonctionnaire ou agent public national, étranger ou international qui, pour luimême ou pour un tiers, sollicite, agrée ou reçoit des offres, promesses, dons ou présents pour faire, s’abstenir de faire ou ajourner un acte de sa fonction. »

A l’Ouest aussi

Depuis le lundi 15 août 2016, les établissements scolaires qui respectent les prescriptions du Ministre des Enseignements secondaires ont débuté avec le processus des inscriptions. De manière presquesystématique en zone rurale, personne ne s’est précipité pour la cause, malgré la présence dans les établissements des personnels affectés à la permanence et des agents financiers. Ici, la quête des places n’est pas une nécessité.

Les classes sont plus ou moins vides et les enseignants considèrent la demande d’inscription des nouveaux élèves comme du pain béni. Par  contre, en ville, on a observé une forte affluence. Dans les lycées de Bafoussam hier, les intendants et d’autres personnes désignées pour les assister dans la collecte des frais d’inscription ont reçu de nombreux élèves ainsi que des parents.

Ce sont les anciens. Ceux qui cherchent une place n’ont généralement pas eu d’interlocuteur. Au lycée bilingue de Bafoussam, au lycée bilingue de Gouache tout comme au lycée technique de Bafoussam-Banengo et dans les autres institutions du même niveau, l’usager se heurte à des affiches qui donnent les orientations à suivre. Les montants des frais exigibles pour l’inscription des anciens élèves, la procédure du dépôt des dossiers pour les postulants et surtout, des affiches qui, en gros caractères, rappellent que le proviseur ne recrute pas.

En attendant que la « commission permanente », instance statutairement prévue pour recruter siège au cours de cette semaine, on peut observer que la plupart des établissements urbains affirment ne pas avoir de places dans les classes de 3ème et 2nde C. Or il va falloir gérer les nombreux lauréats du brevet de fin d’études du premier cycle (Bepc) qui n’avaient pas eu la moyenne requise pour aller en classe supérieure. Des établissements de 3000 places disent totaliser moins de 100 places disponibles pour le recrutement. Mais ici et là, on est prudent.

Les plus diserts affirment que le proviseur n’étant pas sûr de rester en poste après le « tsunami » annoncé, ne veut pas prendre des risques. Pourtant, des conciliabules laissent penser que certains « cas » sont traités par des collaborateurs réputés. Et l’on se demande bien ce qui arrivera aux recommandations de diverses autorités qui n’ont pas cessé, malgré le nouveau contexte.

Par le passé, tout ce qui compte dans le landernau politico-administratif des diverses localités envoyait des « listes » aux proviseurs. Le gouverneur et ses collaborateurs, les preféts, les sous-préfets, les chefs de villages, les magistrats, les responsables des forces de maintien de l’ordre, les maires, les présidents d’Apee... et les responsables à divers niveaux du Rdpc faisaient des listes qui devaient être traitées avec le maximum d’égards. Sinon ?

« Il n’est pas normal qu’après qu’on s’est battu pour obtenir la création et l’ouverture de notre établissement, qu’on envoie quelqu’un pour venir nous empêcher d’en jouir. Surtout que c’est nous qui payons tout làdedans », se défend un homme politique de la Mifi. Bon prétexte pour les chefs d?établissements pour bourrer les classes. La réunion sectorielle de rentrée est programmée ce jour, 30 août 2016, dans la région de l’Ouest.

Ce sera l’occasion pour les chefs d?établissements, dont certains sont atteints par la limite d’âge de départ à la retraite depuis plusieurs mois et attendent de passer la main, de savoir s’ils doivent avoir le coeur à l’ouvrage ou simplement abandonner. Dans l’attente des mutations à la tête des établissements secondaires, la rumeur a tué le proviseur du lycée bilingue de Bafoussam. Durant ce week-end, de faux compatisseurs ont savamment distillé l’information selon laquelle Michel Ngueti était décédé. Malade à la fin de l’année scolaire 2014/2015, l’intéressé avait suivi des soins médicaux en Inde, qui l’ont éloigné du pavillon des urgences.

Sans qu’on sache quelles relations particulières cet enseignant plutôt réservé a avec de nombreux parents qu’il deçoit au quotidien, à la veille de la rentrée, une polémique est née sur les recrutements à faire dans cet établissement. Hier, 29 août 2016 et jour de rentrée du personnel administratif, le proviseur était à son poste. Aux consolateurs accourus, il s’est montré stoïque, capable de surmonter les « on dit ».

Docteur en philosophie, Michel Ngueti est à la tête de cet établissement depuis plus d’une décennie. Sa rigueur et un management différent ont fait de son établissement la référence pour sa hiérarchie, qui l’a régulièrement présenté au cours des réunions sectorielles comme un exemple à suivre.

Au-delà des bons résultats, la taille et sans doute le nombre de places à vendre ont toujours fait de cet établissement situé en plein coeur du quartier administratif un sujet d’attraction et de querelles politiciennes.

« Charbonnier doit être maître chez soi », pensent de nombreux enseignants originaires de Bafoussam, qui supportent mal la présence de cet originaire de la Menoua dans leur fief. Et depuis qu’Ernest Ngalle Bibehe avait dénoncé le « titre foncier » de certains proviseurs à la tête des établissements qu’ils gèrent encore, le poste est à prendre.

Auteur: Flore Edimo Et S.M.