Existe-t-il dans le Cameroun d'aujourd’hui une alternative crédible à Paul Biya?

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Sat, 4 Jul 2015 Source: Ndjama Benjamin

L’arrivée du multipartisme au début des années 90 était porteuse d’immenses promesses-Des promesses tournant parfois au fétichisme. L’un de ces fétichismes était de présenter le multipartisme et la démocratie comme des préalables au développement économique. Nous y avons cru par naïveté.

Nous savons aujourd’hui que cette croyance ne tenait pas à grand-chose. Elle est constamment démentie par la réalité. Un autre fétichisme tout aussi imbibé de naivété était de croire que l’opposition devait mûrir au fil des ans parce que la démocratie est un long processus. C’est le contraire qu’on observe avec désolation. Son potentiel est en constante diminution.

L’arène politique camerounaise d’aujourd’hui offre le spectacle affligeant d’une parodie de multipartisme où le parti au pouvoir domine littéralement le jeu. Les débats politiques organisés chaque semaine par les médias audiovisuels ne volent pas très haut.

Le niveau des acteurs qui doivent parler au nom de l’opposition, ne cesse de baisser. Que sont devenus les ténors des années 90.Certains ont rejoint le système à la suite d’accords politiques, persuadés qu’ils faisaient le choix du réalisme. C’est le cas de Bello Bouba Maigari..Que dire du Chairman ? On le soupçonne d’avoir été acheté. Certains ont sombré dans un silence stupéfiant.

On peut penser qu’ils ont pris acte de leur incapacité à peser. Une minorité très isolée continuent à jouer son rôle d’opposant, à cracher son venin sur le système, mais n’arrive pas à réunir grand monde autour d’elle. On peut classer dans cette mouvance, Anicet Ekane…un esprit sectaire, aux comportements de gourou. C’est pourquoi les jeunes qui l’approchent repartent aussitôt.

L’espoir suscité par cette opposition au début des années 90 n’a pas survécu à l’épreuve des compromissions répétées. Les difficultés qu’elle a rencontrées pour créer un bloc unifié devant Biya l’on entamée. Les masses qui l’ont suivie sont revenues à une indifférence relative à l’égard de la chose publique. De cette situation a émergé un pessimisme qui sert le pouvoir. Quand la masse se met à penser que tout le monde est pourri ça signifie que le pouvoir est entrain de marquer des points.

Il reste que l’aspiration à un changement d’hommes et de politique travaille toujours la société camerounaise. Elle touche de très vastes pans de la population, mais peine à trouver des forces capables de la porter. On en vient à une situation où les camerounais rêvent majoritairement de changement, mais l’opposition structurée capable de le porter est minoritaire.

Oui nous parlons d’un changement d’hommes et de politique. Un changement d’hommes car aucune démocratie éduquée ne peut se complaire d’un règne aussi long comme celui du pouvoir-RDPC. Pour autant qu’on sache les camerounais ne sont pas des abrutis politiques. Ils ne sauraient donc se complaire d’une telle situation. Ils la subissent forcement.

Oui les camerounais rêvent aussi d’un changement de politique ou alors de style. Les années Biya ont vu émergé un style où l’on faisait l’économie de la communication et de la présence. Ce comportement alimente depuis des années une intense polémique au Cameroun comme à l’étranger .Il a fait dire à certains observateurs que le sommet du léviathan était souvent absent. Un constat qui se propage hélas comme une épidémie.

Les camerounais ont connu un appauvrissement significatif pendant une longue période du régime Biya. Certes on n’aurait tort de renvoyer au chef de l’Etat et au système en place la responsabilité de tout ce qui nous est arrivé.

On ne saurait occulter le contexte général dans lequel advenait cet appauvrissement :Celui d’une économie mondiale en crise, d’un déclin passager de l’Afrique subsaharienne conduisant une grande partie du continent à avaler non sans amertume la pilule des plans d’ajustement structurels.

Nonobstant cet argument à décharge les performances économiques du Cameroun sont restées très en dessous du potentiel réel du pays. Le Cameroun n’a pas amélioré son rang par rapport à l’indicateur du développement humain du PNUD qui nous situe à la 152e place sur 177 pays. Nous avons assisté par ailleurs à une baisse considérable de l’espérance de vie. Nous avons été incapables d’exploiter les rares opportunités que nous offrait la mondialisation.

La manière dont les privilèges liés à la gestion du pouvoir sont redistribués depuis 30 ans a été un point d’interrogation et parfois de réel mécontentement. On a pu lire dans celle-ci l’installation d’un axe Nord-Sud qui se perpétuait au fil des remaniements ministériels donnant à certaines régions le sentiment qu’elles étaient oubliées voire même ignorées. Les Bamilékés se sont plaints..Mais ce ne sont pas les seuls.

Il existe au Cameroun une colère Bassa parfois contenue, parfois sublimée. Avec l’arrivée du président Biya aux affaires l’idée a émergé dans certaines élites bassa situées à la lisière du pouvoir que le peuple Bassa devait renoncer à l’héritage de la contestation pour chercher au sein de la république une position qui n’était pas marginale.

C’était un appel au ralliement. Les personnalités qui tenaient ce discours s’affichaient dans les meetings du parti au pouvoir. On peut faire l’évaluation de cette posture politicienne. Elle n’a rien n’apporter à cette population ni en termes de développement communautaire ni par rapport à l’intégration de ses compétences au cœur du sérail.

On pourrait bien élargir la liste des victimes de l’axe Nord-Sud, mais ça nous mènerait trop loin. Ce diagnostic donne un aperçu certes partiel des éléments qui travaillent l’aspiration au changement.

En bref Les camerounais déplorent l’économie de la communication au sommet de l’Etat et la faible lisibilité de l’action gouvernementale. Lorsqu’on cherche l’information sur le travail de nos ministres, on tombe dans des sites internet vides. Les camerounais rêvent d’un gouvernement habité par de grands réformateurs, ils veulent en finir avec la politique des axes régionaux. Ils attendent impatiemment la traduction dans les faits de ce que l’UPC appelle :

<< l’élévation du niveau de vie des camerounais>>.

Existe-t-il dans l’opposition ou la société civile des visages crédibles capables de nous offrir une alternative solide?

On a cru dans les années 90 que le chairman incarnait un espoir avant qu’on ne se rende compte que le personnage n’était qu’une fabrication médiatique assaisonnée à un vent de sympathie que lui vouait une masse épuisée en attente d’un héro libérateur. Le mythe est devenu un cadavre en décomposition. Nous attendons l’autopsie des médecins légistes.

Les multiples tentatives de rassembler l’opposition dans le cadre d’une candidature unique contre le président Biya ont tourné en fiasco. On allait désormais d’élections en élections sans qu’on ne voie émerger une force d’alternance. C’est dans ce contexte que s’est progressivement installée sur les plateaux télé la thèse d’une succession dynastique au sein du pouvoir.

L’idée n’est pas seulement saugrenue. Elle invite aussi à renoncer à toute perspective de changement radical. La succession dynastique n’est autre chose qu’un changement dans la continuité. Or le changement véritable induit indubitablement un changement de l’establishment dans son ensemble.

Kamto Maurice saura t-il incarner l’alternative à Paul Biya?

Intellectuel de très grande stature, esprit brillant, Kamto Maurice est très certainement de tous les opposants au régime Biya celui qui possède l’armature intellectuelle la plus solide. Il est indiscutablement celui qui pourra offrir la réponse la plus argumentée à des problèmes complexes. Sa culture politique est d’une densité fluviale. S’il n’avait pas voulu participer directement à la bataille politique ouverte, il aurait fait un excellent conseiller de l’ombre, visiteur de minuit. Son expertise scientifique lui confère une incomparable maîtrise des affaires de l’Etat. Son parcours d’expert a été jalonné de succès.

Depuis son entrée dans l’arène politique comme opposant affiché au régime Biya l’agrégé d’université a fait montre d’une critique constante et sans faille du pouvoir en place. Il a été de tous les opposants, le seul qui s’est montré offensif sur tous les sujets majeurs d’actualité. C’est l’acteur politique qui communique le plus. Il a su apporter à la parole de l’opposition la solidité et le crédit qui lui manquait. Sa culture générale très hétéroclite et pluridisciplinaire lui permet de parler avec aisance et profondeur des sujets très éloignés de son expertise académique.

Kamto possède l’épaisseur nécessaire pour gérer un pays. Il possède ce qui manquait au chairman. Mais la compétence et la maîtrise des dossiers ne sont pas suffisant pour faire un politique de grande carrure. Il lui faudrait aussi le charisme des grands tribuns, les moyens financiers et humains, de l’ambition, du bon sens politique qu’il ne faut pas confondre avec le savoir académique.

Les grands tribuns politiques, les leaders charismatiques possèdent cette mystique qui leur permet de s’incarner dans un rêve, de porter les habits de l’homme providentiel. Max Weber appelait les politiciens qui correspondent à cette figure de l’homme politique<>.Il avait tort de penser que <>

En réalité on l’ a rencontré dans toutes les civilisations , certainement pas à toutes les époques. On le rencontre plus facilement en période révolutionnaire. Ruben Um Nyobe et Patrice Lumumba n’apparaissent pas n’importe où et à n’importe quel moment.

Pour vaincre Biya il faudra à Kamto suffisamment de moyens financiers et humains pour couvrir l’ensemble du territoire. Il n’est pas très évident que sa formation politique pourra se donner des moyens aussi considérables. Il faudra aussi à l’universitaire de l’ambition. Aspire t-il véritablement à devenir chef d’Etat ou souhaite t-il tout simplement peser sur la vie politique en vue de négocier l’accès à une fonction de pouvoir plus importante que celle qu’il avait précédemment?

Il devra gérer avec beaucoup d’adresse les susceptibilités tribales. Il a su s’entourer d’une vice-présidence très diversifiée sur le plan régional. Il lui reste à s’investir pleinement pour élargir la base de son parti hors de sa sphère régionale. A l’échelle du discours programmatique il devra donner à toutes les communautés de ce pays surtout à celles qui se sentaient précédemment marginalisées le sentiment qu’elles seront prises en compte dans une nouvelle redistribution des cartes. Il sera très jugé sur sa capacité à donner l’image d’un leader national. C’est peut-être sur ce terrain que l’essentiel se jouera.

La tentation est souvent très grande lorsqu’il y a changement d’establishment de voir le nouveau chef des lieux, se précipiter dans une chasse aux sorcières à l’égard des dignitaires de l’ancien régime. On a vu cela en côte d’ivoire et au Sénégal. Il serait souhaitable qu’il ne se laisse pas prendre à ce jeu. Qu’il se rappelle ce que disait Paul Ricoeur : << la grandeur d’un homme d’Etat se reconnait dans sa capacité à pardonner ses prédécesseurs>>

Il lui restera à ne pas commettre avant la l’élection présidentielle des fautes politiques qui pourraient écorner son image d’homme progressiste. Lors d’un récent passage en Allemagne, il a été interrogé sur le franc CFA. Sa réponse n’a pas été un modèle de subtilité intellectuelle. Il a manqué de sens politique sur un sujet très sensible, ce qui n’a pas manqué d’enflammer la toile.

Kamto vient de l’université. Le risque n’est pas rare chez les leaders qui possèdent son profil, de confondre l’ordre de la science et celui de l’action. Raymond Aron les mettait en garde lorsqu’il soulignait à la suite de Max Weber que : la politique n’avait rien a voir avec les salles de cours, que les vertus du politique étaient incompatibles avec celles du savant. Il écrivait en substance :<>

En clair le savoir académique éclaire l’homme d’action mais ne constitue pas le fondement du savoir-faire politique.

Auteur: Ndjama Benjamin