Extrême-Nord : La maltraitance des femmes se porte bien

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Sat, 18 Jul 2015 Source: L’Oeil du Sahel

Sur 300 cas recensés chaque année, environ 90% émanent des mariages précoces ou forcés.

«La situation reste critique dans l’Extrême-Nord». Ce cri de détresse est du coordonnateur du Réseau des animateurs pour l’éducation des communautés (Resaec). Boubakari Hamadou explique en effet qu’«il y a par exemple les mutilations, les mariages précoces et forcés qui continuent de faire rage. Ces phénomènes existent encore, malgré les avancées qu’on a pu observer, dues aux activités de certaines associations qui mènent des actions d’éducation».

Et de fait, selon l’Alvf, sur 300 cas recensés de violences faites aux femmes annuellement dans les Centres Vie de Femmes à l’Extrême-Nord, environ 90% d’entre eux sont des survivantes et victimes de mariages précoces et forcés.

Les filles âgées de 13 à 15 ans constituent la tranche d’âge la plus touchée. L’étude de référence sur les MPF, réalisée par l’Alvf et l’Institut supérieur du sahel (ISS) en 2014, révèle que près de 62% de la population camerounaise aurait été touchée au moins une fois directement ou indirectement par le phénomène. Les régions septentrionales du pays dans leur ensemble sont les plus touchées, avec un taux de prévalence de 45%.

«La sensibilisation et la dénonciation, sont nos méthodes et nous travaillons avec les juristes qui menacent les parents. Mais le problème, c’est qu’il n’y a pas de textes. Il y a donc encore des résistants au changement. Nous avons encore des poches de résistance, surtout s’agissant des mutilations génitales et des mariages précoces», précise Boubakari Hamadou. Les conséquences de cette «barbarie» ne se comptent plus. Par exemple, plusieurs jeunes filles mariées précocement restent pauvres, vivent dans la promiscuité, subissent des violences sans savoir comment se défendre.

Elles s’orientent par conséquent vers l'alcoolisme, la prostitution, abandonnent leur foyer. L’arrêt brutal de leurs études, un frein à leur épanouissement (jeunes filles vulnérables, angoissées et peu confiantes, faible capacité de défense à cause de l’ignorance et de la peur qu’elles développent elles-mêmes; exposées au traumatisme sexuel, aux viols, aux insultes et aux blessures), n’est pas en reste.

VICTIMES

Les femmes mariées précocement et de force restent déséquilibrées à vie. Et ce n’est pas la jeune Fadimatou, une victime, qui le démentira. «J’avais 13 ans, quand j’ai été mariée de force à un homme de 35 ans. Pendant les deux ans que j’ai passés dans ce foyer, on ne s’entendait pas bien. Il me battait et ces violences étaient aussi sexuelles. Parfois, quand il rentrait, il exigeait qu’on ait des rapports et il me battait quand je refusais. Je suis partie et je ne me suis plus jamais mariée», raconte la jeune mère qui a eu un enfant de cette union désastreuse.

Aujourd’hui, elle s’est reconvertie à la couture. Mais à l’observation de sa gestuelle crispée lorsqu’elle évoque ces souvenirs, l’on se rend compte qu’elle est meurtrie par ce qu’elle a vécu. Ce d’autant plus que «Quand le mariage est fini et que j’ai voulu rentrer à la maison, mon père a refusé. C’est une amie qui m’a recueillie.

Ce n’est qu’après les conseils de nombreux proches que mon père a accepté que je revienne à la maison», témoigne-t-elle. D’où la mise sur pied de stratégies fortes pour contrer le phénomène. Celles-ci passent par des approches féministes, genre et droits humains, avec des interventions qui s’étalent sur quatre axes : au niveau de la fille ; de sa famille et de son entourageenvironnement; de la communauté et des décideurs. Ce qui a eu pour résultats, l’encadrement et le suivi de plus de 2000 victimes ou survivantes dans les CVF ou Centres d’écoute qui ont une résilience complète depuis l’année 2000 à nos jours ; la mise en place d’un vaste réseau de brigades de dénonciation, de Centres Vie de Femmes, d’organisations de lutte contre la pratique et l’adoption du concept «des Brigades de Dénonciation», comme stratégie d’autonomisation des filles par les structures étatiques. «Cela a produit beaucoup de résultats.

Avant, c’était difficile d’avoir une fille de chez nous au secondaire, mais aujourd’hui, on a des filles qui sont à l’université, d’autres même en thèse de doctorat. C’est vrai que nous avons encore du pain sur la planche et beaucoup de poches de résistance avec des intégristes, mais la situation a beaucoup évolué», assure le coordonnateur du Resaec.

Auteur: L’Oeil du Sahel