Etoudi: ces étranges manipulations autour de la santé de Paul Biya

Biya Soins Intensifs Genève La nécropolitique est une pratique affective construite autour de la peur de la mort

Mon, 12 Feb 2018 Source: camer.be

À l’occasion de la célébration de la fête de la jeunesse au Cameroun, le président dont les rumeurs insistantes ont, une fois de plus, annoncé la mort est évidemment encore en vie.

Ce président est particulièrement connu pour terroriser la population avec le spectacle de son necropouvoir, permettant ainsi de célébrer son immortalité obscène. C'est surtout une démonstration performative du pouvoir souverain à travers la mise en scène à intervalle régulier du spectacle de la mort réelle et fausse, avec la transformation du pays en une véritable scène géante nécropolitique.

La nécropolitique est une pratique affective construite autour de la peur de la mort, qui fonctionne avec l'interpellation performative de moi ou le chaos, ou nous contre les « fauteurs de troubles », et la guerre. En effet, beaucoup craignent que la mort du dictateur de longue date suscite des luttes intestines ou des troubles publics qui pourraient plonger ou précipiter le pays dans le chaos, renforçant ainsi la nécessité de célébrer l'immortalité obscène du tyran; tout en transformant du même coup les opposants légitimes à son régime en «fauteurs de troubles», les soumettant au lynchage populaire et médiatique, sous l’accusation fallacieuse que tous ces opposants souhaitent ou auraient souhaité en sourdine sa mort, même si ce n'est pas le cas.

En plus, cela contribue à empêcher les Camerounais ordinaires qui sont assassinés notamment dans la région anglophone du pays, de pleurer dignement leurs morts. Ainsi, dans cette politique de la mort, le souverain décide qui est digne d'être pleuré et qui ne devrait pas, comme il décide qui a le droit de vivre et qui a le droit de mourir.

Cette production «pornographique de la mort» est la démonstration que manipuler la vie et la mort est la plus grande puissance d'un dictateur.

Les vrais dictateurs tentent toujours de contrôler la contingence par un ordre stable et la régulation du destin par la gestion et la discipline de la population à travers ce qu'Achille Mbembe appelle «nécropouvoir».

Achille Mbembe définit en effet ce type de pouvoir comme « nécropouvoir», qui est la subjugation de la vie au pouvoir de la mort. Le Nécro pouvoir est le pouvoir souverain qui est mis en place pour la destruction maximale des personnes et la création des deathscapes- [mouroirs concentrationnaires], des formes nouvelles et uniques d'existence sociale dans laquelle de vastes populations sont soumises à des conditions de vie leur conférant le statut de morts-vivants. Ce qui est indiscutablement à l’œuvre au Cameroun.

Les paysages de la mort désignent des espaces où la mort survient et où la loi a été suspendue, produisant des sujets que le philosophe italien Giorgio Agamben appelle homo sacer. L'homo sacer n'est pas directement tué mais soumis à des conditions de vie qui lui confèrent le statut de mort-vivant, et s'engage souvent dans des pratiques autodestructrices comme moyen de survie, à l'instar de soutenir un régime gérontocratique parasitaire qui lui suce la vie à sec.

Le président (Paul Biya pour ne pas le nommer) a donc une fois de plus profité de l'occasion morbide pour s’en prendre aux internautes, combattants de la liberté et véritables guerriers digitaux, les seuls qui l'empêchent encore de tyranniser en paix, les appelant de tous les noms d’oiseaux à la télévision nationale. Il est clair que ces "fauteurs de troubles" sont aujourd'hui en réalité les seuls vrais adversaires qui résistent à son diktat dans ce pays.

Mais au grand timonier, nous disons: «Monsieur le dictateur, vous devrez composer avec nous, les internautes indociles contre votre nécropouvoir, pour promouvoir une expérience collective nouvelle de la démocratie, et une réelle compréhension de la vie humaine et de ses valeurs, après tant d'exposition à votre nécropouvoir!».

Auteur: camer.be