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Extrême Nord : Le calvaire des refugiés

Tue, 1 Sep 2015 Source: Josiane Kouagheu

Debout devant la petite boutique du quartier Founangue à Maroua, Alioum attend son tour. Il patiente, le regard au sol et les mains enfouies dans les poches de son vieux boubou délavé. Il s’avance et commande un morceau de pain. Une fois servi, il disparaît derrière une rangée de maisons.

Alioum, originaire d’Ashigachia dans le département du Mayo-Tsanaga, village frontalier avec le Nigeria, est arrivé dans la capitale régionale de l’extrême nord du Cameroun il y a seulement cinq mois pour fuir les massacres commis par le groupe islamiste Boko Haram, et qui ont encore fait près de 80 morts dans la région ce week-end.

« Son village a été attaqué en pleine nuit. Ils ont incendié les maisons, raconte Siddi, un cousin éloigné chez qui Alioum s’est réfugié. Alioum a été sauvé mais son petit frère a été tué. Orphelin de père et de mère, il ne lui restait plus que ce jeune frère, car ses trois sœurs sont mariées dans d’autres villages. »

Alioum a marché pendant trois jours, comme des centaines d’habitants de son village. En auto-stop, il est ensuite arrivé dans le village de Maroua, couvert de poussière et malade.

« Il a eu un violent palu et est resté inconscient plusieurs jours. Il délirait… Je l’ai soigné avec les remèdes indigènes car il est parti de chez lui sans carte nationale d’identité. Je ne pouvais pas l’amener à l’hôpital. Depuis cinq mois, Alioum reste enfermé à la maison. Il a peur de sortir et d’être arrêté. Son avenir est incertain », s’inquiète Siddi.

Alioum n’est pas le seul survivant ayant fui son village après l’attaque de Boko Haram. Depuis le début des exactions de la secte islamiste, Emmanuel Sadi, ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation du Cameroun, explique que « près de 100 000 Camerounais ont fui les villages attaqués » pour se réfugier dans des lieux qu’ils jugeaient plus en sécurité dans les départements du Mayo-Sava, Mayo-Tsanaga et Logone et Chari.

A Mora, ville située dans le département du Mayo-Sava, frontalier avec le Nigeria, des milliers de déplacés ont trouvé refuge. El Hadj Abba Boukar, maire de la localité depuis plus de 40 ans, considère que « sa population a quadruplé ». « Ils sont estimés à plus de 45 000 dans la ville », assure Pierre Migne, le sous-préfet de Mora.

Miriam Issa, un bébé dans le dos et un autre sur les hanches, fait partie d’entre eux. Cette mère de huit enfants a fui la localité d’Amchidé il y a un an après les attaques. « Ils sont arrivés un matin alors que je lavais mon petit dernier, se souvient-elle.

Ils ont commencé à tirer des coups de feu. Pieds nus, je suis sorti avec mes enfants qui se trouvaient heureusement à la maison avec moi. Nous avons marché durant des jours sans nous arrêter, jusqu’à Mora. » Miriam a abandonné les trois hectares de terre et le maigre bétail que lui avait laissés son mari décédé quelques mois plus tôt à cause d’une maladie.

A Mora, Miriam squatte une maison avec des dizaines d’autres déplacés. Elle mange grâce à la générosité des voisins. Ses enfants ne vont plus à l’école, faute de moyen, comme c’est le cas de la plupart de ces déplacés. « Nous avons tout abandonné. Mon village Kolofata, par exemple, s’est vidé de sa population, déplore Mahama. J’ai laissé mes quatre hectares de champ de coton et de mil. »

« Tout a commencé le dimanche 24 août 2014, poursuit le président des réfugiés de Kolofata. Ce jour-là, j’ai vu trois hommes armés arriver sur une moto. Ils ont traversé la frontière et ont commencé à tirer. Je me suis enfui de mon côté, ma femme et mes sept enfants de leur côté aussi. »

Après 24 heures de marche, Mahama a pu retrouver sa famille très loin de son village. Il a conduit tout le monde à Mora, mais d’autres n’ont pas eu cette chance. Bernadette Tanembe vit avec sa mère qui s’est fracturé la jambe droite en fuyant les attaques de Boko Haram au quartier Barma à Amchidé, un autre village situé à la frontière avec le Nigeria. Elle n’a pas de nouvelles de ses tantes et de ses oncles. « Boko Haram avait attaqué notre cabaret. Quatre clients ont été tués sur-le-champ, se souvient-elle. Nous avons eu le temps de nous enfuir… »

A côté de ces inquiétudes, les déplacés font face à de nombreuses difficultés : ils n’ont pas d’endroits où dormir, pas d’argent pour se nourrir, se soigner et envoyer leurs enfants à l’école. « C’est un véritable problème, soupire le maire de Mora, Abba Boukar. Heureusement que le HCR, le PAM, l’Unicef, la Croix-Rouge et les ONG leur donnent à boire et à manger, même si ce n’est pas suffisant pour tous. »

Beaucoup sont décédés de malnutrition. Adama Balkissou, vice-présidente des réfugiés de Kerawa à Mora, a perdu son fils de 4 ans il y a quelques mois. « Il n’y avait pas d’argent pour le soigner et ce n’est pas le seul cas, déplore Adama, qui vit avec son mari dans une minuscule case en plein cœur de Mora. Plusieurs enfants sont décédés. »

D’après le rapport d’évaluation d’avril sur les conditions des déplacés dans le département du Mayo-sava de l’ONG italienne Intersos, 57 % des déplacés ne possèdent pas de kit cuisine. « A l’observation direct, il paraît que plus de la moitié des déplacés ne préparent pas les repas dans de bonnes conditions hygiéniques », explique le rapport.

Pour Abba Boukar l’autre difficulté reste le logement, les déplacés n’étant pas cantonnés dans un camp. « Ils vivent dans les familles, chez les amis, dans des cases de fortune, n’importe où et c’est ce qui gène actuellement… Ils font des va-et-vient. C’est imprudent et il en va de la sécurité de la ville », déplore le maire.

Au début, les autorités de Mora ont pensé à un espace de 20 hectares, situé à quelques kilomètres de la ville. Mais ils n’ont pas eu les fonds nécessaires pour la construction des infrastructures. En attendant la réalisation de ce projet, les déplacés affluent chaque jour. Dimanche 30 août, un employé de la sous-préfecture tenait une nouvelle liste de déplacés avec environ 2 000 noms.

« Nous les avons à l’œil »

Cette affluence n’est pas perçue d’un très bon œil par la population. « La vie est devenue très chère à Mora, se plaint Aïssatou, une commerçante faisant la ligne Mora-Maroua. Il n’y a plus assez de nourriture pour tous. » Au quartier Hardé de Maroua, les habitants ont peur de ces nouveaux venus. « Ils sont stigmatisés. On les appelle les “réfugiés” ou “fuyards”. Ils viennent des villages de la frontière et on a peur qu’ils soient liés à Boko Haram », s’inquiète un étudiant.

« Parmi eux, il y a effectivement quelques personnes qui sont soupçonnées d’appartenir à Boko Haram. Nous les avons à l’œil », précise une source sécuritaire de l’extrême nord.

A une semaine de la rentrée scolaire, ces milliers de déplacés ignorent si leurs enfants iront à l’école. « Le chef de l’Etat [Paul Biya] a débloqué des fonds qui ont servi à construire des salles de classe. Tout sera prêt pour le 7 septembre », assure Pierre Ivan Migne. Mais tous sont sceptiques. « Nous sommes des milliers, souffle Malloum Daïrou, 14 ans. Ceux qui sont arrivés l’année dernière ne sont pas allés à l’école. L’argent envoyé par le président n’a pas aidé tout le monde. »

Moustapha Cherif, 15 ans, ne sait pas s’il ira en classe de 5e. L’année dernière, il n’a pas pu fréquenter l’école, faute d’argent. « Si seulement on n’avait pas attaqué mon village Limani, rêve-t-il. Papa m’aurait envoyé à l’école… » Le père acquiesce. Le rêve de Mahmadou serait de retourner dans son village pour s’occuper de ses bœufs et nourrir sa famille, comme avant : « Quand ces “gens” ne connaissaient pas mon pays. »

Auteur: Josiane Kouagheu