C’est un sujet qui fait des vagues au sein de l’opinion publique nationale depuis des semaines. La publication de la liste de 10 000 fonctionnaires invités à clarifier leur situation administrative est venue à nouveau mettre sous les projecteurs un fléau prenant les apparences d’une hydre. Une tête coupée entraîne la repousse d’une autre. Dans les chaumières, l’on se plaît à raconter les histoires de ces services administratifs où l’on ne trouve jamais personne avant 11 heures, ni après 13 heures.
L’on y évoque aussi ces amies fonctionnaires qui ne se posent pas de questions lorsque leurs enfants sont malades ou qu’il faut aller les chercher à la sortie des classes : « Elles s’arrêtent net. Le patron n’a apparemment rien à dire ! » Et là, c’est le moindre mal à la fonction publique. Il y a plus gros, causant de profonds ravages, dégradant le service rendu aux usagers, les finances publiques… Lui, c’est le phénomène des fonctionnaires fictifs.
Les autorités compétentes ainsi que la Centrale syndicale du secteur public ont commencé à en prendre conscience, voici quelques années déjà. Ainsi en mars 2005, une opération d’assainissement du fichier solde de l’Etat avait permis de débusquer 500 fonctionnaires du ministère de l’Economie et des Finances percevant des salaires indus, depuis de nombreuses années. Au-delà des sanctions administratives, le Premier ministre avait engagé des actions de restitution des sommes indûment perçues, à travers des précomptes directs sur les salaires des coupables et leurs complices.
Deux ans auparavant, les services du ministère de la Fonction publique et de la Réforme administrative avaient pourtant découvert un peu plus de 1 800 fonctionnaires fictifs émargeant au budget de l’Etat. A l'époque, les pouvoirs publics compétents avaient expliqué que ces cas d'irrégularités qui grèvent considérablement les finances publiques, devaient rapidement trouver une solution, grâce au Système intégré de gestion informatique du personnel de l'Etat et de la solde (SIGIPES).
Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et les personnels « fantômes » de l’Etat sont toujours aussi présents, faisant du phénomène une endémie. Selon une source introduite, « la fonction publique nourrit son propre malheur ». Les réformes de cette institution, nombreuses ces dernières années, ne semblent rien arranger. Mal accompagnées par des cadres peu motivés chargés de leur mise en œuvre, elles suscitent au mieux la désillusion, au pire le désinvestissement.
« Il y a eu une période où les fiches de présence et les contrôles inopinés ont été instaurés dans les services publics. Mais, les chefs ont été les premiers à botter en touche. Comment voulez-vous contrôler vos collaborateurs si vous-même vous n’arrivez pas à l’heure et êtes absentéistes ? » se demande G. Memvouta, cadre de la cellule de suivi d’un ministère de la place. « Les fonctionnaires fictifs, c’est un vieux serpent de mer. Je crains que l’on ne puisse jamais en venir à bout.
En général, ce sont les cadres gérant les données informatiques qui proposent des ficelles à l’usager pour circonvenir le système », dénonce Jérôme O., Camerounais résidant au Canada. En immigrant, il a mis en place des mécanismes permettant à sa mère de bénéficier de sa solde. « Si je n’avais pas pris cette précaution, quelqu’un d’autre aurait récupéré ce salaire aux finances », assène-t-il. Vrai ou faux ? Chacun a sa petite idée sur la question.