En mai 2021, l'économiste et analyste politique Dieudonné Essomba avait prévenu le chef de l'Etat camerounais sur l'escalade de la crise anglophone tout en invitant le régime à revoir son approche de résolution de la crise. Ce jeudi 09 juin 2022, il attire à nouveau l'attention du chef de l'Etat et de ses proches qui dirigent le pays.
---
"J’ai lu quelque part, chez le Grand Maître de l’Etat westphalien, comment le président Paul Biya peut consolider sa victoire structurelle sur le hooliganisme Ambazonien.
Un tel discours est doublement dangereux. Tout d‘abord, il laisse croire que le Gouvernement du Cameroun a vaincu la Sécession, qu’il n’y a plus à s’en inquiéter outre mesure, que toutes les initiatives relatives à un quelconque Dialogue n’ont plus aucun sens et que les Anglophones seraient revenus sagement à l’Etat unitaire.
Ce qui n’est pas vrai, bien au contraire ! On comprend bien que les gens qui ont poussé le Gouvernement à cette approche violente se mettent à chanter une illusoire victoire, pour se donner du change et masquer leur responsabilité dans cette affaire. Mais comment parler d’une victoire, dans un environnement où chaque jour, des attentats sanglants sont commis contre les forces de défense ? Non loin que la semaine dernière, 4 militaires sont tombés dans une attaque d’une gendarmerie à Galim par les séparatistes. Les Villes Mortes continuent, les enlèvements, etc. Même les grandes villes comme Bamenda et Buea ne sont pas totalement sécurisées.
La crise anglophone a poussé les Camerounais à un tel niveau d’accoutumance qu’ils ne s’étonnent plus de rien. Il y a 5 ans, personne n’aurait cru qu’on pouvait abattre un militaire sans susciter la stupéfaction. Maintenant, c’est devenu banal, comme dans un ordre normal des choses. Mais cette accoutumance ne peut être un argument pour croire que rien ne se passe. Le sang coule à flots au NOSO, et la paix n’est pas pour demain. Bien plus, la crise anglophone saigne la Trésorerie Publique à blanc, et l’Etat n’arrive plus à dégager les moyens pour réaliser son programme d’Emergence. La dette explose, les investissements sont arrêtés.
Mais plus fondamentalement, c’est mal comprendre le phénomène de la Sécession et les dynamiques qui la traversent. Tout d’abord, une Sécession se présente comme une guerre de libération, et en tant que telle, elle en porte la profondeur et la haine. Les rebelles estiment, à tort ou à raison, qu’ils sont soumis à une force coloniale qu’ils doivent déloger.
C’est donc un mouvement extrêmement profond, inscrit dans les âmes et qui ne peut pas disparaitre avec la génération qui l’a créée. Ce n’est pas une simple rébellion dans laquelle les rebelles peuvent s’estimer vaincus, mais un mouvement de désobéissance civile qui traverse les générations et accumule la haine et el désir de vengeance.
Ce qu’un Gouvernement doit donc éviter absolument, c’est un mouvement de Sécession, car, quand il s’installe, il faut compter au minimum deux générations avant d’en espérer l’étiolement. L’analyse des exemples de Sécession en Afrique et dans le monde montre que celle-ci connaît 3 principales phases:
1. LA PHASE SPONTANEE: elle se caractérise par un grand enthousiasme et la croyance naïve à une prochaine victoire. Elle est toujours menée par des chefs de guerre généralement sans formation, qui n’ont pas toujours la claire conscience de la puissance de l’Etat, pose des actes gratuits et spectaculaire, et mettent plus l’accent sur l’image de leur caractère redoutable que sur les dommages réels causés à l’ennemi. En général, cette phase se caractérise par une série d’attaques violentes et sanglantes, nourries de répression tout autant sanglante de l’Etat.
2. LA PHASE ENDEMIQUE: la phase spontanée ne dure que quelques années au cours desquelles sont éliminés les éléments les plus enthousiastes. On rentre alors dans une phase dite « endémique » qui dure très longtemps : la Sécession a perdu ses illusions sur une victoire militaire rapide et s’installe dans une lutte de long terme visant à essouffler l’Etat. Cette phase est gérée par un personnel plus formée, qui a une vision plus lucide de la situation, place son action dans une perspective stratégique et de long terme. Ils mettent l’accent sur des solutions alternatives comme la diplomatie. Mais elle continue à poser des actions sporadiques, moins nombreuses, mais qui ont un impact plus profond sur l’ennemi.
3. LA PHASE DE RUPTURE: ici, nous avons 2 possibilités :
La sécession s’anémie progressivement, faute d’être alimentée, soit parce que le Gouvernement a pu négocier une solution satisfaisante qui réduit son attractivité dans la population concernée, soit parce que la Sécession elle-même porte sur une population trop faible pour mener des actions réellement préjudiciables pour le pays.
La Sécession, loin de s’anémier, a porté des actions extrêmement dures à l’Etat pendant la seconde phase. Les dépenses de défense ont gonflé démesurément, rendant tout développement impossible. Tout l’argent du budget ne fait rien d’autre qu’alimenter une guerre que le Gouvernement ne peut pas gagner. Par exemple, au Soudan les dépenses militaires atteignaient 70% du budget ! Les populations sont épuisées, l’Etat cesse de fonctionner, la Communauté internationale fait pression, tandis que la Sécession renforce sa position sur le terrain militaire. La situation devient intolérable et le Gouvernement est obligé de négocier.
Voilà en 3 phases l’évolution d’une Sécession. Le cas anglophone est clairement l’entrée dans la seconde phase, la phase la moins visible, mais qui continue à ronger l’Etat. Quand quelqu’un peut se réjouir de la fin prochaine de la crise anglophone, il m’amuse : nous ne sommes qu’au début !
Et c’est ce discours que je tiens depuis 4 ans, au moment où ces mêmes fanfarons parlaient de mater les Sécessionnistes en moins de deux semaines par une petite escouade de gendarmes.
Nous en sommes loin, très loin! Le pire est devant nous ! Et comme je ne peux pas finir sans revenir à ma solution, je recommande une fois de plus au Gouvernement le retour à un Etat Fédéral. Cela a beau agacer quelques-uns, je ne suis pas quelqu’un qui change d’opinion, car mes opinions sont toujours le fruit d’une longue maturation : je dis et j’affirme qu’il n’existe aucune solution dans la crise anglophone que le retour à un Cameroun fédéral".