La date des élections présidentielles approche au Cameroun et le moins que l’on puisse dire est que le pays est dans la peur car rien ne laisse penser que ce scrutin se passera dans le calme.
Dans son article, Louis-Marie KAKDEU, recommande, avec des arguments clairs et convaincants, de fuir les 4 pires scénarios possibles pour les prochaines élections : la fuite par l’abstention ; le vote ethnique ; la militarisation du scrutin et enfin l’exclusion des zones anglophones en guerre. L’auteur conseille vivement de sortir de ces voies dangereuses pour tenter de réduire au maximum les risques de ce scrutin.
Les Camerounais se rendront aux urnes le 07 octobre 2018 pour choisir leur prochain Président de la République. Paul Biya âgé de 86 ans et au pouvoir depuis 36 ans affrontera 8 autres candidats dont deux habitués et six nouvelles faces. Pour les uns, les dés sont pipés d’avance dans la mesure où le Président sortant détiendrait déjà toutes les cartes en main et pour les autres, c’est le moment à ne pas rater ; le moment de la révolution par les urnes ; le moment de faire plier le « vieil octogénaire ».
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Des passions se déchaînent et font planer sur le pays le spectre de vieux démons de la crise postélectorale profonde. Notre préoccupation est donc de savoir quelles sont les erreurs à ne pas commettre pour entacher la qualité démocratique de cette élection et sombrer dans le cycle de la violence.
L’appel au boycott
Le boycott pose deux problèmes. D’abord, l’on observe une tendance générale en Afrique occidentale qui fait de l’abstention le principal adversaire de l’alternance politique. En effet, seules les personnes qui profitent du système vont voter pour garder le statu quo, ce qui favorise l’éternisation des régimes autoritaires au pouvoir. Les personnes qui s’indignent ont tort de s’abstenir dans la mesure où c’est en se mobilisant qu’elles provoqueraient le changement. Ensuite, le refus de voter favorise la fraude électorale. Selon la Commission électorale (ELECAM), le fichier électoral pour ces présidentielles serait constitué d’environ 6,5 millions d’inscrits. Demander aux personnes inscrites sur les listes électorales de ne pas aller voter en guise de protestation contre le « holdup » de Paul Biya est une erreur dans la mesure où les fraudeurs ont l’habitude de faire voter à la place des absents. En d’autres termes, si une personne est inscrite, il y a de fortes chances que son nom apparaisse à son insu comme ayant voté et ce, pour un candidat non désiré. Pour toutes ces raisons, il convient plutôt de pousser les personnes inscrites à exprimer leur droit de choisir (droit de vote) afin que la démocratie se réalise pleinement.
L’appel au repli identitaire
L’on observe la montée du populisme identitaire qui laisse émerger la confrontation entre deux communautés ethniques majeures à savoir : les Bétis (ethnie du Président sortant Paul Biya) et les Bamiléké (ethnie de Maurice Kamto, un des candidats de l’opposition qui monte dans l’opinion). Au lieu de discuter de leurs offres politiques, l’on discute plutôt de la supposée volonté des Bamiléké à prendre le pouvoir ou de la supposée volonté des Bétis à s’accaparer le pouvoir. Certains défendent la « logique de tour [tour des Bamiléké au pouvoir] ». Dans une telle configuration, l’élection ne débouchera pas sur la sélection de la meilleure offre politique ou de l’offre adoubée par la majorité. L’on chemine vers un risque d’affrontement violent entre ces deux communautés, ce qui est de nature à engendrer un pogrom. Or, les élections doivent être pacifiques pour être considérées comme étant démocratiques. Pour cela, il convient de ne pas s’éloigner des fondamentaux de la démocratie, c’est-à-dire d’une démarche inclusive qui suppose la participation et la représentation de toutes les souches sociales, y-compris les minorités.
La militarisation des circonscriptions électorales
Les élections du 07 octobre 2018 se tiendront dans un contexte d’insécurité généralisée au Cameroun. Le pays est en guerre sur les fronts Nord, Extrême-nord, Est, Sud-ouest et Nord-ouest. La tentation des autorités publiques pourrait donc être de militariser l’espace public à titre préventif. Cela suppose la diffusion du spectre de la peur qui compromettrait la liberté d’expression et la liberté du vote. Une des dérives observables au niveau des états-majors des candidats pourrait être de laisser croire que l’on assassinera ceux ou celles qui ne respecteraient pas une certaine consigne de vote. Les autorités qui auraient pu renvoyer la date des élections le temps de sécuriser le pays n’ont pas intérêt à militariser l’espace public au risque de poser un acte de fraude électorale: l’on ne vote pas sereinement dans un environnement des armes et la démocratie ne s’exprime pas sous les canons. Il convient de prendre un autre risque de sécurité en libérant l’espace public pour favoriser la libre expression du débat contradictoire.
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L’exclusion des régions anglophones et des déplacés
Les régions du Sud-ouest et du Nord-ouest du Cameroun (régions anglophones) sont menacées par une crise de sécession née de l’accusation de la minorité anglophone d’être marginalisée. La crise est devenue armée depuis 2016 et se manifeste par le déploiement des attaques asymétriques. Cette ambiance de guerre a déjà provoqué le déplacement de plus de 200 000 personnes à l’intérieur du pays sans compter les 50 000 autres réfugiés inventoriés au Nigéria. Le défi sécuritaire pour organiser des élections pacifiques dans ces deux régions est de taille dans la mesure où les attaques y sont imprévisibles. En maintenant la date des élections, les autorités ont couru le risque de se faire accuser de vouloir se débarrasser d’un électorat défavorable. Cela constituerait un mécanisme de fraude électorale et renforcerait l’idée de l’exclusion des anglophones. Au-delà du risque sécuritaire, l’enjeu des élections en zone anglophone est celui de la légitimité du prochain Président qui devra être choisi par tous les Camerounais afin d’être à la hauteur des enjeux de réconciliation nationale.
Somme toute, nous disons tout simplement que les élections présidentielles au Cameroun doivent être libres, participatives, inclusives et ouvertes pour être considérées comme démocratiques. Cela passe par une forte mobilisation citoyenne qui fait encore défaut de ce pays.