En l’espace de quelques jours, des messages portés signés de responsables de la police et de la gendarmerie, se sont retrouvés en consultation libre sur les réseaux sociaux. L’objet de ces messages, largement partagés et commentés autant sur ces réseaux que dans la presse classique, a trait à l’interdiction de sortie du territoire national d’un certain nombre de gestionnaires de fonds publics, en poste ou en retrait.
S’il est admis que la mise en circulation de ces documents administratifs viole la présomption d’innocence, principe de droit selon lequel un individu, même suspecté d’avoir commis une infraction, est considéré comme innocent avant d’avoir été jugé par un tribunal. S’il est constant que les personnes qui les balancent sur les réseaux sociaux s’exposent à des poursuites pour violation du secret professionnel ou pour recel de documents administratifs, le silence des autorités de la gendarmerie nationale et de la police étonne et détonne.
D’ici, nous ne pouvons certes pas jurer que rien n’est fait en interne pour traquer les auteurs de telles pratiques répréhensibles, mais il est loisible de constater qu’aucun communiqué venant des administrations émettrices des messages portés querellés n’a été commis depuis que le phénomène gagne en ampleur. Une telle mise en garde, sans avoir vocation à être une solution miracle, servirait à prendre l’opinion à témoin face à ce qui constitue, au vu du droit positif camerounais, une dérive.
Mais il serait étriqué de procéder à l’analyse des fuites d’informations en rapport avec l’opération Epervier uniquement sous le prisme du droit. Il convient de les éplucher également sous l’angle sociopolitique. Qu’on se souvienne : avant l’avènement et l’essor des réseaux sociaux, certains journaux s’étaient distingués par leur goût immodéré à publier les noms des cibles des arrestations prochaines sur la base de documents peu ou prou authentiques.
Souvent les lecteurs naïfs se demandaient qui faisaient fuiter ces autorisations d’interpellation de tel ou tel ou alors les rapports accablants visant certaines personnalités. Des publications en sont même arrivées à décrire, avant coup, le film de l’arrestation de tel ou tel ministre ou directeur général…
Cela amène nécessairement à penser qu’il y a derrière tout cela une organisation qui a pour objectif de forcer la décision suprême, de la décourager ou encore de lancer un ballon d’essai. Dans le premier cas, il s’agirait, dans la configuration alléguée de la bataille des « réseaux », pour un clan de faire tomber les piliers d’un autre. Sans qu’on ne sache jusqu’où cette information est vraie, il se dit que la plupart des personnalités livrées ces derniers temps à la vindicte populaire appartiennent au « réseau » d’un baron mis en réserve de la République. Dans la deuxième hypothèse, ayant saisi le code Biya, qui adore le contre-pied et l’effet de surprise, les personnalités dans le collimateur du redoutable rapace, organiseraient elles-mêmes les fuites pour dissuader toute poursuite. Accessoirement, cela les aiderait à se «victimiser».
Enfin, dans le troisième cas, c’est le pouvoir lui-même qui mettrait l’information dehors, question de sonder l’opinion, avant de passer à l’acte. Ça pourrait également, venant toujours du pouvoir, constituer un levier de diversion ou de captation de la sympathie du peuple, qui réclame encore et encore des têtes, malgré le mièvre bilan de l’opération Epervier, tant du point de vue du recouvrement de l’argent détourné, de la saisie des biens, fruits des détournements, et, plus fondamental, du changement du rapport des fonctionnaires et autres agents à la fortune publique.
Au final, on aurait sans doute évité ce vaudeville si l’article 66 de la constitution sur la déclaration des biens était appliqué. Hélas, 22 ans après, on n’en prend manifestement pas le chemin !